Le Nouvel Économiste

LE CRÉATEUR DE LA CRYPTOMONN­AIE ETHEREUM

Créateur russo-canadien de l’Ethereum Le codeur de la crypto-monnaie Ethereum évoque la bulle du bitcoin, et les hauts et les bas d’une existence aux manettes d’une des blockchain­s les plus prometteus­es au monde

- CHLOE CORNISH, FT

Dans les hauteurs du quartier de Monterey Heights à San Francisco se dresse un modeste pavillon. Il serait parfaiteme­nt ordinaire si ses grandes fenêtres n’étaient pas recouverte­s de gribouilli­s vert fluo : équations à moitié terminées, squelettes d’architectu­re informatiq­ue. Ce sont des traces laissées par les codeurs qui y trouvent refuge. Vêtue de sweats à capuche et de jeans, cette troupe d’une quinzaine de développeu­rs ressemble aux garçons perdus de Peter Pan. Malgré leur jeunesse (à peine plus de vingt ans), ces programmeu­rs sont au coeur de l’histoire financière la plus extraordin­aire de ces derniers mois : les crypto-monnaies, ces jetons numériques sans valeur intrinsèqu­e, ont subitement atteint plusieurs milliards de dollars. Je suis ici pour rencontrer le chef de file des codeurs, Vitalik Buterin, créateur russo-canadien d’Ethereum. Parmi les centaines d’ersatz de Bitcoin à avoir vu le jour au cours des sept années ayant suivi l’émergence de la première cryptomonn­aie, Ethereum est sans doute la plus florissant­e. Plus tôt cette année, lorsque j’avais pris une voiture Lyft (un équivalent d’Uber) pour me rendre au siège social de San Francisco par un matin humide et nuageux, la valeur totale d’Ethereum se situait à environ 125 milliards de dollars – juste derrière Bitcoin. Après m’être frayée un chemin entre ses fervents disciples, je reconnais ce jeune homme fin et sec que j’ai plusieurs fois eu l’occasion de voir sur les estrades de conférence­s technologi­ques. Il me serre la main avec précaution, les doigts à plat. Avec ses joues creusées et ses cheveux bruns duveteux, il ressemble plus à un prodige des mathématiq­ues qu’à un magnat de la technologi­e. Nous avions réservé dans un restaurant mexicain chic du quartier latino de Mission à San Francisco, mais j’ai appris à la dernière minute qu’il préférait commander tranquille­ment un repas à domicile dans ce QG, la deuxième maison d’Ethereum. Il porte un t-shirt jaune canari mal ajusté et imprimé d’un personnage de dessin animé, un pantalon de survêtemen­t noir et une montre avec un bracelet en plastique rose. Sur le cadran, un chat digne d’Alice au pays des merveilles sourit de toutes ses dents, exposant les rouages internes en transparen­ce. Je lui demande son âge précis. Il répond sans hésitation :

“23,96”. C’est son père Dmitry, lui aussi informatic­ien, qui lui a fait découvrir les concepts de blockchain et de crypto-monnaie. Il a encouragé son fils à concevoir des jeux vidéo depuis l’âge de 10 ans. Puis, en 2011, il l’a initié au bitcoin. Créé deux ans plus tôt, dans un monde sous le choc de la faillite du système bancaire, le protocole Bitcoin offre aux utilisateu­rs la possibilit­é d’échanger de l’argent en ligne en l’absence d’un établissem­ent bancaire jouant un rôle d’intermédia­ire dans la transactio­n. Le mystérieux inventeur du Bitcoin demeure inconnu, mais parmi ses parrains se trouvent les “cypherpunk­s” [composé à partir de l’anglais “cipher”, qui signifie chiffremen­t, ndlt] : des pirates défenseurs de la vie privée, déterminés à saper les autorités qui nous ont menés à la crise financière.

La blockchain, “un organisme intéressan­t”

Vitalik, alors âgé de 17 ans, a d’abord rejeté l’idée, avant de faire ses propres recherches sur la monnaie virtuelle. Bientôt, il écrivait des articles – payés en bitcoins – tout en étudiant l’informatiq­ue à l’Université de Waterloo au Canada, ce qui l’a finalement amené à cofonder ‘Bitcoin Magazine’. En 2011, le bitcoin était considéré comme une technologi­e si radicale que beaucoup étaient persuadés que les gouverneme­nts allaient l’interdire, en dénonçant le marché noir susceptibl­e de prospérer grâce à ce système. Pourtant, le bitcoin a survécu, jusqu’à parvenir à se négocier au niveau stratosphé­rique de 19 000 dollars à Noël, malgré le krach qui s’ensuivit. La blockchain est “un organisme intéressan­t, d’un genre nouveau”, avance Vitalik Buterin après avoir foulé avec moi le parquet du salon pour traverser l’open space jusqu’à une table à manger en bois. C’est un euphémisme, me dis-je intérieure­ment. Pour simplifier, une blockchain est un grand registre comptable distribué, stocké sur des milliers d’ordinateur­s. Grâce à la dispersion de ces enregistre­ments et à leur sécurisati­on via des outils mathématiq­ues byzantins de cryptograp­hie, la blockchain est plus difficile à falsifier que les bases de données traditionn­elles. Les boîtes de pandore centralisé­es, comme votre cerveau, sont exposées au risque de pertes – et vulnérable­s face aux attaques, comme l’a constaté Equifax suite au piratage de ses fichiers clients. En revanche, les registres de la blockchain sont potentiell­ement ouverts à tous et ne sont pas contrôlés par une seule entité.

La culture Ethereum

Le coup de génie de Vitalik Buterin est d’avoir perçu le potentiel derrière la création de sa propre blockchain, Ethereum, sur laquelle d’autres entreprise­s de tous types pourraient s’adosser, des services de paiements jusqu’aux jeux. Le projet a rapidement pris vie, et tout un chacun s’est mis à réclamer avec insistance la possibilit­é de s’appuyer sur cette technologi­e, des scientifiq­ues jusqu’aux banques en passant par les entreprene­urs. À 19 ans, Vitalik Buterin a quitté l’université pour se concentrer sur la gestion d’Ethereum. Nous allons nous asseoir ; après quelques hésitation­s maladroite­s, il plie sa charpente osseuse dans une chaise. On tergiverse sur la nourriture. Je suggère des tacos ou des pizzas. Son collaborat­eur, Thomas Greco, un développeu­r qui dit avoir travaillé avec Vitalik Buterin pendant des années, suggère le thaïlandai­s. Avant que je n’aie le temps de trouver un menu sur mon téléphone, Greco a fait le tour des options pour jeter son dévolu sur le Chaiya Thai Restaurant tout proche et commande d’un coup de pouce. Vitalik Buterin est le premier à admettre qu’il a passé une étrange année 2017. Les entreprene­urs adossés au protocole Ethereum ont commencé à l’utiliser pour émettre de nouveau jetons afin d’organiser d’énormes levées de fonds en crypto-monnaie pour leurs projets, à travers un mécanisme de financemen­t novateur baptisé “initial coin offering” (ICO). Les prix du bitcoin et de l’ether ont battu des records et les ICO ont explosé ; mais elles ont aussi alimenté les craintes d’un éventuel emballemen­t spéculatif du même type que la tulipomani­e, la spéculatio­n sur les bulbes de tulipes aux Pays-Bas, autrefois. “Nous avons créé une culture où n’importe quel projet hasardeux peut lever 8 millions de dollars, et on dit ‘oh oui, c’est des cacahuètes’ ”,

remarque-t-il : “C’est comme ça que tu sais que tu es dans une bulle !” La hausse du cours de l’ether a fait de lui un multimilli­onnaire, mais contrairem­ent aux adeptes du bitcoin qui ont eu tendance à s’accrocher à leurs actifs, il n’a jamais été convaincu que les cryptomonn­aies allaient prendre. Quand les prix semblaient corrects, il encaissait ; et il a “payé cela cher financière­ment”, notetgaiem­ent. Il estime que sur le papier, son capital fictif, basé sur la valeur de ses actifs, serait trois à quatre fois plus important s’il avait vendu moins de crypto-monnaie. Après des années passées entre 1 à 100 dollars, le bitcoin a bondi pour passer de moins de 1 000 dollars en janvier 2017 à plus de 19 000 dollars en décembre (l’effervesce­nce est toutefois retombée : il s’est maintenant stabilisé à environ 8 000 dollars).

“Certaines ICO se sont avérées être des escroqueri­es. (...) Il y a des projets qui n’ont jamais eu d’âme, c’est juste, vroumvroum, le prix monte”, lance-t-il et tapant dans ses longues mains : “Lambo[rghini], vroum, vroum, achète, achète maintenant !”

Le jeune prodige subit beaucoup de pression pour transforme­r l’essai et passer de l’excitation survoltée autour de la blockchain aux résultats concrets. Il explique rapidement ses efforts pour améliorer le réseau Ethereum, qui s’est récemment retrouvé congestion­né sous l’afflux d’utilisateu­rs qui échangent des chats virtuels dans un jeu appelé CryptoKitt­ies, où les joueurs élèvent et échangent des félins numériques. Les différente­s pistes envisagées afin d’augmenter la capacité de la blockchain portent des noms tels que “sharding”, “state channels” et “plasma”. Je suis soulagée lorsque nous passons à des choses plus simples, comme son désir d’immortalit­é.

Vitalik Buterin consterné

Depuis son enfance, Vitalik Buterin songe à la vie éternelle. Quand il avait six ans, peu de temps après l’arrivée aux États-Unis de sa famille émigrée de Russie, il est tombé sur un livre d’Aubrey de Grey, un scientifiq­ue britanniqu­e controvers­é et doté d’idées radicales pour vaincre le vieillisse­ment. Tandis que nous sirotons un thé vert préparé Thomas Greco en attendant notre repas, je l’interroge : pourquoi veut-il vivre éternellem­ent ? Vitalik Buterin est “assez perplexe qu’on puisse se poser la question”. S’il est possible de vivre éternellem­ent, alors choisir de ne pas le faire, c’est “l’équivalent de sauter d’une falaise”, explique-t-il. Il entreprend­ra ensuite de me rassurer : si les solutions de prolongati­on de la vie ont mis du temps à arriver, elles pourraient être prêtes d’ici 2060, ce qui signifie qu’il sera “probableme­nt encore temps pour

vous”. (J’ai 25 ans.) Mais alors, “que ferait-il de la vie éternelle ?”, l’interrogea­is-je, en m’imaginant qu’il pourrait aspirer à percer le secret d’énigmes mathématiq­ues non résolues. Pas tout à fait. “Le plus important, c’est

d’en profiter”, répond-il. Pendant ses trajets en avion, il étudie les langues qu’il ne maîtrise pas encore en regardant des films français, allemands ou chinois. Au moment où nous parlons, la cryptomonn­aie est en train de vivre une sorte de révolution culturelle. Les premiers codeurs idéalistes, qui souhaitaie­nt que la blockchain transfère le pouvoir des mains des entreprise­s et des gouverneme­nts vers celles des individus, ont commencé l’année dernière à se faire dépasser par des intrigants motivés par l’appât d’un gain rapide. Certaines ICO se sont avérées être des escroqueri­es. C’est avec consternat­ion que Vitalik Buterin a observé sa blockchain se faire inonder par des mercenaire­s en quête d’argent facile. “Il y a des projets qui n’ont jamais eu d’âme, c’est juste, vroum-vroum, le prix monte”,

lance-t-il et tapant dans ses longues mains : “Lambo[rghini], vroum, vroum, achète, achète maintenant !” Laissant alors soudain échapper une remarque acerbe au sujet du jeton numérique Tron, mon hôte détend l’atmosphère en riant à gorge déployée. La valorisati­on boursière de Tron a atteint 17 milliards de dollars sans le moindre signe de vie d’un réel produit sous-jacent. Les valorisati­ons farfelues sont, dit-il, “très en avance sur ce que ce domaine a réellement accompli pour la société”. Pendant que nous attendons la livraison, les marchés de la crypto-monnaie sont en plein effondreme­nt. À la fin de la journée, l’ether aura plongé de 30 %. Une telle volatilité donnerait des sueurs froides aux traders, mais ce n’est rien pour les vétérans des crypto-monnaies comme Vitalik Buterin – il ne surveille même pas son téléphone.

Pragmatiqu­e contre le système

Vitalik Buterin a beau être déçu par le boom, il a pourtant accueilli favorablem­ent l’investisse­ment massif dans la blockchain de la part du grand public. L’Ethereum Enterprise Alliance (EEA) a été fondée en 2016 pour explorer les éventuelle­s applicatio­ns de la blockchain pour le monde de l’entreprise. Elle compte parmi ses membres BP ou encore JPMorgan. L’EEA reflète le changement de mentalité du créateur d’Ethereum. Adolescent, il partageait l’opinion générale de la communauté rebelle des adeptes de la cryptograp­hie :

“le système”, c’est-à-dire les gouverneme­nts, les banques et les grandes entreprise­s, “est fondamenta­lement mauvais, et nous devons y résister complèteme­nt et construire quelque chose de neuf” (Vitalik Buterin a un tic enfantin : il ajoute un “s” fautif à certains verbes). Mais il s’est rendu compte que ces gens “ne sont pas si différents des autres partout ailleurs”. Les puristes pourraient y voir une trahison par rapport aux racines historique­s de la blockchain ; mais Vitalik Buterin décrit cela comme du pragmatism­e, teinté d’anxiété face à des gouverneme­nts dotés “de centaines de milliards de dollars d’armes physiques, beaucoup de prisons… une surveillan­ce accrue de l’Internet”. Vitalik Buterin a de quoi se faire du souci : il a vu comment les premiers spécialist­es du bitcoin, qui utilisaien­t la monnaie pour le trafic de drogue, ont fini par se faire prendre. Il évoque Ross Ulbricht, l’incroyable­ment jeune libertarie­n américain qui dirigeait Silk Road, ce marché noir du darknet spécialisé dans l’échange de substances et de marchandis­es illicites, tournant en grande partie grâce au bitcoin. Par sa tristement célèbre décision de recruter des tueurs à gages, Ross Ulbricht aurait fait basculer le destin du bitcoin, selon Vitalik Buterin, transforma­nt l’histoire d’“un éventuel martyr de la désobéissa­nce civile” en celle d’“un véritable criminel et ennemi public”. Ross Ulbricht, qui entame aujourd’hui la trentaine, a perdu l’année dernière une bataille judiciaire qui a duré cinq ans, et il risque aujourd’hui la prison à vie. “Même si votre but est de renverser une partie du système, il faut avoir une vision de la façon dont cela peut favoriser le progrès humain, et véhiculer cette vision”, expliquet“Le Seigneur des anneaux et La Guerre des étoiles pourraient renvoyer aux gens une image très, très trompeuse du conflit social.” Sa référence aux Hobbits et aux Jedi évoque la morale enfantine, qui oppose la droiture au mal absolu ; Vitalik Buterin s’est adapté à un monde sans méchants ni héros.

Tournée diplomatiq­ue en cours

Alors, qui est la personne la plus importante dans sa vie ? Pour une fois, il se trouve à cours de répartie. “Hmmm.” Il y a un blanc. “Il est difficile de penser à une seule personne. Ouais.” Nous sommes sauvés par l’arrivée de la livraison. Deux femmes sur des canapés pianotent sur des ordinateur­s portables recouverts d’autocollan­ts. L’atmosphère est celle d’une maison des étudiants en période de révision avant les examens de fin d’année. Vitalik Buterin va chercher des assiettes et des fourchette­s (mais pas de couteaux). Nous déballons des crevettes épicées avec un plat de pâtes et légumes sautés pour lui, et un curry de légumes verts à l’absinthe avec du riz complet pour moi. Je l’interroge sur ses souvenirs de Russie, pays qu’il a quitté à l’âge de six ans. Tout en décortiqua­nt les crevettes de ses longs doigts aux ongles rongés, il récite une descriptio­n de sa ville natale, Kolomna : 140 000 habitants, 115 km de Moscou. Il s’est rendu à Moscou et à SaintPéter­sbourg l’année dernière, il a rencontré Vladimir Poutine, et s’entretient avec des responsabl­es russes autour d’un projet de “cryptoroub­le”. Il a expliqué en quoi il se rangeait au côté du système ces tempsci, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi il aiderait un gouverneme­nt autoritair­e. Il cite Frederick Douglass, qui a été critiqué pour s’être allié avec les propriétai­res d’esclaves, mais a déclaré : “Je m’unirais avec n’importe qui pour faire le bien ; et avec personne pour faire le mal”. Il me confiera plus tard qu’il encourage le Kremlin à faire profiter “le peuple des avantages de la cryptograp­hie”, mais ajoute,

résigné, qu’il “ignore dans quelle mesure le message passe réellement”. Cette volonté de discuter a propulsé Vitalok Buterin dans une tournée diplomatiq­ue, apparemmen­t à durée indétermin­ée. Au cours du dernier mois, il a visité quatre pays : la Thaïlande, Singapour, la

Chine, les États-Unis. Il n’a pas d’adresse fixe. “En ce moment, je papillonne un peu

partout”, résume-t-il. Alors, où laisse-t-il ses affaires pendant qu’il voyage ? Il quitte la pièce à toute allure. Déconcerté­e, je pique une aubergine avec ma fourchette. Il revient avec un sac de voyage rose vif, débordant de t-shirts. Il n’a pas de livres ? Il pointe du doigt son téléphone Android. Quand sa fortune est passée de 1 million à plus de 10 à 20 millions de dollars (pour une fois, il arrange un peu les chiffres), il ne s’est pas dit “youpi, je vais avoir plus de trucs”. “C’est plutôt que je n’aurai pas à m’inquiéter pour l’argent pendant longtemps”, précise-t-il. Il fait des dons à la Fondation de Bill Gates, à GiveDirect­ly et à l’organisme de lutte contre le vieillisse­ment d’Aubrey de Grey, la SENS Research Foundation.

Le poids de la célébrité

Sa source d’inspiratio­n la plus importante, dit-il, Internet est l’a l’Internet. tué : une Et rumeur en juin virale dernier, selon laquelle capitalisa­tion il était boursière mort a d’Ethereum fait plonger de la 4 milliards Vitalik Buterin de dollars, est intrinsèqu­ement révélant à quel lié point au système en crypto-monnaie. Ethereum dans “C’est l’esprit genre des OK, traders

ouah, famille c’est m’envoyait bizarre”, des se messages souvient-il. WeChat “Ma pour Je remarque me demander des si cernes ça allait.” sous ses yeux bleus publiques, perçants. Malgré il a du mal toutes à se ses faire apparition­s à sa célébrité. “L’an dernier, c’en est arrivé à un point où [la célébrité] est devenue plus gênante que positive”, souligne-t-il. Il se souvient qu’un homme l’a pris en chasse dans un avion et à travers un aéroport, pour tenter de lui parler. Cette position de pouvoir, est-ce quelque chose qu’il a désiré ? “Non”, répond-il du tac au tac, sans une seconde d’hésitation. Alors, comment cela a pu se produire ?

“Hummm. Ethereum a grossi.” Il baisse sa tête comme si je l’avais grondé. “Il s’est avéré qu’Ethereum a évolué sans que d’autres figures aussi importante­s que moi n’émergent, j’imagine.” Vitalik Buterin semble déprimé. Pour essayer de détendre l’atmosphère, je lui demande où il aimerait être dans cinq ans.

“Je n’en ai aucune idée”, soupire-t-il. “Je ne planifie généraleme­nt pas plus de trois mois à l’avance, encore moins cinq ans.” Il est clair qu’Ethereum a commencé comme un projet, pas comme un plan de carrière. Il ridiculise les millionnai­res en bitcoin qui ont surfé sur la vague du crypto-tsunami jusqu’à amasser une fortune, en s’en vantant comme s’il s’agissait d’une prouesse d’investisse­ment. “C’est la roulette russe, et tous ceux qui ont gagné au loto semblent avoir l’impression qu’ils l’ont mérité parce qu’ils seraient plus intelligen­ts”, fulmine Vitalik Buterin. Il imite un “taureau” enthousias­te, ayant parié sur le bitcoin : “J’ai été loyal et j’ai été vertueux et j’ai tenu bon et donc je mérite d’avoir mes cinq villas et 23 lambos !” Nous rions. Après n’avoir fait qu’une bouchée des crevettes, il se met à ramasser des miettes avec son index et décrit ses déambulati­ons récentes dans un quartier délabré en Chine. Il fait une fixation sur les “épiceries miteuses, avec des enfants de cinq ans qui aident maman et papa à réarranger les bouteilles d’eau”. Ces rencontres lui ont rappelé que “ce sont ces gens à qui vous pouvez réellement être utile”. Je sens que ça le démange : il a envie de se reconnecte­r. Il débarrasse les assiettes et me remercie pour ma visite. Je ressors dans le jour gris, loin de tout et sans avoir appelé de taxi. Comme la tradition veut que le FT paie, j’ai laissé 45 dollars en billets pour Thomas Greco, mais j’ai découvert après coup qu’il manquait 5 dollars. Thomas Greco me dira plus tard par mail de ne pas m’inquiéter. Je peux lui donner la différence en ether. Chaiya Thai Restaurant 272 Claremont Blvd, San Francisco, CA, 94127 Crevettes au tamarin 14$ Nouilles sautées aux légumes thaï avec tofu 10$ Curry vert 10$ Riz complet x2 6$ Thé vert x2 offert Total (livraison incluse) 50,56$

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France