L’État-pprovidence réclame une mise à jour
Ses créateurs n’avaient pas prévu le vieillissement de la population, l’immigration de masse ou la gig economy
En juin 1941, William Beveridge quitta le bureau du ministre britannique Arthur Greenwood les larmes aux yeux. William Beverage était un haut fonctionnaire et un universitaire célèbre. Il venait de réclamer un poste de premier plan pour participer à l’effort de guerre. Cet homme de 62 ans était brillant, mais il était aussi obsessionnel, imbu de lui-même et guindé. Pour s’en débarrasser, Arthur Greenwood lui confia ce qui semblait être une mission sans lustre : réformer le système de protection sociale britannique. Ce qqui en sortit furent les ggrandes lignes de l’État-providence moderne. En décembre 1942, après avoir rempli sa mission jusqu’à l’en faire exploser, William Beveridge publia son rapport sur les remèdes aux “Cinq géants”: la maladie, l’inactivité, l’ignorance, l’insalubrité et le besoin. Il proposa de nouvelles allocations pour les retraités, les handicapés et les chômeurs, une allocation universelle pour les enfants...
Quand une allocation estelle un droit et quand doitelle être soumise à des conditions de comportementp ? À partir de quel moment les allocations sapent-elles l’envie de travailler ? Combien un État peut-il se permettre de dépenser ?
En juin 1941, William Beveridge quitta le bureau du ministre britannique Arthur Greenwood les larmes aux yeux. William Beverage était un haut fonctionnaire et un universitaire célèbre. Il venait de réclamer un poste de premier plan pour participer à l’effort de guerre. Cet homme de 62 ans était brillant, mais il était aussi obsessionnel, imbu de lui-même et guindé. Pour s’en débarrasser, Arthur Greenwood lui confia ce qui semblait être une mission sans lustre: réformer le système de protection sociale britannique.
Ce qqui en sortit furent les ggrandes lignes de l’État-providence moderne. En décembre 1942, après avoir rempli sa mission jusqu’à l’en faire exploser, William Beveridge publia son rapport sur les remèdes aux “Cinq géants”: la maladie, l’inactivité, l’ignorance, l’insalubrité et le besoin. Il proposa de nouvelles allocations pour les retraités, les handicapés et les chômeurs, une allocation universelle pour les enfants et un système de santé national. La veille de la publication de son rapport, une longue file d’attente se forma devant les imprimeurs. Les instituts de sondage constatèrent que ces propositions rencontraient une majorité d’opinions favorables dans toutes les classes sociales. Le texte fut traduit en 22 langues et la Royal Air Force largua des résumés du texte sur les troupes alliées et derrière les lignes ennemies. Deux copies, couvertes de notes en marge, ont été retrouvées dans le bunker de Hitler.
Un tel zèle ppour ppromouvoir l’Étatprovidence est rare de nos jours. À droite, ses critiques l’accusent de casser le dynamisme du capitalisme et des individus. Pour Paul Ryan, le loquace porte-parole des républicains au Congrès américain, il ne s’agit pas d’un filet de sécurité mais d’un “hamac” qui “endort les personnes capables et les entraîne dans des vies de dépendance et de complaisance”.
Peter Sloterdijk, un philosophe allemand, le compare à une “kleptocratie fiscale”.
La gauche, quand elle s’exprime avec la nostalgie couleur sépia d’hommes politiques tels que Jeremy Corbyn, le dirigeant du parti travailliste britannique, assure que le “welfare state” est né grâce à elle et qu’il est exposé à des menaces incessantes. Il est vrai qu’il fait face à des défis profonds: le vieillissement de la population, l’immigration et la nature plus variée du travail, dont Beveridge n’avait pas à se préoccuper.
Le soutien de l’opinion publique a faibli. L’enquête nationale britannique sur les “attitudes sociales” montre par exemple qu’au fil des générations successives, les sondés sont toujours moins fiers de leur protection sociale. En Amérique, les opinions se calquentq toujoursj pplus sur des courants politiques partisans. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la plupart des républicains étaient d’avis que le gouvernement devait assurer aux citoyens de quoi manger et avoir un endroit où dormir. Aujourd’hui, la plupart ne sont plus de cet avis, selon les données de l’institut de sondages Pew.
Le mot “welfare” (bien-être) pourrait être une partie du problème. En Suède, on parle de Folkhemmet (la maison du ppeuple),p), en Allemagneg de Sozialstaat (État social),), mais c’est l’expression “welfare state” (État du bien-être) qui s’est imposée dans les pays anglophones. Beveridge la détestait : il trouvait qu’elle impliquait p un “État-Père Noël”, auxantiq podes de sa conception de la responsabilité personnelle. Historiquement, “welfare” a un sens large mais le mot est souvent associé à l’assistance aux pauvres, surtout en Amérique. Ce n’est pourtant qu’une petite partie de ce que le welfare state couvre et fait.
Et de fait, ses origines et ses buts sont très souvent mal compris. Ce n’est pas tant une création de la gauche que le produit d’une coalition intellectuelle dont le libéralisme a été le fil rouge. Les libéraux comme Beveridge pensaient que les gens devaient avoir plus de responsabilités sur leur propre vie, mais que le gouvernement devait les y aider. Ils ne voyaient pas le welfare comme de la charité industrielle, mais comme un complément au capitalisme de libre-échange. g
L’État dit social remonte à bien avant la forme moderne qui en a émergé à la fin du XIXe siècle. La Rome antique distribuait des mesures de ggrains aux nécessiteux. À la Renaissance, des villes européennes, comme Ypres en Belgique, prélevaient des aumônes pour financer différents emplois destinés aux mendiants. Durant la révolution industrielle, l’Angleterre a construit des “workhouses” où les miséreux cassaient des cailloux et démêlaient des cordes en échange de nourriture et d’un lit.
Les temps difficiles
À la moitié du XIXe siècle, des marchés incontrôlés entraînèrent une demande de protection contre ses effets néfastes. Les oeuvres charitables et les églises ne parvenaient plus à lutter contre la pauvreté. L’exode rural de masse avait brisé les liens sociaux traditionnels. La pression venait de la gauche. Mais les conservateurs réagirent, eux aussi. Otto von Bismarck créa la première assurance sociale en Allemagne dans les années 1880. Partout en Europe, les autorités soutinrent les améliorations apportées à la santé publique et à l’éducation, car elles s’inquiétaient de l’aptitude des masses “dégénérées” à faire la guerre. Le welfare state fut donc aussi lié à l’émergence du nationalisme.
Mais comme Chris Renwick, un historien de l’université deYork, l’explique dans ‘Bread for All’ (Du pain pour tous), les premiers pas du welfare state “doivent le plus au libéralisme”.
Des “néolibéraux” comme John Stuart Mill et Leonard Hobhouse argumentèrent que la liberté exigeait d’assurer au peuple la santé, l’éducation et la sécurité nécessaires pour que chacun poursuive l’existence de son choix. Certaines de ces idées ont servi de base aux premiers systèmes étatiques de retraite et d’allocation-chômage en NouvelleZélande, en Australie, et durant la première décennie du XXe siècle, en Grande-Bretagne.
Le développement du welfare state a été accéléré par la Grande dépression et la guerre mondiale. La guerre avait jeté des soldats de toutes les classes sociales ensemble et cela créa un sens d’unité contre un ennemi commun. Comme les classes moyennes assumaient les risques, leur demande de soutien signifia que le welfare state devint plus qu’un mécanisme d’assistance aux pauvres. Beveridge rédigea son rapport dans cette atmosphère, et dut affronter des tensions qui agitent aujourd’hui encore le welfare state. Quand une allocation est-elle un droit et quand doit-elle être soumise à des conditions de comportement? À partir de quel moment les allocations sapentelles l’envie de travailler? Combien un État peut-il se permettre de dépenser ?
L’équilibre trouvé par Beveridge fut un équilibre libéral. Pour lui, il devait y avoir “du pain pour tous… avant de
la brioche pour n’importe qui”. Mais
les gens “ne devaient ppas ggrandir en considérant l’État comme un distrig buteur de cadeaux que personne n’a à payer.” Le gouvernement britannique d’après-guerre a mis en oeuvre la plus grande partie de son programme et les réformes se sont succédé à vive allure ailleurs. En 1954,
les institutions essentielles du welfare state étaient en place dans tout le monde développé : assurances sociales, soutien aux plus démunis assorti de conditions de ressources, soins médicaux gratuits ou subventionnés, droits sociaux et droits du travail. Cette année-là, le président Dwight Eisenhower déclara que si un politique tentait de démanteler la sécurité sociale, “vous n’entendrez plus parler de son parti dans notre histoire politique”.
L’interprétation du welfare state a toujours différé de pays à pays. Mais à partir des années 1970, les approches ont divergé toujours plus. En 1990, Gøsta Esping-Andersen, un sociologue danois, décrivait trois variantes de “capitalisme social”. D’abord, les versions “socio-démocrates” de la Scandinavie, avec leur dépense publique élevée, leurs syndicats forts, les allocations universelles et le soutien aux femmes qqui travaillaient. Deuxièmement, les États sociaux “conservateurs” comme l’Allemagne, construits autour de la famille nucléaire traditionnelle, avec un fort principe contributif. Enfin, le modèle anglo-américain, qui donne plus d’importance aux minima garantis qu’aux allocations universelles. La critiqueq la pplus courante contre les États-providence les plus matures est sans aucun doute d’avoir créé une culture de la dépendance. Les décideurs politiques ont alors imposé plus de conditions, par exemple l’obligation pour les bénéficiaires de prestations de chercher un emploi. Pour les aider, beaucoup de pays ont élargi leurs “politiques actives du marché du travail”, par exemple la reconversion professionelle. Pour autant, le welfare state n’a