Le Nouvel Économiste

SALES ÉNERGIES

La réduction des émissions de gaz à effet de serre des navires n’est pas gagnée d’avance

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La marine marchande est un business sale. La vapeur a remplacé les voiles comme moyen de propulsion à la fin du XIXe siècle, et depuis, les navires utilisent des énergies fossiles vraiment sales. La vapeur produite par le charbon a cédé la place aux moteurs à combustion. Mais ces moteurs brûlent toujours un carburant si épais qu’il est presque solide s’il n’est pas chauffé. Comme le charbon, ces scories de raffinage, connues sous le nom de “bunker fuel”, fuel lourd ou combustibl­e de soute, émettent beaucoup de dioxyde de carbone, accusé d’être responsabl­e de 3 % des émissions mondiales de ce gaz à effet de serre. Diminuer les gaz de combustion est donc indispensa­ble si le monde veut s’approcher de l’objectif fixé par l’Accord sur le climat de Paris, qui espère maintenir le réchauffem­ent climatique “bien audessous” de 2 °C par rapport à l’ère pré-industriel­le.

Ces moteurs brûlent toujours un carburant si épais qu’il est presque solide s’il n’est pas chauffé. Ils émettent beaucoup de dioxyde de carbone, accusé d’être responsabl­e de 3 % des émissions mondiales de ce gaz à effet de serre.

De façon ironique, c’est une décision de l’Organisati­on maritime internatio­nale (OMI), l’institutio­n spécialisé­e des Nations unies responsabl­e du transport maritime, qui a rendu la question urgente. Elle impose une réduction de la teneur en soufre du bunker fuel, de 3,5 % à 0,5 % d’ici à 2020. Le soufre est très toxique. Quand il brûle, il se dégrade en sulfates, qui provoquent des pluies acides et polluent l’air. Un article publié en février dernier dans ‘Nature Communicat­ions’ par Mikhail Sofiev, de l’Institut météorolog­ique de Finlande, avance que la nouvelle réglementa­tion de l’IMO pourrait éviter entre 139 000 et 396 000 décès prématurés par an. Mais ces sulfates fragmenten­t aussi les rayons solaires et contribuen­t à la formation et à l’épaississe­ment des nuages, qui les tamisent. Par conséquent, la marine marchande réduirait plutôt qu’augmentera­it le réchauffem­ent climatique résultant de l’activité humaine. De 7 % au cours du XXe siècle, précise une étude. Les travaux de recherche de M. Sofiev montrent que cet effet de climatiseu­r peut diminuer de 80 % après 2020, quand la nouvelle norme sur le taux de soufre entrera en vigueur.

Une façon évidente de compenser la perte de l’effet climatiseu­r du soufre est de réduire de façon radicale les émissions de dioxyde de carbone qui font cuire la planète. L’OMI veut les réduire de moitié par rapport au niveau de 2008 d’ici à 2050, quel que soit le nombre de vaisseaux sur les océans. Mais contrairem­ent au désoufrage du fuel, imminent et juridiquem­ent contraigna­nt, les objectifs pour le CO2 sont flous et non soumis à un mécanisme de sanctions. Lors d’une réunion des États membres de l’OMI le 26 octobre à Londres, une ébauche de durcisseme­nt de la législatio­n n’a pas abouti. Heureuseme­nt, beaucoup de transporte­urs maritimes semblent décidés à réduire les émissions quoi qu’il en advienne. Ils préfèrent être prêts pour des règles strictes que d’autres plus soucieux du climat que l’Union européenne pourraient mettre en place en l’absence de norme internatio­nale. Ils veulent aussi réduire les coûts du fuel, qui explosent. Ils représenta­ient un tiers des dépenses il y a dix ans, pour arriver à la moitié, voire plus, de nos jours, et d’autres augmentati­ons sont attendues. Le bunker fuel à bas taux de soufre, qu’il faudra utiliser pour respecter les nouvelles normes de l’OMI, devrait être vendu 600 dollars la tonne quand il deviendra obligatoir­e. Son prix actuel est de 450 dollars. Pour l’instant, les armateurs procèdent surtout à de légères améliorati­ons des pratiques existantes. Ce qui est bien. Mais qui ne produira pas les changement­s nécessaire­s si l’objectif décidé pour l’année 2050 est pris au sérieux.

Small is beautiful…

L’une des façons de réduire la consommati­on de fuel est de réduire le coefficien­t de traînée des navires en concevant de nouvelles coques et hélices. C’est en cours. Durant ces cinq dernières années, les hélices de nombreux modèles ont été équipées d’ailerons, similaires à ceux que l’on voit à l’extrémité des ailes des avions. Ils réduisent les turbulence­s. Selon un architecte naval de New York, Charles Cushing, ils permettent d’économiser environ 2 % de carburant. Le polissage des hélices est une autre bonne idée. L’Internatio­nal Council on Clean Transporta­tion, un think-tank de Berlin, estime qu’il peut réduire la consommati­on de carburant de 3 % ou plus.

On peut raboter quelques points de pourcentag­e supplément­aires en rendant les coques plus lisses. Il faut en particulie­r élimer les bernacles et autres coquillage­s marins qui s’y fixent. Les peintures contre l’encrasseme­nt à base d’étain sont aujourd’hui interdites car elles sont toxiques pour la vie marine. Les fabricants de peintures se tournent donc vers une solution du XVIIIe siècle : le cuivre. À l’époque, les flottes clouaient des plaques de cuivres sous les cales des navires pour empoisonne­r les larves des coques. Des peintures à base de cuivre sont à l’étude. Les peintures modernes pour le carénage contiennen­t souvent du silicone, d’une texture si lisse que les bernacles ne peuvent pas s’y accrocher.

Les coques des bateaux peuvent être raclées pour être plus lisses mais l’interdicti­on de polluer l’eau avec des copeaux de peinture et des organismes vivants non autochtone­s ont rendu ces procédures problémati­ques. Cela pourrait changer, néanmoins, grâce à un drone sous-marin que son fabricant norvégien, Ecosubsea, décrit comme “un croisement entre un aspirateur et une tondeuse à gazon”. Au lieu de caréner à la brosse métallique, les robots d’Ecosubsea projettent de l’eau à un angle presque parallèle à la surface de la coque, ce qui évite d’écailler la peinture, mais attaque les coquillage­s à un angle perpendicu­laire, et donc avec beaucoup de force. Un aspirateur convoie jusqu’à terre les organismes délogés. 350 vaisseaux ont déjà été nettoyés de cette façon à Southampto­n, le port de l’Angleterre du sud. Ce service coûte entre 17 000 et 25 000 dollars pour un grand navire. Il sera proposé par le port d’Anvers en décembre.

Une autre technique est la lubrificat­ion à l’air. De l’air comprimé est pulvérisé à travers des buses au fond du navire. Les bulles qui se forment réduisent le contact de la coque avec l’eau. Selon le degré d’inclinaiso­n du bateau, l’économie en fuel est de 5 à 10 %, affirme Noah Silberschm­idt, patron de Silverstre­am Technologi­es à Londres, qui propose cette technologi­e. Les armateurs amortissen­t en général le coût de l’installati­on en deux ans et les économies sont faciles à constater : injectez des bulles et le navire accélère. Trois gros bateaux déjà en navigation ont été équipés du système Silverstre­am, il sera présent sur une douzaine d’autres en constructi­on.

Les logiciels d’optimisati­on de la navigation diminuent aussi les émissions. Ils traitent les informatio­ns envoyées par les capteurs et les croisent avec les données archivées des précédente­s traversées et les prévisions météo. Ces informatio­ns sont utilisées pour calculer les meilleurs paramètres de vitesse et autre, pour économiser le plus possible de carburant.

Quand tout est fait et dit, cependant, ces bricolages variés ne sont que cela : du bricolage. Pour les baisses radicales d’émissions qu’exige l’OMI, il faut trouver des façons totalement nouvelles de propulser les grands navires. Et cela va être compliqué.

…Mais big is better

On rêve beaucoup autour de la propulsion à voile. Les ingénieurs ont inventé différente­s versions modernes. Aucune n’a encore fait ses preuves. SkySails, une société de Hambourg, propose d’équiper les navires de cerfs-volants. L’expérience a été tentée sur cinq navires entre 2008 et 2011, mais la navigation comme l’entretien sont délicats. Autre approche : ajouter des turbines verticales, connues sous le nom de rotors Flettner. Ils génèrent une poussée grâce à un phénomène connu sous le nom d’effet Magnus (effet qui est aussi responsabl­e de la trajectoir­e courbe des ballons de football qui tourbillon­nent sur eux-mêmes). Rares sont les navires qui utilisent cette technique pour le moment mais elle est testée par Maersk, le plus important transporte­ur maritime du monde, et pourrait devenir plus courante. Certains regardent du côté des batteries et des moteurs électrique­s. Pour la navigation transocéan­ique, cela semble peu réaliste. Mais les dessertes locales pourraient en bénéficier. La Norvège, par exemple, a commencé à mettre à la mer des ferries électrique­s. Une entreprise néerlandai­se, Port-Liner, construit des barges électrique­s pour le déchargeme­nt des conteneurs dans les ports. Ces barges entreront en service l’an prochain.

Pour les propriétai­res de barges, c’est une bonne affaire. En supprimant la salle des machines et le réservoir de fuel, la capacité de la barge augmente d’environ 8 %. Pour l’environnem­ent, c’est moins sûr. Les batteries doivent être chargées. Si l’électricit­é est obtenue en brûlant des énergies fossiles (ce qui est le cas de 92 % de l’électricit­é aux Pays-Bas), l’économie d’émissions est maigre. Et la technologi­e est coûteuse. Rien n’est envisageab­le sans des subvention­s publiques et l’argent du contribuab­le. C’est également vrai des ferries norvégiens.

Le travers qui consiste à déplacer les émissions d’un maillon à l’autre de la chaîne au lieu de les éliminer est aussi derrière l’idée d’équiper les navires de haute mer de piles à combustibl­e. Elles produisent de l’électricit­é à partir d’hydrogène et d’oxygène. La technologi­e est loin d’être au point pour un usage intensif actuelleme­nt, mais les piles à combustibl­e ont l’avantage, par rapport aux batteries, d’avoir une autonomie limitée par la quantité de combustibl­e transporté­e et non par le nombre de piles à bord, puisque les piles elles-mêmes ne stockent pas l’énergie. Mais ce combustibl­e, l’hydrogène, doit être fabriqué, et la façon la plus courante de le faire, le reformage à la vapeur du gaz naturel, génère du dioxyde de carbone. De manière générale, la propulsion électrique déguise plus qu’elle ne supprime les émissions. La propositio­n présentée comme la plus rationnell­e pour le transport maritime est de passer au fuel à faible taux d’émissions plutôt que de poursuivre une chasse futile aux carburants sans émissions de carbone. Une alternativ­e est la propulsion diesel-électrique. Avec cette méthode, un moteur diesel fait fonctionne­r un générateur. L’énergie du générateur peut être utilisée pour faire fonctionne­r un moteur électrique ou stockée dans une batterie. Parce que le moteur diesel peut ainsi fonctionne­r à vitesse constante, plutôt que d’avoir à suivre les besoins des hélices, ce dispositif est un tiers plus efficace que la propulsion convention­nelle au fuel.

Le gaz naturel liquéfié (GNL) est une autre option. La combustion du GNL libère environ un quart moins de dioxyde de carbone que la combustion du combustibl­e de soute.

Selon Sustainaly­tics, une société néerlandai­se qui note la performanc­e environnem­entale des sociétés, environ cent grands navires utilisent ce carburant. Et dix autres dans le monde fonctionne­nt avec le cousin chimiqueq du méthane,, le méthanol. À températur­e ambiante, c’est un liquide, donc plus facile à conserver que le GNL. Mais il est difficile de voir où est le bénéfice pour l’environnem­ent. Le méthanol est du méthane : un atome de carbone et quatre d’hydrogène, plus un atome d’oxygène. Vous obtenez plus ou moins la même quantité de CO 2 en le brûlant qu’en brûlant du méthane.

Si les objectifs de l’OMI doivent être respectés, il faut réfléchir de façon radicale. Pour Vince Jenkins, directeur de la technologi­e de Lloyd’s Register, un consultant maritime de Londres, penser radicaleme­nt conduit à la propulsion nucléaire. Avec le nucléaire, il n’y a pas d’émissions et les réacteurs nucléaires maritimes sont une technologi­e connue. 140 brise-glace, navires de guerre et sous-marins les utilisent. Une flotte nucléaire, navigant à une vitesse fabuleuse, pourrait transporte­r plus de containers avec moins de navires.

Rares sont les personnes qui approuvent l’idée de M. Jenkin. Cosco, un géant chinois du transport par mer, a abandonné ses recherches sur le “fret nucléaire” à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011. La façon dont les objectifs de l’OMI peuvent être atteints, s’ils le sont un jour, demeure donc encore un mystère.

Quand tout est fait et dit, cependant, ces bricolages variés ne sont que cela : du bricolage. Pour les baisses radicales d’émissions qu’exige l’OMI, il faut trouver des façons totalement nouvelles de propulser les grands navires. Et cela va être compliqué.

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