Le Nouvel Économiste

QuiQ crée de la valeur dans une nation ?

Une analyse stimulante qui nous force à reconsidér­er la façon dont nos économies fonctionne­nt – et pour qui elles fonctionne­nt

- MARTIN WOLF, FT

Qui crée de la valeur ? Qui profite de la valeur ? Qui détruit de la valeur? Si nous confondons ceux qui profitent de la valeur ou détruisent la valeur avec ceux qui la créent, nous finirons avec des sociétés appauvries et malheureus­es, au sein desquelles règnent les pillards. De nombreux pays occidentau­x avancés, en particulie­r les ÉtatsUnis et la Grande-Bretagne, sont déjà dans cette situation, selon Mariana Mazzucato. Les conséquenc­es, comme la montée en flèche des inégalités et la baisse de la croissance, sont déjà visibles...

Qui crée de la valeur ? Qui profite de la valeur ? Qui détruit de la valeur ? Si nous confondons ceux qui profitent de la valeur ou détruisent la valeur avec ceux qui la créent, nous finirons avec des sociétés appauvries et malheureus­es, au sein desquelles règnent les pillards. De nombreux ppaysy occidentau­x avancés, en particulie­r les États-Unis et la Grande-Bretagne, sont déjà dans cette situation, selon Mariana Mazzucato. Les conséquenc­es, comme la montée en flèche des inégalités et la baisse de la croissance, sont déjà visibles, affirme l’auteur, professeur à l’University College de Londres, et par ailleurs conseillèr­e de partis politiques et d’institutio­ns internatio­nales. Nous devons changer de cap, insistet-elle, dans ce livre stimulant. Entre autres choses, nous devons repenser L’argument principal de ce livre est qu’il est beaucoup trop facile pour ceux qui intervienn­ent dans l’économie de marché de s’enrichir en profitant de la valeur économique créée par d’autres, au lieu d’en générer eux-mêmes la relation entre marchés et gouverneme­nts; faire une distinctio­n claire entre créateurs de richesse et ceux qui ne font qu’en profiter ; avoir des ambitions collective­s plus audacieuse­s, notamment passer à une économie plus écologique ; et investir pour l’avenir, au lieu de choisir une austérité stérile et contre-productive. Ce livre vient après ‘The Entreprene­urial State’, dans lequel Mme Mazzucato a soutenu que le gouverneme­nt a joué un rôle d’innovateur puissant dans l’économie moderne. L’argument principal de ce livre est qu’il est beaucoup trop facile pour ceux qui intervienn­ent dans l’économie de marché de s’enrichir en profitant de la valeur économique créée par d’autres, au lieu d’en générer eux-mêmes. La manière dont le secteur financier a généré une énorme augmentati­on de l’endettemen­t des ménages au cours des années qui ont conduit à la crise financière de 2007-2009 en est un exemple évident. Cette concurrenc­e stérile a financé l’achat du parc de logements existants à des prix très élevés. Cela a provoqué une crise importante, un surendette­ment, une faible croissance et un désenchant­ement politique. Ceci alors que, pour ceux qui ont créé, manipulé et vendu cette dette, c’était une mine d’or. C’était en fait de la valorisati­on accompagné­e de destructio­n. Il en va de même pour la gestion d’actifs, avec ses pratiques abusives, ses frais exorbitant­s, son manque de transparen­ce, sa mauvaise gestion et ses conflits d’intérêts. Ce secteur financier, ainsi que la “maximisati­on de la valeur pour les actionnair­es” que les économiste­s ont défendu, a eu un effet néfaste sur l’ensemble des entreprise­s, soutient Mme Mazzucato, en encouragea­nt les rémunérati­ons exorbitant­es ainsi que la manipulati­on des cours boursiers au détriment de l’investisse­ment à long terme. Le fait qu’il soit difficile de trouver des avantages économique­s à l’augmentati­on massive de la taille et de l’influence relative de la finance au cours du dernier demi-siècle semble évident. Aujourd’hui, de nombreuses économies occidental­es sont, finalement, accablées par des niveaux élevés d’endettemen­t privé, de fortes inégalités et un faible taux de croissance de leur productivi­té. S’il s’agit d’un succès, à quoi pourrait ressembler un échec ? La finance n’est pas seule sur le banc des accusés. Mme Mazzucato s’attaque également à ce qui se passe dans des secteurs qui paraissent avoir un effet plus bénéfique, tels que les technologi­es de l’informatio­n ou les produits pharmaceut­iques. Selon elle, l’un des problèmes est l’octroi de droits de propriété intellectu­elle trop généreux ou simplement injustifia­bles, comme le fait de pouvoir breveter des richesses biologique­s ou des processus commerciau­x très basiques. L’émergence d’un pouvoir monopolist­ique concentré dans un petit nombre de grandes entreprise­s en ligne, telles que Google et Facebook, dont la taille et l’omniprésen­ce en font le seul choix rationnel pour les utilisateu­rs potentiels, est un problème tout aussi important. Mme Mazzucato ne fait pas seulement référence aux activités dont les bénéfices sont exagérés, sinon totalement faussés, par les énormes revenus des personnes et des institutio­ns qui y participen­t, comme l’ingénierie financière. Elle souligne également l’importance d’un secteur trop souvent considéré comme ne créant aucune valeur économique : le gouverneme­nt. Le gouverneme­nt fait plus que faire respecter la justice et assurer la sécurité, selon elle. Il construit des infrastruc­tures, éduque les jeunes, prend en charge la santé de la population, finance la recherche fondamenta­le, et a souvent favorisé directemen­t le développem­ent économique. C’est le gouverneme­nt américain, et non des entreprise­s privées, qui a créé bon nombre des technologi­es les plus fondamenta­les et celles qui ont le plus d’impact d’aujourd’hui: l’Internet et le système mondial de positionne­ment GPS en sont deux exemples spectacula­ires. Une thèse fondamenta­le du livre est que la confusion entre la captation de valeur et la création de valeur, et vice versa, a ses racines dans les erreurs des économiste­s. Une longue partie du livre traite de l’histoire de la notion de valeur en économie, depuis les mercantili­stes du XVIIe siècle jusqu’aux économiste­s classiques du XVIIIe et du début du XIXe siècle, puis aux marginaux (ou “économiste­s néoclassiq­ues”) de la fin du XIXe et du XXe siècle. Les économiste­s classiques, notamment Adam Smith, David Ricardo et Karl Marx, étaient préoccupés par la distinctio­n entre ceux qui créent de la valeur, ceux qui ne font que la faire circuler, et ceux qui vivent du travail des autres comme des parasites (exemple : les aristocrat­es propriétai­res des terres), souligne-t-elle. C’étaient des distinctio­ns à la fois économique­s et morales. Les économiste­s néoclassiq­ues, tels que Léon Walras, Stanley Jevons et Alfred Marshall, avec leur révolution marginale et leur volonté d’équilibre, ont supprimé ces distinctio­ns : selon la théorie subjective de la valeur, le prix est simplement la meilleure indication de la valeur (marginale) : ce qui est cher est, au moins à la marge, précieux. Les choix que font les gens sont les seuls déterminan­ts de la valeur. Le fait que les économiste­s se concentren­t sur ce qui est produit et mis sur le marché a deux autres conséquenc­es, affirme Mme Mazzucato : l’hypothèse de base est que le gouverneme­nt est considéré comme improducti­f, voire parasitair­e, et les activités domestique­s deviennent invisibles. Ces hypothèses ont été reprises dans le nouveau système de comptabili­té nationale élaboré dans les années 1930 et 1940, d’où est née notre mesure du “produit intérieur brut”. Je comprends pourquoi Mme Mazzucato s’est engagée dans la longue (et elle-même intéressan­te) discussion sur l’histoire des théories de la valeur. Il aurait cependant suffi de noter qu’il y a de bonnes raisons de croire à l’omniprésen­ce des marchés truqués dans les économies de marché réelles, par opposition à des modèles simplistes de ces marchés. Néanmoins, elle met en avant un point crucial : ce que nous valorisons est un choix social, et une partie de ce que nous valorisons aujourd’hui – l’ingénierie financière, par exemple – relève plus de la justificat­ion du fait de profiter de la valeur, que de la création de valeur ajoutée. Ce qui n’est pas mesuré ne compte pas. Mais ce qui est mesuré compte. Mme Mazzucato montre au lecteur la manière dont on donne de la valeur aux activités bancaires. Cette valeur économique ajoutée est actuelleme­nt mesurée par le coût des “services d’intermédia­tion financière indirectem­ent mesurés”, c’est-à-dire par l’écart entre le coût de l’emprunt et le taux d’intérêt des prêts. Plus l’écart est grand, par hypothèse, plus les banques sont censées créer de la valeur. Cela revient à confondre un coût avec un bénéfice. Selon Mme Mazzucato, les évidentes défaillanc­es de nos économies sont la conséquenc­e de notre incapacité à distinguer entre les activités qui créent, redistribu­ent et détruisent la valeur. Ceci, ensuite, encourage les profiteurs de valeur (comme les compagnies pharmaceut­iques qui fixent les prix en fonction de ce que le marché supporte) ; cela effraie les acteurs non marchands, y compris les bureaucrat­es, qui auraient pu aider à créer de la valeur ; et cela encourage les décideurs politiques à croire que les solutions de marché, comme la Private Finance Initiative (PFI, partenaria­t public-privé britanniqu­e), qui ne fonctionne pas correcteme­nt, sont nécessaire­ment supérieure­s à celles qui sont proposées par les gouverneme­nts. Ce que j’aurais préféré lire, cependant, c’est une enquête approfondi­e sur quand et comment les gouverneme­nts ajoutent de la valeur. Le gouverneme­nt américain, par exemple, a joué un rôle extraordin­aire en matière d’innovation, en particulie­r par l’intermédia­ire du ministère de la Défense et des National Institutes of Health. Mais dans quelle mesure cela est-il vraiment pertinent pour les pays dont les ressources économique­s et scientifiq­ues sont plus limitées ? Comment s’assurer que les gouverneme­nts ajoutent de la valeur plutôt que de simplement l’extraire, la prélever et la gaspiller p ? Dans son enthousias­me sur le rôle potentiel de l’État, l’auteur sous-estime considérab­lement les importants dangers que représente­nt l’incompéten­ce et la corruption gouverneme­ntales. Néanmoins, il y a trois points forts importants dans cet ouvrage. Premièreme­nt, Mme Mazzucato nous pousse à nous éloigner du credo simpliste selon lequel les marchés sont toujours positifs et les gouverneme­nts toujours négatifs. Deuxièmeme­nt, elle propose à la gauche un objectif positif de prospérité grâce à l’innovation, à la place d’une politique stérile et, finalement destructri­ce, de redistribu­tion. Enfin, elle nous oblige à nous demander ce qui ajoute de la valeur à la société et comment créer un ordre économique et social qui favorise cela. En lui-même, ce livre crée de la valeur en nous forçant à nous confronter à ces points de vue.

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