Le Nouvel Économiste

Des grands crus toujours plus vertsp.

Le bio et la biodynamie ont le vent en poupe chez les viticulteu­rs. Un choix d’image, un choix de raison.

- FABIEN HUMBERT

Qui l’eut cru ? Les grands crus du Bordelais se mettent au bio ! Pour la plupart, il s’agit d’une volonté affichée, basée sur des expériment­ations en cours. Mais pour d’autres, c’est un sacerdoce qui dure depuis des années. Si pendant longtemps, ces grands crus bio de Bordeaux sont restés l’ombre, ils communique­nt désormais sur leur arrêt des pesticides. Pourtant, peu d’entre eux feront figurer le fameux logo AB sur leurs bouteilles, car ils veulent être des grands crus avant d’être des vins bio. Tandis que d’autres renoncent à la certificat­ion pour pouvoir traiter en cas d’attaque sévère de maladies de la vigne. Mais le bio apparaît presque comme déjà dépassé, tant la biodynamie est désormais tendance !

La viticultur­e française se convertit lentement, mais sûrement au bio. La certificat­ion bio, représenté­e sur les étiquettes par le logo AB et/ou la feuille verte européenne, concerne désormais 10 % du vignoble, contre 7 % il y a 5 ans. Parmi ceux qui ont franchi le pas, ce sont d’abord les crus les plus prestigieu­x, les mieux notés par la presse spécialisé­e, qui se distinguen­t. Ainsi, dans le guide 2018 de la Revue du Vin de France, qui note de 0 à 3 étoiles l’élite du vignoble, sur 1120 domaines, 442 étaient certifiés bio ou en cours, soit environ 40 % ! Même constat dans le seul Bordelais, où les premiers de cordée, les grands crus, montrent l’exemple après avoir été longtemps à la traîne. Ainsi, le premier cru classé en 1855 de Pauillac château Latour, propriété de François Pinault, est en bio depuis 2015, tandis que le cinquième cru classé Pontet-Canet l’est depuis 2010… Nombre de châteaux sont en cours de conversion ou y pensent sérieuseme­nt. Mieux, certains domaines qui étaient en bio depuis plusieurs années, mais sans le dire, communique­nt désormais sur cette approche “verte”. Mais que s’estil donc passé pour que le petit monde des grands crus bordelais, qui il y a encore cinq ans ne voulait pas entendre parler du bio, soit en train de s’y convertir ? La prise de conscience peut être mise au crédit de lanceuses d’alertes comme Marie-Lys Bibeyran ou Valérie Murat, qui suite à des décès imputés aux pesticides parmi leurs proches, se sont lancées dans une croisade contre leurs méfaits et ont fait, bon gré mal gré, bouger les lignes. La presse s’est ensuite emparée du sujet, et cette focalisati­on a connu son point d’orgue lors de la diffusion de l’émission Cash investigat­ion du 2 février 2016, dans lequel les vignerons bordelais étaient accusés d’empoisonne­r des enfants à grands coups de pesticides. S’en est suivi un “bordeaux bashing”, qui a poussé l’interprofe­ssion à réagir. Question d’image pour une région viticole représenta­nt l’excellence à la française dans le monde entier.

Dans le guide 2018 de la Revue du Vin de France, qui note de 0 à 3 étoiles l’élite du vignoble, sur 1120 domaines, 442 étaient certifiés bio ou en cours, soit environ 40 % ! “La certitude d’être arrivés dans une impasse technique en termes de bienêtre de la vigne et de qualité des vins nous a fait basculer dans le bio. Ça et le fait qu’il y avait des têtes de mort sur les

bidons de pesticides que nous utilisions.” Xavier Planty, château Guiraud.

Environnem­ent, qualité des vins et santé Mais pour beaucoup, la conversion au bio n’est pas qu’une question d’image et elle est bien antérieure au bordeaux bashing. “Le fait d’avoir la certitude d’être arrivés dans une impasse technique en termes de bien-être de la vigne et de qualité des vins nous a fait basculer, raconte Xavier Planty, dirigeant du château Guiraud, premier cru classé de Sauternes, qui a engagé son domaine sur la voie du bio dès les années 1990. Ça et le fait qu’il y avait des têtes de mort sur les bidons de pesticides que nous utilisions…” La santé est au coeur des préoccupat­ions des tenants du bio. “Pourquoi avons-nous arrêté les herbicides ou les insecticid­es de synthèse ? Tout simplement

“Beaucoup veulent être en bio ou en biodynamie parce que c’est porteur, mais ils traitent avec des produits systémique­s

quand ils en ont besoin, surtout les années difficiles où les attaques de mildiou sont sévères.” Marie-Lys Bibeyran,

Info Médoc Pesticides.

parce que nous vivons au milieu de notre vignoble et que nous ne voulons pas mettre notre environnem­ent, notre santé et celle de

nos employés en danger”, raconte Damien Sartorius, dont la famille possède notamment les troisième et deuxième crus classés Langoa et Léoville-Barton (Saint-Julien). En effet, il existe désormais de larges présomptio­ns permettant d’affirmer que les pesticides peuvent non seulement avoir un impact délétère sur le vignoble et le vin (voir notre encadré), mais aussi sur la santé des individus qui travaillen­t dans les vignes ou vivent à proximité.

L’effet rentabilit­é

Mais le bio est-il rentable ? Là il y a débat. Selon une étude de l’Insee parue en fin 2017, un viticulteu­r bio génère en moyenne un chiffre d’affaires de 17 000 euros par hectare exploité. Soit 46 % de plus qu’en convention­nel ! “Si on opte pour un enherbemen­t naturel puissant, on économise l’équivalent de 7 tonnes de fumier à l’hectare, explique

Xavier Planty. Et lorsqu’on refaçonne le paysage, qu’on remet des haies, qu’on laisse pousser les espèces naturelles, que la population d’insectes est équilibrée, on économise pour 200 euros l’hectare de traitement­s insecticid­es.” Les prix de vente des vins bio sont de plus de 10 % à 40 % supérieurs ! Alors jackpot ? Pas forcément car si la valorisati­on atteint 60 % dans le Sud-Est, le Val-de-Loire ou encore l’Alsace, elle n’est que

de… 2 % à Bordeaux. “C’est vrai qu’on n’utilise pas de produits de synthèse, mais on achète quand même des produits à base de cuivre et de soufref qqui ne sont ppas donnés, prévient Éloi Jacob, directeur du Château Fonplégade à SaintÉmili­on. On fait peut-être une économie de 100 à 150 euros l’hectare sur les produits, mais d’un autre côté, j’estime le surcoût de main-d’oeuvre de l’ordre de 30 %.”

Car conduire ses vignes en bio demande davantage de travail, et donc de main-d’oeuvre. Côté pile, c’est une bonne nouvelle car selon une étude de l’école Supagro Montpellie­r, une exploitati­on biologique crée 1,5 fois plus d’emplois qu’une exploitati­on en convention­nel. Côté face, les coûts de production sont plus importants. Cependant, et toujours selon l’Insee, la “valorisati­on” des produits réalisés en bio permet d’obtenir en moyenne un excédent brut d’exploitati­on (EBE) de 6 400 euros à l’hectare, contre 3 700 euros pour les viticulteu­rs convention­nels.

Le bio en toute discrétion

Malgré ne cela, souhaitent de nombreux pas mettre châteaux en avant leur “bio attitude”. “On ne l’utilise pas comme un argument commercial, pour nous c’est avant tout un état d’esprit, une vision de notre métier et de son avenir”, explique Thomas Duroux, le directeur technique du château Palmer (Margaux), qui a commencé la conversion du domaine dès son arrivée en 2004. “On ne met pas le label en avant, ni même sur les bouteilles pour ne pas être catalogué vin bio. Fonplégade est avant tout un ggrand cru classé”, prévient Éloi Jacob. D’autres ne veulent même pas sauter le pas de la certificat­ion. Pourquoi

cette méfiance ? “Beaucoup veulent être en bio ou en biodynamie parce que c’est porteur, mais ils traitent avec des produits systémique­s quand ils en ont besoin, surtout les années difficiles où les

“On n’utilise pas le bio comme un argument commercial, pour nous c’est avant tout un état d’esprit une vision de notre

métier et de son avenir.” Thomas Duroux, château Palmer.

attaques de mildiou sont sévères”, révèle la travailleu­se viticole et lanceuse d’alerte au sein du collectif Info Médoc Pesticides, Marie-Lys Bibeyran. “Nous ne sommes pas certifiés bio, mais nous avons arrêté de travailler avec des CMR [cancérogèn­es, mutagènes ou toxiques, ndrl] depuis 10 ans,

explique Damien Sartorius. Mais c’est comme pour l’être humain : quand nous sommes malades, c’est dommage de se priver d’antibiotiq­ues donc nous utilisons des produits de synthèse beaucoup plus

doux pour l’environnem­ent.” Le domaine est en lutte raisonnée depuis 30 ans, c’est-à-dire qu’il n’utilise pas de désherbant­s, n’épand que des engrais naturels, fait attention à l’eau utilisée, conserve ses bois et buissons, a recours à la confusion sexuelle plutôt qu’aux insecticid­es, et ne traite que lorsque c’est utile. Mais Damien Sartorius avance une autre raison pour ne pas demander la certificat­ion. “En bio, on utilise aussi des produits qui sont mauvais pour la plante et la vie des sols, comme le cuivre qui est un métal lourd. C’est pourquoi nous regardons avec de plus en plus d’intérêt la biodynamie.”

En route vers la biodynamie ?

“Le bio cela revient juste à ne pas utiliser de produits issus de la pétrochimi­e. La biodynamie est une vision plus globale où il s’agit d’appréhende­r l’exploitati­on agricole comme un organisme vivant dont tous les éléments sont importants, on recherche une forme d’harmonie”, explique Thomas Duroux. Le vigneron utilise des préparatio­ns à base de plantes ou de silice censées activer ou maîtriser les “forces cosmiques” des planètes, présentes dans le sol, afin de

soutenir un bon processus végétatif et limiter le développem­ent des parasites. Derrière une apparence quelque peu ésotérique, la biodynamie fonctionne admirablem­ent bien en viticultur­e, tout simplement parce qu’elle pousse les vignerons à prendre soin de l’ensemble des êtres vivants qui évoluent sur leur domaine. “Le bio c’est déjà dépassé, maintenant c’est la biodynamie qu’il faut viser, ose Philippe Roux, directeur technique du Château Dauzac (Margaux). Il faut créer un ensemble. Sur 120 hectares que fait le domaine, il y a 44 hectares de vignes, mais aussi des vergers, des forêts, des ruches, des chevaux, des

moutons…” Alors qu’on voyait le bio devenir la norme, il pourrait bien se faire coiffer au poteau la biodynamie. Mais attention, car celle-ci est encore plus exigeante et demande encore plus de travail ! Pour le moment, nombre de grands crus du Bordelais communique­nt sur des “expériment­ations”, un “intérêt” pour la biodynamie ou le bio, mais peu sont encore prêts à se contraindr­e à adopter une certificat­ion, seule à même de prouver aux consommate­urs la réalité de leur engagement.

Selon une étude de l’Insee parue en fin 2017, un viticulteu­r bio génère en moyenne un chiffre d’affaires de 17 000 euros par hectare exploité. Soit 46 % de plus qu’en convention­nel !

Derrière une apparence quelque peu ésotérique, la biodynamie fonctionne admirablem­ent bien en viticultur­e, tout simplement parce qu’elle pousse les vignerons à prendre soin de l’ensemble des êtres vivants qui évoluent sur leur domaine

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