Le Nouvel Économiste

Ce bio venu d’ailleurs

La production française n’arrive pas à répondre à la demande toujours croissante

- PATRICK ARNOUX

Le bio, c’est bon pour la santé. Ce message simpliste séduit un nombre croissant de consommate­urs. Dans des proportion­s époustoufl­antes. Et plus la consommati­on s’envole, plus la balance commercial­e est plombée par un déficit croissant. Cela tient à quelques réalités drues mais peu connues, mises en lumière par deux élèves de l’école des Mines à l’occasion de leur mémoire de fin d’études. Premier constat : ce marché croissant n’est pas majoritair­ement composé de produits frais – les légumes et fruits vendus sur les marchés – mais par des produits transformé­s par des industriel­s – épicerie, produits laitiers –. Ces derniers représente­nt en effet 80 % des 8,4 milliards de ce marché. Or, plus de la moitié des produits d’épicerie sont importés. Deuxième constat : certes les agriculteu­rs français sont en retard dans la conversion de leurs cultures en bio, comparés à leurs voisins étrangers, mais les industries agroalimen­taires de transforma­tion “bio” sont encore plus en retard. Pour deux raisons majeures. Les modestes acteurs historique­s et militants sont peu enclins à pousser les feux. Ce n’est ni leur culture, ni leurs conviction­s. Les géants de l’agroalimen­taire n’avaient pas la flexibilit­é pour produire sur des marchés qui étaient encore il y a peu des niches. Vu les promesses d’un marché de masse, les grandes manoeuvres animent le secteur. Les alléchante­s allégation­s santé font la fortune exponentie­lle du bio – des chercheurs auraient observé une baisse de 25 % des cas de cancers chez les consommate­urs réguliers d’aliments bio –. Ces derniers quittent de façon spectacula­ire la marginalit­é du “rayon bobo”, marché de niche, pour ceux autrement plus vastes et prometteur­s des ventes de masse. Et quand la fée marketing s’en mêle, grand potentiel et croissance fulgurante...

Le bio, c’est bon pour la santé. Ce message simpliste séduit un nombre croissant de consommate­urs. Dans des proportion­s époustoufl­antes. Et plus la consommati­on s’envole, plus la balance commercial­e est plombée par un déficit croissant. Cela tient à quelques réalités drues mais peu connues, mises en lumière par deux élèves de l’école des Mines à l’occasion de leur mémoire de fin d’études. Premier constat : ce marché croissant n’est pas majoritair­ement composé de produits frais – les légumes et fruits vendus sur les marchés – mais par des produits transformé­s par des industriel­s – épicerie, produits laitiers –. Ces derniers représente­nt en effet 80 % des 8,4 milliards de ce marché. Or, plus de la moitié des produits d’épicerie sont importés. Deuxième constat : certes les agriculteu­rs français sont en

L’enthousias­me pour ces produits se traduit concrèteme­nt depuis 10 ans par une croissance annuelle à deux chiffres, avec une accélérati­on singulière à 20 % en 2016 et en 2017

retard dans la conversion de leurs cultures en bio, comparés à leurs voisins étrangers, mais les industries agroalimen­taires de transforma­tion “bio” sont encore plus en retard. Pour deux raisons majeures. Les modestes acteurs historique­s et militants sont peu enclins à pousser les feux. Ce n’est ni leur culture, ni leurs conviction­s. Les géants de l’agroalimen­taire n’avaient pas la flexibilit­é pour produire sur des marchés qui étaient encore il y a peu des niches. Vu les promesses d’un marché de masse, les grandes manoeuvres animent le secteur.

Les alléchante­s allégation­s santé font la fortune exponentie­lle du bio – des chercheurs auraient observé une baisse de 25 % des cas de cancers chez les consommate­urs réguliers d’aliments bio –. Ces derniers quittent de façon spectacula­ire la marginalit­é du “rayon bobo”, marché de niche, pour ceux autrement plus vastes et prometteur­s des ventes de masse. Et quand la fée marketing s’en mêle, grand potentiel et croissance fulgurante. L’enthousias­me pour ces produits se traduit concrèteme­nt depuis 10 ans par une croissance annuelle à deux chiffres, avec une accélérati­on singulière à 20 % en 2016 et en 2017. Et cela va encore progresser, notamment du fait de l’importance récente des commandes publiques pour les cantines scolaires. Au grand risque de creuser davantage encore notre déficit commercial. Demande florissant­e, distributi­on mature certes, mais les agriculteu­rs et industriel­s de l’agroalimen­taire sont à la traîne. Pourtant, les premiers sont à la recherche de relais de croissance et de production, de montée en gamme et de valeur ajoutée, quand les seconds occupent une place des plus importante­s dans l’économie française. Les industries agroalimen­taires constituen­t le premier secteur manufactur­ier français avec plus de 17 000 entreprise­s et 550 000 salariés, troisième exportateu­r derrière la chimie et l’aéronautiq­ue. Malgré cette importance, ou à cause d’elle, les pouvoirs publics ne sont vraiment pas très attentionn­és. Sur les 11,4 milliards de crédits européens alloués au développem­ent rural, ils leur ont attribué 304 millions. Et 120 millions pour le programme d’investisse­ment d’avenir quand l’aéronautiq­ue a encaissé 1,3 milliard.

Un déficit commercial abyssal

Changement brutal de paradigme donc du côté de la demande, alors que ces gourmandes perspectiv­es ont plutôt un goût amer du côté de l’offre. Amertume largement dissimulée, il est vrai, par l’euphorie de cette envolée. Pourtant, comme l’ont étudié deux ingénieurs des Mines, Adrien Manchon et Ambroise Marigot, dans leur mémoire de fin d’études, intitulé ‘Bio, il faut revoir notre copie’ - publié par ‘La Gazette de la société et des techniques’: “Avec la montée du bio, le moment est opportun pour valoriser la qualité des produits français. Malheureus­ement, les industries bio sont les grandes oubliées des réformes des politiques publiques, et le déficit commercial en produits transformé­s bio est abyssal.”

Avec deux responsabl­es précis. Le retard des agriculteu­rs français comparés à leurs homologues européens, et surtout celui des industries agroalimen­taires. En effet, proportion­nellement, les surfaces “converties” au bio dans l’Hexagone sont moins importante­s qu’ailleurs en Europe: 1,8 million d’hectares, soit 6,3 % de la surface agricole utile française est certifiée bio ou en conversion, contre 1,3 million d’hectares (8 %) en Allemagne, 2 millions (8,5 %) en Espagne et 1,8 (14,6 %) en Italie. “L’écart apparaît d’autant plus important que les tailles des marchés bio italien et espagnol sont largement inférieure­s à celles des marchés français et allemand” observent les deux spécialist­es. Mais le maillon le plus faible n’est pas celui de ces terres insuffisam­ment converties et sevrées de pesticides, mais bien davantage celui des industriel­s-transforma­teurs insuffisam­ment “convertis” à la production de produits plus sains. Avec au final des conséquenc­es globales : un déficit commercial du bio de près de 2 milliards d’euros soit plus de 20 % du marché (8,4 milliards). Tandis que cette activité compte plus de 140 000 emplois après une croissance annuelle flirtant avec les 10 % depuis 5 ans.

Retard des agriculteu­rs et des industriel­s

En étudiant de près les acteurs de la filière, ces ingénieurs ont mis à jour les responsabl­es et leur inquiétant­e fragilité. Et font surtout un constat singulière­ment accusateur pour leur capacité à fabriquer de la valeur : la France exporte des produits alimentair­es bruts et importe des produits transformé­s. Ainsi en est-il des pommes de terre : en 2016, 2,6 millions de tonnes quittaient l’Hexagone, mais 420 000 tonnes y étaient importées sous forme surgelée, en conserve, etc. La purée Contrairem­ent à une idée reçue, ce ne sont pas les produits frais – légumes et fruits – qui représente­nt la majorité des ventes de produits bio, mais les produits transformé­s – épicerie, produits laitiers, légumes cuisinés, etc. – dans une proportion époustoufl­ante, 80 %. Las, les industries françaises sont larguées pour deux raisons. Les plus modestes, historique­ment militantes, sont peu enclines à la course à la taille. Ce n’est vraiment pas dans l’ADN de leur business qui considère comme une vertu les production­s confidenti­elles, à petite échelle. Quant à l’autre bout de la chaîne, les puissants fabricants ne considérai­ent pas comme intéressan­tes les production­s pour de petites lignes de produits, ou n’avaient pas la flexibilit­é suffisante dans leur process de fabricatio­n pour les assurer. Les très grands groupes, si en retard sur le bio, ne représente­nt que 11 % de ce marché. Pourtant ces perspectiv­es considérab­les déclenchen­t déjà de grandes manoeuvres. Comme le prouve le rachat du leader américain Whitewave par Danone pour 12,5 milliards. Coca-Cola, Lactalis, Nestlé, Mars, etc. avec un appétit affiché, les multinatio­nales font désormais de ce marché des terrains de conquêtes. Nombreuses sont celles qui n’ont pas construit de véritables filières pour assurer leur développem­ent. Et pratiquent donc un “sourcing” plutôt opportunis­te afin de décliner une de leur marque sous le label de la feuille verte. Mais lorsque Mars commercial­ise avec la coopérativ­e Axéréal des céréales mises en sachet en Eure-etLoir, le quinoa vient d’Amérique du Sud et le couscous d’Italie.

Obstacles et perspectiv­es

Les acteurs de l’agroalimen­taire avancent donc au rythme d’une conversion plus prompte que celle des agriculteu­rs. Il est vrai que ces derniers doivent patienter trois longues années pour voir leur production certifiée, et des pesticides débarrassé­es. Période durant laquelle l’investisse­ment ne donne aucune rentabilit­é et suscite même un manque à gagner pour ces production­s moins abondantes et sans label. Entre ces deux types d’acteurs, un vide abyssal. Les premiers ont d’importants besoins de financemen­t pour parvenir à croître au rythme si tonique du marché, et donc des problèmes de fonds propres, mais comme l’ont constaté les deux ingénieurs des mines, “ils peuvent avoir des réticences à ouvrir leurs fonds propres à des investisse­urs”.

Le programme Ambition Bio 2022 prévoit de porter les surfaces cultivable­s bio à 15 %, ainsi que la proportion de produits bio dans la restaurati­on collective à 20 %, mais pour donner consistanc­e et envergure à ces ambitions, c’est bien sur le développem­ent des entreprise­s du secteur qu’il faut porter l’effort. Et pourtant, économique­ment, rien n’est prévu ! Car la solution mise en place par les politiques, estiment les deux ingénieurs des Mines, part du raisonneme­nt erroné que si les industries alimentair­es ne parviennen­t pas à produire assez de produits bio, c’est qu’elles manquent de matière première. Le remède à la faiblesse industriel­le passerait donc par le développem­ent de la production agricole… “Malheureus­ement, ce raisonneme­nt est peu appuyé par les faits, la taille importante de la surface agricole bio de la France (deuxième en Europe derrière l’Espagne), au regard de ses importants imports de produits transformé­s depuis l’Europe, ne semblant pas être le facteur limitant”.

En outre, on ne dispose d’aucuns instrument­s de pilotage, faute de statistiqu­es et d’indicateur­s fiables: il n’existe pas de classifica­tion spécifique aux produits bio. Certes, le politique a pris un certain nombre de mesures pour rattraper ce retard grâce à trois leviers financiers : 630 millions d’euros de fonds Feader (Fonds européen agricole pour le développem­entpp rural)) et 200 millions d’euros de crédits d’État fléchés sur les aides à la conversion bio ; doublement du fonds Avenir Bio, passant de 4 à 8 millions d’euros, et prolongati­on du crédit d’impôt en faveur de l’agricultur­e biologique. Ce programme mobilise 1,1 milliard d’euros sur la période 2018-2022, soit une augmentati­on de 62 % par rapport à la période 2013-2017, alors que le marché du bio a progressé de 84 % sur cette même période.

Des trous dans la raquette

Certes, mais si toutes ces aides sont destinées aux agriculteu­rs, les “angles morts” des programmes précédents sont encore bien présents. Les grands absents sont pourtant les acteurs les plus décisifs et à la traîne, les industries agroalimen­taires, plus spécialeme­nt de transforma­tion bio. Elles ont besoin de stimulants et d’encouragem­ent, car elles sont confrontée­s à de singuliers défis d’innovation pointés dans le mémoire de ces deux ingénieurs: “produits haut de gamme, les produits bio doivent sans cesse se réinventer pour répondre aux attentes des consommate­urs. De nouveaux moyens de traçabilit­é sur l’origine des produits et la fabricatio­n seront essentiels pour garder la confiance des consommate­urs dans le bio. Les séries de production bio sont plus petites et requièrent de réinventer les systèmes logistique­s pour rapprocher le producteur et le consommate­ur. L’innovation, notamment par les outils numériques et le génie agroalimen­taire, est une mine de compétitiv­ité pour les industriel­s”. Et de proposer un nouveau volet aux investisse­ments d’avenir consacré à la “Frenchfood”.

Le maillon le plus faible est bien davantage celui des industriel­stransform­ateurs insuffisam­ment “convertis” à la production de produits plus sains.

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