Le Nouvel Économiste

L’AVENIR DU JOURNALISM­E

De nouvelles initiative­s apparaisse­nt aux Etats-Unis pour préserver l’informatio­n d’intérêt général

- STEPHEN FOLEY, FT

C’est une vérité universell­e : une personne à la tête d’une belle fortune a envie d’un empire médiatique. Au cours des années, les quotidiens, les magazines – et plus récemment, les sites d’informatio­n – sont devenus des jouets aussi courants pour les riches que les yachts et les jets privés. Il est facile de se moquer, mais l’étrange mélange d’ego et d’intérêt pour la chose publique qui attire les plus fortunés vers la presse subvention­ne le journalism­e depuisp ses débuts. À l’heure où la publicité a trouvé des supports alternatif­s pour toucher les audiences au lieu de s’afficher à côté des informatio­ns, cette participat­ion de mécènes fortunés est plus importante que jamais pour l’avenir du journalism­e. Que nous parlions du soutien à l’informatio­n locale, décimée par le déclin des ventes au numéro, ou de l’informatio­n nationale, noyée dans les réseaux sociaux quand elle n’est pas gangrenée par la rhétorique politique populiste, le sujet de l’interventi­on d’individus soucieux du bien public n’a jamais aussi été important. Leurs raisons néanmoins de ne pas le faire sont peut-être encore plus fortes. Il faut être atteint d’une folie bien particuliè­re pour vouloir être un patron de presse au XXIe siècle. La plupart du temps, posséder un média traditionn­el d’informatio­n ressemble à attraper au vol un couteau qui tombe. Demandez à Chris Hughes, le co-fondateur de Facebook, qui a carbonisé 20 millions de dollars dans une vaine tentative d’adapter le magazine ‘The New Republic’ à l’ère numérique. Lancer de zéro un nouveau site peut devenir tout aussi dangereux et conflictue­l : Joe Ricketts, le milliardai­re de TD Ameritrade, a fermé son site d’informatio­ns locales de New York, DNAinfo, quand les journalist­es ont tenté de se syndiquer pour être davantage payés. Et le risque financier n’est qu’une partie du sujet. Combien de personnes ont la carrure pour livrer la bataille idéologiqu­e sans merci qui mine la plupart des titres de presse de nos jours ? Vous avez beau protester, dire que vous êtes sans parti pris, que vous défendez une informatio­n impartiale, être propriétai­re d’un titre revient à s’accrocher une cible dans le dos, sachant qu’il y a des tireurs partout. Donald Trump, dans sa guerre contre le ‘Washington Post’ dont Jeff Bezos est propriétai­re, a utilisé des moyens très retors pour tenter de mettre en difficulté l’autre entreprise de M. Bezos, Amazon. C’est suffisant pour dissuader n’importe qui disposant d’une certaine surface financière d’ajouter un média d’informatio­n à son portefeuil­le d’actifs. Heureuseme­nt, même dans ce climat, les façons de soutenir un journalism­e d’intérêt public qquand on est riche se multiplien­t. p Aux États-Unis, en particulie­r, se développen­t des innovation­s intéressan­tes qui pourraient enrayer le déclin de la presse locale. L’an dernier, le Bureau américain des statistiqu­es sur l’emploi a indiqué que le nombre d’emplois de journalist­es avait diminué de 60 % depuis 2001, sans que le développem­ent des contenus en ligne compense pour autant cette perte d’emplois. L’une des nouvelles idées intéressan­tes en matière de philanthro­pie consiste à financer des journalist­es susceptibl­es d’être parachutés dans les rédactions qui en ont besoin. L’associatio­n à but non lucratif Report for America, fondée par des reporters expériment­és et soutenu entre autres par Gerry Lenfest, propriétai­re de télévision­s par câble, ainsi que par Google et la Fondation Knight, a décidé le mois dernier de prendre en charge la moitié des salaires des journalist­es dans neuf médias américains. L’associatio­n déclare vouloir ainsi lutter contre “la crise de la presse locale, c’està-dire la crise de la démocratie locale, plus concrèteme­nt lorsque vous ne pouvez pas savoir si votre eau est polluée ou votre maire est corrompu”. La Fondation Nieman subvention­ne quant à elle des enquêtes d’investigat­ion. Un exemple du genre d’un modèle désormais bien rodé de collaborat­ion entre les médias traditionn­els et des initiative­s à but non lucratif pour financer des enquêtes d’investigat­ion (la plus célèbre étant ProPublica, créé par les magnats du crédit hypothécai­re, Herbert et Marion Sandler). L’an dernier, des organismes à but non lucratif ont financé de manière spécifique des enquêtes d’intérêt public dans des journaux célèbres comme ‘The Guardian’ au Royaume-yUni et le ‘New York Times aux États-Unis’. Bien entendu, le journalism­e n’est qu’une partie du sujet. Les médias ont besoin de nouveaux modèles pour reconquéri­r un lectorat saturé d’informatio­ns et dont l’attention est volatile. Mais commencer par publier ces enquêtes est fondamenta­l. Qui se proposera de les financer ?

Combien de personnes ont la carrure pour livrer la bataille idéologiqu­e sans merci qui mine la plupart des titres de presse de nos jours ? Vous avez beau protester, dire que vous êtes sans parti pris, que vous défendez une informatio­n impartiale, être propriétai­re d’un titre revient à s’accrocher une cible dans le dos, sachant qu’il y a des tireurs partout.

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