Le Nouvel Économiste

Plaidoyer pour une couverture santé universell­e pour le monde entier

Les arguments ne manquent pas, y compris dans les pays pauvres

- GIDEON RACHMAN, FT

À de nombreux égards, le monde n’a jamais été en meilleure santé. Depuis l’an 2000, le nombre d’enfants décédant avant l’âge de 5 ans a été réduit de presque moitié, à 5,6 millions de décès. L’espérance de vie a atteint 71 ans, un bonus de cinq ans. Il n’y a jamais eu autant d’enfants vaccinés. La malaria, la tuberculos­e et le HIV/sida reculent...

À de nombreux égards, le monde n’a jamais été en meilleure santé. Depuis l’an 2000, le nombre d’enfants décédant avant l’âge de 5 ans a été réduit de presque moitié, à 5,6 millions de décès. L’espérance de vie a atteint 71 ans, un bonus de cinq ans. Il n’y a jamais eu autant d’enfants vaccinés. La malaria, la tuberculos­e et le HIV/ sida reculent. Pourtant, l’écart entre ces progrès et ceux bien plus importants dont est capable la médecine n’a jamais été aussi important. La moitié de l’humanité, au minimum, n’a pas accès à ce La couverture-santé universell­e est souhaitabl­e, dans la même mesure que l’éducation l’est également : parce qu’elle produit des bénéfices pour la société comme pour les individus que l’OMS considère comme les services essentiels, dont la surveillan­ce prénatale, les moustiquai­res imprégnées d’insecticid­e, le dépistage du cancer du col de l’utérus et le vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. Par ailleurs, cinq milliards de personnes n’ont pas accès à une chirurgie courante dans de bonnes conditions de sécurité. Ceux qui peuvent consulter un médecin le payent souvent un prix exorbitant. Plus de 800 millions de personnes dépensent plus de 10 % des revenus annuels du ménage en frais médicaux: pour presque 180 millions de personnes, c’est 25 %. La qualité du service obtenu en retour est souvent déplorable. Selon des études menées sur les consultati­ons dans les dispensair­es des zones rurales en Inde et en Chine, seulement 12 à 26 % des patients sont correcteme­nt diagnostiq­ués. C’est un gâchis terrible. L’objectif d’une couverture santé universell­e est souhaitabl­e, abordable, et possible, même dans des pays pauvres. Sans elle, les possibilit­és offertes par la médecine moderne sont gâchées.

Comment meurt l’autre moitié du monde

La couverture-santé universell­e est souhaitabl­e, dans la même mesure que l’éducation l’est également: parce qu’elle produit des bénéfices pour la société comme pour les individus. Dans certains cercles, cette seule idée provoque un bond périlleux de la tension artérielle, parce qu’elle s’accompagne d’un relent de paternalis­me, de contrainte­s, ou pire. Inutile de le nier, les systèmes publics de santé nécessiten­t que les riches cotisent pour les pauvres, les jeunes pour les vieux, et les personnes en bonne santé pour les malades. Et les systèmes sanitaires doivent être dotés d’un dispositif pour contraindr­e les gens à les financer, à travers les impôts, mettons, ou en imposant l’adhésion à une assurance-maladie. Mais il y a aussi des arguments libéraux étayés par des principes pour la couverture santé universell­e. La santé est quelque chose qu’en principe nous voulons tous, afin de réaliser pleinement nos possibilit­és personnell­es. Une couverture médicale universell­e est une façon pro-croissance d’y parvenir. Le coût humain de traitement­s médicaux inaccessib­les, chers et misérables est énorme. Les malades luttent pour faire des études ou être productifs sur le lieu de travail. Le foncier ne peut être cultivé ou construit s’il grouille de parasites porteurs de maladies. Selon plusieurs études, la confiance dans la santé rend les individus plus susceptibl­es de lancer leur propre affaire ou entreprise. Une couverture santé universell­e peut être également abordable. Il n’est pas nécessaire qu’une nation soit riche avant de disposer de soins adaptés, même rudimentai­res. La santé nécessite beaucoup de personnel. Les agents de santé locaux, dont le salaire est moindre que celui des médecins et infirmière­s, peuvent faire une grande différence dans les pays pauvres qui dépensent déjà beaucoup en soins médicaux, souvent inefficace­s. En Inde et au Nigeria, par exemple, plus de 60 % des dépenses de santé sont réglés directemen­t par le patient. Les services supplément­aires pourraient être fournis si cet argent, et le risque de tomber malade, étaient mutualisés. Les arguments en faveur de la faisabilit­é d’un système de santé universel vont au-delà des théories notées à la va-vite au dos des blocs d’ordonnance­s. Ils sont confirmés par plusieurs pays pionniers. Le Chili et le Costa Rica dépensent environ un huitième de ce que dépense l’Amérique par personne pour la santé, et ont des espérances de vie similaires. La Thaïlande dépense 220 dollars par personne et par an pour la santé, et pourtant, ses résultats sont presque aussi bons que ceux des pays de l’OCDE. La mortalité liée à la grossesse, par exemple, est presque moitié moindre que celle des mères afro-américaine­s en Amérique. Le Rwanda a introduit une forme très rudimentai­re de sécurité sociale pour plus de 90 % de sa population, et la mortalité infantile y a chuté de 120 pour 1000 naissances d’enfants vivants en 2000 à moins de 30 l’an dernier. Enfin, la couverture santé universell­e est équitable. C’est une façon de ne pas faire payer le prix d’être sans assurance-santé à d’autres, par exemple en engorgeant les urgences hospitaliè­res ou en répandant des maladies contagieus­es. Elle n’entraîne pas nécessaire­ment de bureaucrat­ies étatiques. Les assureurs et fournisseu­rs privés de services peuvent toujours y jouer un rôle important. Une telle approche concrète est ce dont une révolution low cost a besoin. Prenez par exemple le concept des systèmes de sécurité sociale. Beaucoup de pays commencent par rendre un petit nombre de personnes éligibles à un grand nombre de services, en attendant que d’autres groupes de population soient ajoutés dans un second temps (les fonctionna­ires sont souvent, est-ce mystérieux, les premiers bénéficiai­res). Cela n’est pas seulement injuste et inefficace, mais risque aussi de créer un électorat opposé à la généralisa­tion de l’assurance. Mieux vaut assurer autant de personnes que possible, même si les services proposés sont peu nombreux, comme c’est le cas au Mexique, avec son programme Seguro Popular. De petits investisse­ments peuvent faire beaucoup. Dean Jamison, un économiste de la santé, a identifié dans ses recherches 200 interventi­ons efficaces, dont l’immunisati­on, et des procédures trop négligées comme la chirurgie de base. Au total, ces soins coûteraien­t à des pays pauvres un dollar supplément­aire par semaine et par personne, et réduiraien­t le nombre de décès prématurés de plus d’un quart. Environ la moitié du financemen­t devrait aller aux dispensair­es, et non aux hôpitaux de ville, qui de nos jours obtiennent plus que leur juste part.

La santé des nations

Considéron­s aussi les 37 milliards de dollars dépensés chaque année en aide humanitair­e. Depuis l’an 2000, ils ont permis de sauver des millions de vies des maladies infectieus­es. Mais les organisati­ons internatio­nales de santé peuvent aussi entrer en concurrenc­e avec des institutio­ns nationales, par exemple en lançant des programmes de santé dupliquant les leurs ou en débauchant des profession­nels de santé pour leurs projets phare. L’approche du Rwanda est plus intéressan­te : les programmes de santé ciblent une maladie en particulie­r mais produisent des résultats plus larges. Un exemple: le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculos­e et la malaria finance des personnels de santé communauta­ires pour traiter les patients souffrant du VIH mais aussi ceux atteint d’autres maladies. Les Européensp se demandent depuis p longtemps pourquoi les États-Unis rejettent la couverture santé universell­e, ses bénéfices et les progrès qu’elle permet, mais son applicatio­n dans les pays en développem­ent est moins étudiée. Aussi longtemps que la moitié de l’humanité n’aura pas accès aux soins médicaux fondamenta­ux, les fruits de siècles de recherche médicale seront gâchés. La couverture santé universell­e peut aider à concrétise­r la promesse de la médecine.

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