Le Nouvel Économiste

L’Europe populiste

Emmanuel Macron est bien seul pour tenter d’endiguer la dynamique illibérale à l’oeuvre un peu partout

- JEAN-MICHEL LAMY

L’Union à vingt-huit telle qu’on la connaît sombre en live devant les caméras. Étonnammen­t, ni les élites ni les marchés financiers ne veulent le voir. Pourtant,, chaqueq mois ou presque, la liste s’allonge des États membres en rupture avec les principes de la gouvernanc­e bruxellois­e. Aux législativ­es du 9 septembre, ce sera au tour de la Suède social-démocrate d’être fracturée par la percée électorale d’un parti populiste...

L’Union à vingt-huit telle qu’on la connaît sombre en live devant les caméras. Étonnammen­t, ni les élites ni les marchés financiers ne veulent le voir. Pourtant, chaque mois ou ppresque,q, la liste s’allonge g des États membres en rupture avec les principes de la gouvernanc­e bruxellois­e. Aux législativ­es du 9 septembre, ce sera au tour de la Suède social-démocrate d’être fracturée par la percée électorale d’un parti populiste.

C’est une cassure historique comparable à certains égards à la chute du mur de Berlin en 1989, mais en sens opposé – c’est le contraire de l’ouverture. Face à cette brisure sans cesse élargie, Emmanuel Macron entend recoller les morceaux par un mélange de fermeté et d’humanisme. L’oxymore concerne les migrants et s’adresse en réalité à l’Europe tout entière. Attention aux déconvenue­s. La tournée des capitales du président de la République démontre qu’il ne mobilise guère ses partenaire­s. Il est bien seul. Le moment politique est sourd à ses propositio­ns.

Un danger mortel pour les instances de régulation

Pour les dirigeants catalogués proeuropée­ns, la gestion de la donne actuelle n’a rien d’une partie de plaisir. Le populisme, qui partout bénéficie de vents porteurs, est une sorte de kaléidosco­pe insaisissa­ble aux formes multiples. Les définition­s du genre “appel au peuple, culte du chef, souveraini­sme” ne recouvrent pas toutes les variétés de cet objet politique. Quand il est d’extrême gauche, il n’a ni le même rapport à la nation, ni les mêmes boucs émissaires que lorsqu’il est d’extrême droite. Mais il y a un invariant parfaiteme­nt condensé dans le slogan “Maintenant le peuple” – celui de la France insoumise (FI) et de Jean-Luc Mélenchon.

Tous les populismes parlent au nom du peuple, forcément opprimé par un système gouverneme­ntal au service des puissants. Dans ce schéma, des institutio­ns indépendan­tes comme la Commission, la Banque centrale européenne (BCE) ou la Cour de justice de l’UE sont davantage encore des pestiférée­s. Le pouvoir confié à leurs dirigeants non élus – même s’ils sont désignés par des gouvernant­s élus – est considéré comme une atteinte directe aux prérogativ­es du peuple. Ce qui justifie toutes les accusation­s contre l’autonomie de décision de la BCE ou de la Cour de justice, et le désir de s’affranchir de leurs règles “injustes”.

Il revient au chef, “vrai” représenta­nt du peuple, de reprendre la main sur une technocrat­ie irresponsa­ble. Aucune forme d’opposition n’est légitime ! Dans ces conditions, c’est tout l’édifice de l’Union européenne qui s’écroule. La mouvance populiste est un danger réellement mortel pour la bonne marche de traités qui ont installé toutes les instances indépendan­tes chargées de la régulation dans leurs domaines respectifs. La règle de droit ayant façonné le continent, cela rend inenvisage­able un compromis entre la démocratie représenta­tive et la démocratie d’expression populiste. Ce qui n’empêche pas les deux bords de faire semblant.C’est de l’aveuglemen­t que de penser que des accommodem­ents sont possibles. Il est temps de regarder le défi droit dans les yeux, d’analyser ses causes et d’apporter des réponses crédibles.

L’irruption des démocratie­s illibérale­s

Dans cette perspectiv­e, la Pologne est un superbe cas d’école. En 2017, le PiS, parti ultraconse­rvateur et nationalis­te, a obtenu la majorité absolue au Parlement. Considéran­t que la souveraine­té sortie des urnes ne doit subir aucune entrave, ses leaders ont engagé le fer aussi bien avec la Cour constituti­onnelle qu’avec la Banque centrale – deux instances “indépendan­tes”. D’où le choix de mettre en retraite prématurée des juges pour les remplacer par d’autres en phase avec les directives du pouvoir. La Commission s’est émue, a agité l’article 7 qui permet des sanctions pour rupture avec les principes de droit de l’UE. Pour quel résultat pratique ? Aucun à ce jour. Au Conseil européen, Varsovie continue de siéger avec tous ses droits de vote et… toutes ses subvention­s.

De son côté, la Hongrie défraie régulièrem­ent la chronique. L’Institut Montaigne rappelle que dès juillet 2014, Viktor Orban revendiqua­it dans un discours le terme de “démocratie illibérale”. Ainsi c’est le Premier ministre, toujours en poste, qui a créé luimême le concept. Il s’accompagne bien d’une élection démocratiq­ue au suffrage universel, mais aussi de la conviction qu’il revient au vainqueur, en tant que leader fort, de capter la volonté populaire en faisant fi des libertés et des contre-pouvoirs propres au libéralism­e politique. Au plan national hongrois, la presse, les université­s, les tribunaux paient les frais de ce changement d’optique. Au plan européen, Budapest a refusé d’accepter les quotas de migrants décidés au niveau de l’UE. Les descendant­s de la dissidence face à l’URSS entrent aujourd’hui en dissidence face au consensus bruxellois. Au point que Viktor Orban se voit en patron d’une droite européenne au logicielg entièremen­t renouvelé. À ne pas confondre – dans sa conception – avec l’extrême droite, mais à situer comme une politique capable de protéger “nos nations, nos familles, notre culture enracinée dans le christiani­sme, l’égalité entre les hommes et les femmes”. En somme, c’est un mode de vie que le Hongrois Viktor Orban entend confronter à celui du Français Emmanuel Macron, censé laisser filer la société vers un modèle multicultu­rel où la culture étrangère finit par prendre toute la place. Le match Orban-Macron ne sera peut-être pas celui du siècle, mais au sein du concert européen, cela y ressembler­a beaucoup.

Le vote populiste progresse

D’autant que les opposants au modèle classique de libéralism­e ppolitique­q gggagnent des ppoints. En Autriche,, le FPÖ,, extrême droite, , gouverne avec l’ÖVP, conservate­ur. La ministre des Affaires étrangères g FPÖ a d’ailleurs subi une avalanche de critiques pour avoir invité, en plein mois d’août, Vladimir Poutine à son mariage, et lui avoir accordé une valse. Pour d’aucuns, la preuve de liaisons dangereuse­s de Vienne avec les régimes autoritair­es. En République tchèque, pas besoin d’une valse. Le pays vient d’élire un président de la République en grande proximité de pensée avec Moscou.

Aux quatre coins de l’Europe, avec des configurat­ions différente­s certes, le vote populiste progresse. L’Italie est maintenant dans ce schéma avec au gouverneme­nt un ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, issu de l’extrême droite, qui met l’UE au pied du mur sur la question des migrants : “ou vous vous les répartisse­z, ou Rome ne règle plus les factures budgétaire­s”. Les négociatio­ns sur le Brexit ne relèvent pas d’une telle dialectiqu­e mais elles participen­t, objectivem­ent, du processus de délitement de l’UE. Quant au moteur francoalle­mand, son histoire s’est brusquemen­t arrêtée. Parce qu’à Berlin, la coalition CDU-CSU tremble sur ses bases, attaquée qu’elle est par une extrême droite conquérant­e, et la “patronne” Angela Merkel a perdu tout souffle réformateu­r. Versant français, il suffit de rappeler que le candidat Macron, pro-européen canal historique, n’a obtenu au premier tour de la présidenti­elle que 24,01 % des suffrages exprimés et 18,19 % des inscrits.

Le non-dit à l’égard de l’islam

Quelles sont les raisons d’un tel retour des populismes ? La mondialisa­tion des échanges et son cortège de dumping social à tous les étages de la production, qui fragilise les classes moyennes, arrive en tête. Suit la crise financière de 2008, mal gérée à ses débuts par une zone euro à contretemp­s de la réactivité budgétaire et monétaire nécessaire. En Italie, sur dix ans, le PIB par tête est resté stable ! La financiari­sation de l’économie a également jeté une lumière crue sur l’accroissem­ent des inégalités en regard des gains engrangés par une minorité de détenteurs de capitaux. La promesse de la croissance pour tous n’étant plus tenue, les population­s ont commencé à entendre le langage des solutions simples. Du genre c’est la faute à Bruxelles et à sa logique austéritai­re. Toutefois, cette dimension économique est loin d’épuiser les ressorts du populisme. En Autriche par exemple, le territoire est globalemen­t prospère et quasiment au plein-emploi. C’est pourquoi il faut intégrer des composante­s historique­s aux processus en cours. Il faut surtout tenir compte du refus d’accepter et d’intégrer des masses de réfugiés largement de confession musulmane. Sur ce sujet, dans les hautes sphères dirigeante­s de l’Europe, c’est le grand non-dit. Les états-majors peuvent éventuelle­ment consentir à analyser la question des migrants comme la nouvelle question sociale, mais certaineme­nt pas comme celle de l’islam en terre chrétienne. Cette posture, confortabl­e intellectu­ellement, empêche de comprendre pourquoi l’argumentai­re sur les chiffres d’arrivée de migrants, en baisse dans l’UE depuis le pic de 2015, tombe à plat devant le réflexe populiste.

Pour des traitement­s efficaces,, il importe de nommer les choses. À la Fondation Robert Schuman, des auteurs comme Thierry Chopin et Lukas Macek le font :“L’écroulemen­t de l’utopie marxiste n’a pas débarrassé la société ouverte de ses ennemis, et le retour des fanatismes nationalis­tes ou religieux semble vigoureux”. Les valeurs qui ont pu sembler triomphant­es au cours des années 1990 se trouvent désormais sous pression, ce qui paradoxale­ment renforce leur caractère européen et les “désunivers­alise”. Face à la dynamique illibérale, les deux auteurs recommande­nt notamment de mettre en pratique les valeurs européenne­s de manière exemplaire pour qu’elles redevienne­nt un modèle attractif. Le travail est immense et déborde largement le champ institutio­nnel privilégié par le politique.

Les propositio­ns élyséennes

Devant la Conférence des ambassadeu­rs,, le 27 août dernier,, le chef de l’État français s’est contenté de délivrer une série de préconisat­ions standards. Florilège: “Porter une Europe de plusieurs cercles. Revisiter des tabous de changement de traité. Une Commission plus efficace et moins nombreuse”. Tout cela est bel et bon mais sans capacité opérationn­elle à la clef. En revanche, Emmanuel Macron a plus de chance d’être entendu pour sa plaidoirie en faveur d’une “autonomie stratégiqu­e”. Des signaux faibles en ce sens sont repérables avec un embryon de Fonds européen pour la Défense. En direction de la Hongrie et de son challengeu­rg Viktor Orban, le chef de l’État a lancé : “elle n’a jamais été contre l’Europe des fonds structurel­s et de la PAC, mais elle est contre l’Europe quand il s’agit de tenir de grand discours sur la chrétienté”. C’est un peu court pour clarifier le clivage revendiqué entre progressis­tes et nationalis­tes.

Le défi existentie­l des flux migratoire­s

Toujours devant les ambassadeu­rs, Emmanuel Macron a qualifié la crise migratoire de crise politique “parce qu’il n’y a pas eu de solidarité européenne”. Et d’appeler les partenaire­s “constructi­fs” et la Commission à mettre en place “un dispositif pérenne respectueu­x des principes humanitair­es et du droit solidaire”. En attendant, le défi de la maîtrise des flux migratoire­s reste entier. C’est un défi existentie­l que la gouvernanc­e communauta­ire commence à peine à admettre qu’il peut anéantir l’Europe.

Les solutions esquissées par les Conseils européens sont sans effet. Les pays d’Afrique ne veulent pas de “centres contrôlés”, ou si l’on préfère de plateforme­s de migration installées sur leur territoire et dédiées à l’examen des dossiers des candidats au droit d’asile. C’est l’impasse. L’étendard de “l’Europe qui protège”, brandi par le candidat lors de la campagne de 2017, est maintenant repris à son compte par le camp nationalis­te avec l’offre “simple” de la fermeture des frontières. La gestion des frontières extérieure­s de l’UE a besoin de résultats tangibles. Personne ne les aperçoit.

C’est la chronique d’un échec annoncé avec une possible majorité sinon de populistes du moins d’euroscepti­ques au prochain Parlement européen. Partout les identités des peuples resurgisse­nt avec leurs imaginaire­s historique­s. Les reconstruc­teurs de demain seront les fabricants des nouvelles régulation­s, des nouveaux équilibres. Ils ne gagneront qu’à la condition de livrer le combat culturel.

Une fois “l’amputation” Brexit passée et l’étendue de la vague populiste aux Européenne­s du 26 mai 2019 mesurée, ce sera pour les institutio­ns de Bruxelles la refondatio­n ou la disparitio­n. Emmanuel Macron aura pris ses marques. Serat-il alors l’homme de la situation? “C’est un rempart pour l’Europe”, diagnostiq­ue Daniel Cohn-Bendit. L’histoire en jugera.

La mouvance populiste est un danger réellement mortel pour la bonne marche de traités qui ont installé toutes les instances indépendan­tes chargées de la régulation dans leurs domaines respectifs

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