La presse et le digital, c’est darwinien
Consommation, production, distribution, publicité, la presse écrite n’échappe pas à la brutalité de la transformation numérique
Mai 2029. Madeleine s’énerve. Impossible de mettre la main sur son quotidien favori. Voilà trois supérettes – les kiosques à journaux ont disparu depuis belle lurette – qu’elle écume sans succès… Toujours bredouille. “Nous sommes ppourtant à Paris”, , soupirep la jeune trentenaire. À la terrasse d’un café baigné d’un réconfortant soleil printanier, elle se contentera donc de son smartphone… Utilisé quotidiennement par des 100 % des Français pour faire le plein de “news”, l’appareil a fait ses preuves. L’info du bout des doigts, et toute l’info : les éditeurs de presse quotidienne arrêtent ce jour la fabrication des journaux imprimés. Madeleine n’en croit pas ses yeux. Et pourtant elle le savait. C’est en ce joli mois de mai 2029 que l’extinction du papier a été programmée en France. Prévue de longue date, elle met fin à plus de 500 ans de révolution de l’imprimé. De Gutenberg à Zuckeberg, les médias accomplissent une immense transition à marche forcée depuis la fin des années 90. Retour en 2018. Deux décennies plus tard, le secteur de la presse écrite n’en a toujours pas fini avec sa “transformation numérique”. Pour certains, la révolution ne fait juste que commencer. En tout cas, le digital transforme radicalement toute la chaîne de valeur de cette industrie sur ses deux grands métiers : celui d’informer et celui de communiquer...
Mai 2029. Madeleine s’énerve. Impossible de mettre la main sur son quotidien favori. Voilà trois supérettes – les kiosques à journaux ont disparu depuis belle lurette – qu’elle écume sans succès… Toujours bredouille. “Nous sommes ppourtant à Paris”, , soupirep la jeune trentenaire. À la terrasse d’un café baigné d’un réconfortant soleil printanier, elle se contentera donc de son smartphone… Utilisé quotidiennement par des 100 % des Français pour faire le plein de “news”, l’appareil a fait ses preuves. L’info du bout des doigts, et toute l’info : les éditeurs de presse quotidienne arrêtent ce jour la fabrication des journaux imprimés. Madeleine n’en croit pas ses yeux. Et pourtant, elle le savait. C’est en ce joli mois de mai 2029 que l’extinction du papier a été programmée en France. Prévue de longue date, elle met fin à plus de 500 ans de révolution de l’imprimé. De Gutenberg à Zuckeberg, les médias accomplissent une immense transition à marche forcée depuis la fin des années 90.
Retour en 2018. Deux décennies plus tard, le secteur de la presse écrite n’en a toujours pas fini avec sa “transformation numérique”. Pour certains, la révolution ne fait juste que commencer. En tout cas, le digital transforme radicalement toute la chaîne de valeur de cette industrie sur ses deux grands métiers : celui d’informer et celui de communiquer.
Atawad-ac, ou la prise du pouvoir par le lecteur
Il n’existe plus un usage mais des usages de la presse. Avec le numérique, de nombreux modes de lecture des journaux sont apparus. Dans l’espace : au bureau sur ordinateur, en mobilité sur smartphone, dans son canapé sur tablette, demain dans sa cuisine par l’écoute d’assistants vocaux. Et dans le temps : lecture à l’article, le matin, le soir, entre deux rendez-vous… La consommation de la presse n’a jamais été aussi massive et fragmentée. Quant au lecteur, il n’a jamais eu autant le choix, et il en profite. Sa prise de pouvoir est totale. Une horrible expression illustre ce phénomène : Atawadac pour “Any time, any where, any device, any content”, autrement dit la lecture “où je veux, quand je veux, comment je veux, et ce que je veux”. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), 3 Français sur 4 s’informent déjà sur des supports numériques, soit 40,1 millions de personnes mensuellement. Il y a 6 ans, 46 % des Français s’informaient en feuilletant un journal imprimé, ils ne sont plus que 20 % actuellement, selon le dernier Digital News Report de l’institut Reuters. Voilà donc la nouvelle réalité de la consommation de presse écrite : moins de papier, plus d’écrans. “Nous sommes dans un monde où la compétition pour notre temps de cerveau disponiblep est terrififiante, , analysait Éric Scherer, directeur de la prospective et du MédiaLab de France Télévisions, sur France Inter en avril dernier. Chacun tâtonne dans ce monde incertain pour trouver son modèle.” Modèle, le mot est lâché. Vingt ans après les premiers investissements sur le numérique, la question du modèle de revenus de la presse digitale reste posée. La publicité digitale qui devait financer les éditeurs en contrepartie d’une information accessible gratuitement sur Internet par les lecteurs n’est pas au rendez-vous, Google et facebook en ayant capté l’essentiel. “La presse écrite, c’est 20 ans de crise. Le numérique a rendu le métier encore plus compliqué. Si on enlève les aides à la presse [voir encadré], aucun journal ne gagne vraiment d’argent”, tentait d’expliquer Alain Weill, le patron d’Altice France à l’occasion de la
La révolution ne fait juste que commencer. Le digital transforme radicalement toute la chaîne de valeur de cette industrie sur ses deux grands métiers : celui d’informer et celui de communiquer
Dans un contexte où s’imposent les questions de postvérité, “fake news”, et autres formes de désinformation, l’enjeu de la crédibilité des médias d’information est essentiel
La presse garde un fort pouvoir d’attraction auprès des marques. Pour renforcer l’intérêt des annonceurs, elle doit donc revaloriser ses offres tenant davantage compte de leurs attentes
présentation du nouveau kiosque SFR Presse. Contraints et forcés, les éditeurs ont changé de stratégie pour basculer sur des offres payantes. Double bonne nouvelle. Primo, cela remet l’église au centre du village en remettant les contenus à valeur ajoutée, différenciés, au coeur du sujet. Secundo, le paiement en ligne des médias n’est plus autant un frein qu’auparavant. Les deux tiers des lecteurs sont prêts à payer pour un contenu pertinent, selon l’ACPM. Et cela marche : outre-Atlantique, le New York Times affiche un record de 2,7 millions d’abonnés numériques sur un portefeuille total de 3,7 millions d’abonnés. En France, plus de la moitié du portefeuille des abonnés du journal Le Monde a souscrit une offre numérique. En 2017, ils étaient 125 000, en hausse de 44 %, sur 202 000 abonnés au titre. Comme le dit le chercheur associé à l’EHESS JeanMarie Charon, ces conquêtes peuvent être considérées comme “une promesse de sortie d’une longue période de repli pour la presse”.
Le bout du tunnel, enfin !
Le journalisme est mort, vive le journalisme
En 20 ans, le paysage de la production d’information a lui aussi connu de profonds bouleversements et de singulières ruptures. Le numérique a radicalement rebattu les cartes. D’abords, les éditeurs “traditionnels” de presse écrite se sont retrouvés en rivalité avec tous les autres médias, notamment les radios et les télévisions qui produisent des articles sur leurs pages web. Ensuite, de nouveaux concurrents ‘pure players’ de l’info en ligne sont apparus. Enfin, la différenciation par la périodicité s’estompe peu à peu. Entre 1995, date d’apparition des premiers sites web de journaux en France, et 2010, les éditeurs ont beaucoup expérimenté. La potion amère des restructurations digérée, les directions des journaux ont désormais pris conscience de l’impérieuse nécessité de leur rôle. Le journalisme est mort, vive le journalisme. Dans un contexte où s’imposent les questions de post-vérité, “fake news” et autres formes de désinformation, l’enjeu de la crédibilité des médias d’information est essentiel. Les grandes marques de presse y répondent grâce à leur savoir-faire et leur sérieux. Dans de nombreux titres, les recrutements repartent à la hausse. La partie est loin d’être gagné. Dans les journaux, la valeur ajoutée de la production d’information réside aussi dans l’exploration de terres inconnues ou encore peu défrichées, comme le datajournalisme. L’avenir passe par l’innovation, dans le secteur de la presse aussi.
“Content is king, distribution is queen”
Après la bataille de la production journalistique, en passe d’être gagnée par les grandes marques de presse, s’ouvre un autre front : celui de la distribution. Les Anglo-Saxons avaient prévenu : “content is king, distribution is queen”. Autrement dit, surtout ne pas négliger la diffusion. Essentielle mais trop souvent reléguée au second rang par la presse française. Elle a mal été habituée aux enjeux de la diffusion en raison des défauts de construction du système de distribution de l’imprimé, celui de Presstalis. Or là aussi, le digital fait tout exploser. La diffusion des contenus est éclatée en un schéma complexe : site web, réseaux sociaux, newsletters… Opérateurs télécoms, plateformes digitales, kiosques numériques et crawlers ont remplacé La Poste et Presstalis… “Ces nouveaux intermédiaires ont pris le pouvoir dans la distribution de la presse en ligne. Nous ne pouvons plus nous passer d’eux”, confie un éditeur. Entre des “petits” publishers nationaux et des grandes plateformes internationales, le rapport de force est à ce point déséquilibré qu’il n’est pas sans raviver chez les éditeurs le souvenir du big bang vécu par les marques de produits de consommation à la création des premières chaînes de grande distribution dans les années 70. Les nouveaux acteurs du digital se pressent mollement mais leur silence n’est plus aussi assourdissant qu’auparavant. Le dialogue semble possible, ce qui est nouveau. Reste que le marché de la distribution garde des allures de Far West où règne la culture du chacun pour soi. La tendance est à la négociation individuelle avec les plateformes de diffusion. Pour les médias, la distribution digitale n’a jamais été aussi stratégique. Le sujet est aussi politique car il pose également un enjeu majeur de société pour l’accès à l’information, aux opinions variées et donc au débat démocratique.
À la recherche de l’efficacité publicitaire
Le support imprimé de presse écrite restera comme la première grande victime des arbitrages publicitaires des annonceurs. En 10 ans, les dépenses de communication des annonceurs en presse papier ont été divisées par plus de deux, passant de 4,4 milliards d’euros en 2007 à tout juste 2 milliards en 2017. Mais ce n’est pas tout. La grande bataille de l’audience en ligne a tourné en faveur des grandes plateformes numériques anglosaxonnes. 78 % des investissements des annonceurs en numérique sont captés par les seuls Google et Facebook. Un sacré revers pour des ‘publishers’qui avaient tout misé, ou presque, sur les recettes publicitaires du digital. Cette situation contraint les éditeurs à reconsidérer leurs revenus et à accorder davantage d’attention et d’importance aux revenus venant du lecteur. Voilà donc un cercle vertueux qui met un bémol salutaire à la course stérile à la diffusion des titres pour la publicité. Les médias ne vont pas pour autant vers le tout-payant en ligne. La presse garde un fort pouvoir d’attraction auprès des marques. Pour renforcer l’intérêt des annonceurs, elle doit donc revaloriser ses offres en tenant davantage compte de leurs attentes.