Le Nouvel Économiste

Benjamin Netanyahu à Oman

Le sultan d’Oman compte sur la médiation d’Israël pour obtenir le soutien de Washington

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

Le 26 octobre dernier, Benjamin Netanyahu s’est rendu à Oman pour une visite “secrète” auprès du sultan Qabus ibn Saïd… nouvelle qui a très vite fait le tour du monde une fois le Premier ministre israélien de retour dans son pays. L’événement était en effet aussi rarissime qu’inattendu, la dernière visite d’un Premier ministre israélien – en l’occurrence Shimon Peres – dans le sultanat remontant à 1996, dans le cadre du processus de paix avec la Palestine, qu’Oman a toujours soutenu. Les deux pays ont cependant rompu leurs relations diplomatiq­ues au début de la seconde Intifada en 2000.

Cette visite a beaucoup surpris car au sein du monde arabe, Israël n’entretient des liens diplomatiq­ues qu’avec l’Égypte et la Jordanie… même si, dans le secret des ambassades et des consulats, représenta­nts des renseignem­ents israéliens et arabes se réunissent officieuse­ment et sans doute régulièrem­ent. En outre, le sultanat d’Oman est un allié historique de l’Iran, bête noire des Israéliens, depuis 1970. Le sultan Qabus doit en effet son trône au dernier shah d’Iran Mohammed Reza Pahlavi, qui envoya l’armée impériale écraser la révolte marxiste du Dhofar avec l’aide des Britanniqu­es. La proximité de l’islam pratiqué à Oman avec le chiisme iranien, bien davantage qu’avec le sunnisme en général et le wahhabisme saoudien en particulie­r, renforce cette relation géopolitiq­ue.

Les observateu­rs n’ont pu s’empêcher de remarquer que cette visite est intervenue au moment même où l’Arabie saoudite gérait laborieuse­ment le scandale de l’affaire Khashoggi,gg et une semaine avant qque les États-Unis ne rétablisse­nt l’ensemble des sanctions économique­s à l’égard de l’Iran, suite à leur sortie de l’accord sur le nucléaire. Tant de coïncidenc­es ne peuvent être le seul fruit du hasard.

Quels furent les raisons et le contenu de cette visite surprise ? Israël a évoqué l’approfondi­ssement “des relations avec les ppaysy de la région,g en se servant des avantages de l’État hébreu dans les domaines de la sécurité, de la technologi­e et dans le secteur économique”. Moins langue de bois, les autorités d’Oman ont pour leur part évoqué des “questions d’intérêt commun qui servent la sécurité et la stabilité de la région”. Traditionn­ellement, Oman a toujours joué un rôle de médiateur et de porteur de messages très apprécié dans le golfe Persiqueq et au Moyen-yOrient, notamment entre l’Iran et les États-Unis. À ce titre, on se souvient que le dialogue irano-américain sur la question nucléaire avait commencé six mois avant la fin du mandat de Mahmoud Ahmadineja­d, précisémen­t à Mascate, la capitale d’Oman. Le conflit israélo-palestinie­n, mais aussi les demandes et les attentes d’Israël et de l’Iran dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, ont très certaineme­nt occupé une grande partie des échanges entre Netanyahu et Qabus.

Oman isolé dans le Golfe

Mais pour les Omanais, d’autres préoccupat­ions composaien­t sûrement l’ordre du jour. Le sultanat, bien que relativeme­nt stable, risque de faire bientôt face à de potentiels bouleverse­ments politiques. Son sultan, âgé de 77 ans et souffrant d’un cancer, raréfie ses apparition­s publiques. Même s’il a laissé des dispositio­ns en la matière, sa succession reste très incertaine. QQabus ibn Saïd, pprévoyant,y souhaite donc obtenir le soutien des États-Unis pour assurer une transition paisible, d’autant plus que cette aide, compte tenu des tensions géopolitiq­ues au Moyen-Orient et du lien qui unit Oman à l’Iran, est loin d’être actuelleme­nt garantie. Certains reprochent aisément au sultanat son refus de s’impliquerp­q au Yémen aux côtés de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, et au contraire de servir les intérêts de l’Iran dans le conflit en faisant transiter les armes destinées aux Houthis sur son territoire.

En outre, au sein du Conseil de coopératio­n du Golfe, le sultanat est relativeme­nt isolé et affaibli, alors qu’il doit faire face aux Émirats arabes unis dans uncontenq tieux territoria­l et limiter en même temps leurs envies d’ingérence dans la succession de Qabus ibn Saïd.

À tous égards, le rôle de médiateur a changé de camp : connaissan­t l’étendue de son influence sur la politique américaine et la proximité qui existe entre le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, et “Bibi”, c’est Oman qui désormais sollicite l’aide d’Israël dans le but, presque avoué, d’intercéder auprès de Washington sur ces différents dossiers. Les mois à venir diront si Netanyahu a su trouver une oreille complaisan­te et attentive à la Maison-Blanche. Mais on ne saurait sous-estimer la portée de la voix israélienn­e.

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