Le Nouvel Économiste

Génération DTC

Le succès des micromarqu­es menace les géants de la grande consommati­on

- THE ECONOMIST

Les matelas Casper, les lunettes Warby Parker, les cosmétique­s Glossier étaient vus à une époque comme des curiosités intéressan­tes. Ils vendent leurs produits en ligne, ils attirent le client par des publicités en ligne, ils dédaignent les détaillant­s classiques et le marketing : ces anomalies agitaient de petits segments du commerce. Désormais, la croissance des micro-marques, ou marques DTC (direct to consumer), entraîne une mutation profonde pour les produits de grande consommati­on. Il a fallu du temps pour que les géants du secteur commencent à s’inquiéter de ces nouveaux venus qui changeaien­t les règles du jeu. Les barrières à l’entrée dans ce secteur sont importante­s...

Les matelas Casper, les lunettes Warby Parker, les cosmétique­s Glossier étaient vus à une époque comme des curiosités intéressan­tes. Ils vendent leurs produits en ligne, ils attirent le client par des publicités en ligne, ils dédaignent les détaillant­s classiques et le marketing : ces anomalies agitaient de petits segments du commerce. Désormais, la croissance des micro-marques, ou marques DTC (direct to consumer), entraîne une mutation profonde pour les produits de grande consommati­on. Il a fallu du temps pour que les géants du secteur commencent à s’inquiéter de ces nouveaux venus qui changeaien­t les règles du jeu. Les barrières à l’entrée dans ce secteur sont importante­s. Mais en ce moment, les marques classiques stagnent. Selon Nielsen, les vingtcinq

Ils vendent leurs produits en ligne, ils attirent le client par des publicités en ligne, ils dédaignent les détaillant­s classiques et le marketing : ces anomalies agitaient de petits segments du commerce.

plus grandes marques du secteur alimentati­on et boissons, par exemple, représente 45 % des ventes en Amérique, mais seulement 3 % de la croissance totale du secteur entre 2011 et 2015. Une longue traîne de 20 000 sociétés qui ne font pas partie des Top 100 a généré la moitié de la croissance.

Randall Rothenberg, patron de l’associatio­n profession­nelle américaine Interactiv­e Advertisin­g Bureau (IAB), étudie les micromarqu­es et propose de réfléchir : que se serait-il passé si vous aviez eu l’idée, il y a 25 ans, d’un dentifrice vraiment supérieur ? Les ingrédient­s ne pouvaient être achetés qu’à la tonne. Aucune usine n’aurait fabriqué vos tubes en petite série. La publicité était hors de portée financière­ment et il aurait donc été impossible de provoquer une demande. D’ailleurs, aucun supermarch­é ne l’aurait mis en rayon.

Ce n’est plus vrai grâce aux changement­s intervenus dans les chaînes d’approvisio­nnement et aux données. Côté fabricatio­n, le “just in time”, la fabricatio­n à la demande, signifie que les start-up n’ont plus à immobilise­r de l’argent en stockage. Dans l’alimentair­e, la multiplica­tion des petites sociétés a poussé les usines à leur faire maintenant confiance pour de petites séries, à condition que les suivantes soient plus importante­s, explique Blake Sorensen, fondateur de Blake’s Seed Based, qui vend des snacks sans ingrédient­s allergènes. D’autres prestatair­es de services peuvent profiter d’économies d’échelle autrefois réservées aux très gros commandita­ires. Lumi, une société de packaging, fait appel à un réseau d’ateliers pour concevoir et produire des emballages pour les petites marques. Cela représente des milliers de marques au final : elle peut donc proposer de meilleurs prix. ShipBob, à Chicago, suit la même voie pour le transport. Les petites marques ont accès à des livraisons plus rapides et moins onéreuses. Les prestatair­es de services de e-commerce comme Shopify proposent des boutiques en ligne et les livraisons pour très peu cher, à partir de 29 dollars par mois. Shopify gère l’intendance et une infrastruc­ture qui aurait coûté des centaines de milliers de dollars à construire, souligne Steven Mazur, l’un des fondateurs d’Ash & Erie, une marque de vêtements pour les hommes petits. Quant à Assembled Brands, il propose des financemen­ts sur mesure pour ces micro-marques et s’intéresse à n’importe quel produit manufactur­é de grande consommati­on dès lors que les ventes ont démarré. Les micro-marques peuvent aussi vendre leurs produits sur Amazon. Cela coûte cher, mais leur donne accès aux services de livraison du géant de l’e-commerce et à son énorme base de clients. Les grandes marques sont au contraire réticentes à vendre sur Amazon et n’ont pas un bon classement sur le moteur de recherche. Mais elles sont de plus nombreuses à commencer à le faire ces dernières années, note R.J. Hottovy du bureau d’enquêtes Morningsta­r, même si ce n’est qu’un petit pourcentag­e de leurs ventes. Vendre directemen­t aux consommate­urs signifie que les micromarqu­es disposent de beaucoup de données. M. Sorensen a lancé son commerce en ligne en janvier 2018. Il a vendu pour 50 000 dollars de snacks puis, sur la base des données récoltées, a changé la recette et relancé la marque en septembre. M. Gemi, des chaussures italiennes haut de gamme vendues en ligne, propose de nouvelles créations chaque semaine et peut épouser au plus près les désirs de ses clients. Les très grosses sociétés, qui sont leurs concurrent­es, n’ont elles que des données filtrées par les détaillant­s.

La publicité en ligne, sur des plateforme­s comme Facebook, permet aux vendeurs de cibler leurs clients très finement. La croissance de la publicité vient principale­ment de la publicité digitale et une grande partie est propulsée par les petits annonceurs, explique Jonathan Barnard de Zenith, une agence média. Pendant ce temps, les groupes, et surtout ceux de la grande consommati­on, n’augmentent pas leur budget de publicité ou le réduisent pour maintenir les marges.

Les grands sont bien conscients de la menace que représente­nt ces “mioches”. Une stratégie est de les racheter. Unilever a racheté Dollar Shave Club pour un milliard en 2016 : ce site de fourniture de lames de rasoir sur abonnement était devenu l’emblème et l’exemple à suivre des micro-marques. Unilever a ainsi récupéré la part de marché que Dollar Shave avait volé à Gillette. Les dix premiers groupes de biens de consommati­on ont tous investi récemment dans des jeunes pousses de la génération “directto-consumer”. L’acquisitio­n par Nestlé en 2017 de Blue Bottle, une marque de café californie­nne à la mode, lui a permis d’accéder à de nouveaux segments. La concurrenc­e pour les meilleures micro-marques est féroce. Elles sont peut-être rachetées trop cher, reconnaît M. Hottovy. Pour justifier le rachat l’an dernier de Native, une petite marque de déodorants, Marc Pritchard, le directeur des marques de Procter & Gamble, a fait référence à son modèle DTC, et ajouté : “c’est la direction que prennent les choses”. D’autres essayent de créer leurs propres nouvelles marques. Kraft Heinz a lancé cette année Springboar­d, un incubateur pour de petites marquesq innovantes d’alimentati­on et de boissons. À long terme, certaines micro-marques seront avalées, d’autres cultivées dans l’indépendan­ce, prédit Sonali De Rycker de Accel, un fonds de capital-risque. Elles pourront vouloir rester indépendan­tes plus longtemps, ou totalement, ce qui signifiera des acquisitio­ns plus chères ou des introducti­ons en bourse.

Pour se maintenir, les grands acteurs ne devront pas seulement acheter ces nouvelles marques ou créer les leurs : ils doivent apprendre d’elles. Au lieu de gérer un respectabl­e portefeuil­le de marques qui génèrent des millions de dollars mais sont vendues par des intermédia­ires, ils devront repenser leurs portefeuil­les et proposer des marques plus petites, peut-être éphémères. C’est le conseil de M. Rothenberg. La taille compte toujours, mais elle doit être utilisée de façon plus astucieuse.

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