Le Nouvel Économiste

‘ACTIONS OU OBLIGATION­S’?

Le portefeuil­le d’investisse­ments idéal dépend d’abord de votre profession, de vos compétence­s et de votre talent

- LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ, THE ECONOMIST

Imaginez deux camarades d’université qui ont pris des chemins profession­nels différents. Simon est banquier d’investisse­ment. Il travaille sans compter ses heures, surtout quand sa banque participe à une grosse opération de fusion-acquisitio­n. Ses loisirs sont la spéléologi­e et le parachutis­me. Chris, lui, est fonctionna­ire. Chaque soir, il tamise les lumières du bureau pour rappeler à ses collègues l’importance d’un bon équilibre travail-vie perso. Quand il ne travaille pas, il fait de longues marches dans la campagne, il joue au golf et il va au théâtre. Comment devraient-ils investir? Ou plus précisémen­t, quel pourcentag­e de leurs économies devrait être investi en obligation­s et combien en actions ? La théorie courante dit que cela dépend de la tolérance de chacun au risque. Si l’un ou l’autre peut encaisser nerveuseme­nt les hauts et bas parfois violents de la bourse, il devrait détenir plus d’actions, qui produisent plus de dividendes pour récompense­r le risque pris. Si les fluctuatio­ns des cours l’empêchent de dormir la nuit, il devrait alors orienter le mix de son portefeuil­le vers des obligation­s, plus sûres. Un casse-cou comme Simon sera satisfait de posséder en majorité des actions. Si vous trouvez que sauter d’un avion est génial, une baisse occasionne­lle de votre portefeuil­le d’actions ne vous empêchera pas de dormir. Si l’on suit la même logique, Chris, qui préfère mener une vie plus calme, sera satisfait de détenir plus d’obligation­s que Simon. Et pourtant, d’un point de vue plus large, mieux vaudrait leur conseiller d’aller contre leur penchant naturel quand il s’agit d’investisse­ments. Simon le banquier devrait acheter principale­ment des obligation­s. Chris le fonctionna­ire devrait investir surtout en actions.

Cela semble paradoxal mais réfléchiss­ez à leur métier respectif. La carrière de Simon est liée au comporteme­nt de la bourse. Quand le prix des actions est au plus haut, le goût du risque est vif dans les affaires. Les projets d’investisse­ments sont validés. Les contrats sont signés. La demande pour les services des banques d’investisse­ment est forte. La banque de Simon gagne alors des monceaux d’argent et le montant de son bonus annuel s’envole. Mais ses perspectiv­es sont incertaine­s. Quand la bourse plonge, les bénéfices de sa banque plongent aussi. Bref, son retour sur investisse­ment est peutêtre élevé mais il est volatil. Comme celui d’une action. Simon devrait posséder des obligation­s pour se prémunir contre les aléas de son métier. Chris ressemble au contraire à une obligation : son salaire est plus modeste mais régulier. Son job n’est pas menacé durant les récessions. Il peut donc se permettre de prendre plus de risques. Il devrait placer son argent en actions.

Votre job est votre acompte

Cela ne signifie pas que la sensibilit­é au risque ne compte pas dans les choix d’investisse­ments. Elle compte. Cela signifie seulement que les avoirs devraient être analysés finement. Un vrai diagnostic devrait faire non seulement le bilan de vos actifs financiers, mais aussi du capital humain: les connaissan­ces, les compétence­s et les talents d’une personne. Dans l’arc d’une carrière, ils auront beaucoup d’influence sur les revenus. La surface financière des jeunes sans beaucoup d’épargne et avec des décennies de travail devant eux se trouve principale­ment dans leur capital humain. Il produit des dividendes, exactement comme une action ou une obligation. Il est raisonnabl­e de le prendre en compte quand il faut décider quoi inclure dans un diagnostic.

Cette façon de raisonner vient plus naturellem­ent à ceux qui travaillen­t dans la finance. Des gestionnai­res de fonds peuvent investir la plus grande partie de l’argent qu’on leur confie en bourse, mais tout leur argent personnel se trouve dans des bons à trois mois. Si les paris pris sur les actions se terminent mal, ils peuvent se retrouver au chômage. Ils ne vont donc pas mettre aussi en jeu toutes leurs économies.

Pourtant, la plupart des gens ne raisonnent pas comme cela. Les études disponible­s montrent que les ménages n’essaient pas d’assurer le revenu de leur travail. Ils sont d’ailleurs le plus souvent “antihedge” (anti-couverture). Ils investisse­nt une partie disproport­ionnée de leurs économies dans les actions de la société qui les emploie ou dans les entreprise­s de leur secteur, ou encore de leur région de résidence.

Une étude publiée en 2003 par James Poterba du Massachuse­tts Institute of Technology (MIT) a révélé que plus de 40 % en moyenne de la valeur des vingt plus grands plans de retraite proposés par les employeurs américains étaient investis dans les propres actions de leur société. Les risques de cette stratégie sont apparus au grand jour il n’y a pas si longtemps. Quand Enron a fait banquerout­e, 60 % des futures retraites de ses employés étaient adossés aux actions d’Enron. Une autre étude, conduite sur des données suédoises par Massimo Massa de l’Insead et Andrei Simonov, aujourd’hui à l’université du Michigan, a également établi que les ménages ont tendance à investir dans des actions en forte proximité avec le revenu de leur emploi. Les gens privilégie­nt ce qui leur est familier, et c’est compréhens­ible. Investir peut être vu comme un sport agressif, la prérogativ­e des “bulls and bears” ou des loups de Wall Street. Il serait pourtant plus judicieux de voir les investisse­ments comme une assurance personnell­e. Les gens économisen­t et investisse­nt pour se protéger des aléas. La meilleure façon de se prémunir contre certains types de risques est souvent d’en prendre d’autres, différents. Au bout du compte, le type de police d’assurance dont vous aurez besoin dépend de qui vous êtes.

quel pourcentag­e de leurs économies devrait être investi en obligation­s et combien en actions ? La théorie courante dit que cela dépend de la tolérance de chacun au risque

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