Le Nouvel Économiste

Les tourments d’un vieux couple

Pourquoi tant d’exaspérati­ons ?

- JEAN-MICHEL LAMY

Un modus vivendi entre élus d’en haut et élus d’en bas est d’autant plus nécessaire que l’exécutif élyséen fait face à une fronde inédite venue des quatre coins du territoire. Pour parler à ce mouvement social des gilets jaunes, quoi de plus précieux en effet qu’un maillage local d’élus de terrain susceptibl­e de faire remonter les doléances ? Encore faut-il que le courant passe entre gouverneme­nt et représenta­nts des collectivi­tés. Après une quasi-rupture, due notamment à la suppressio­n unilatéral­e de la taxe d’habitation, l’une des principale­s ressources des communes,, un ppas de deux s’esquisse à nouveau. À l’issue du Congrès des maires de novembre, quelques mesures d’apaisement bienvenues ont été prises par le pouvoir central. Peut-être faut-il y voir le signe précurseur du recentrage macronien en direction des corps intermédia­ires de la République...

Un modus vivendi entre élus d’en haut et élus d’en bas est d’autant plus nécessaire que l’exécutif élyséen fait face à une fronde inédite venue des quatre coins du territoire. Pour parler à ce mouvement social des gilets jaunes, quoi de plus précieux en effet qu’un maillage local d’élus de terrain susceptibl­e de faire remonter les doléances ?

Encore faut-il que le courant passe entre gouverneme­nt et représenta­nts des collectivi­tés. Après une quasi-rupture, due notamment à la suppressio­n unilatéral­e de la taxe d’habitation, l’une des principale­s ressources des communes,, un ppas de deux s’esquisse à nouveau. À l’issue du Congrès des maires de novembre, quelques mesures d’apaisement bienvenues ont été prises par le pouvoir central. Peut-être faut-il y voir le signe précurseur du recentrage macronien en direction des corps intermédia­ires de la République. La verticalit­é ne peut pas tout.

Une lassitude qui remonte à loin

La crispation locale prend sa source dans une tendance de fond à la recentrali­sation des pouvoirs via le bras armé de Bercy. Une illustrati­on criante en est fournie par la “crise des vocations” révélée par la consultati­on organisée par le Sénat en février dernier. Sur 17 500 contributi­ons reçues, 45 % des élus envisagent de quitter la politique à l’issue de leur mandat ! Ce que confirme une enquête du Cevipof : en 2020, un maire sur deux ne souhaite pas se représente­r. Même si les situations personnell­es pèsent lourd dans cette attitude, le syndrome du “ras-lebol de Paris” n’est pas loin. Un vrai divorce. La lassitude des maires ne date pas d’hier. Elle a été attisée par le quinquenna­t de François Hollande. La loi NOTRe (Nouvelle organisati­on territoria­le de la République) de 2015 contraint les maires des petites communes à s’insérer de gré ou de force dans des intercommu­nalités qui décident souvent sans leur demander leur avis de schémas de développem­ent et d’aménagemen­t. De plus, la loi pousse à la réduction du nombre “d’intercos” tout en élargissan­t leurs compétence­s. De facto, cela réduit le champ d’autonomie laissé aux petites communes. La même loi a par ailleurs créé de grandes régions qui ont encore accru la déperditio­n du sentiment de proximité.

Le tour de vis de l’exécutif sur les dotations

Le tour de vis financier décidé par l’exécutif est l’autre facteur qui irrite beaucoup. Entre 2013 et 2017, la Dotation globale de fonctionne­ment (DGF) allouée aux collectivi­tés locales est passée de 41,5 milliards d’euros à 30,9 milliards (Cour des comptes). Une contrainte qui s’est traduite par moins de dépenses de gestion mais également, sur la même période, par un recul de 11 % de l’investisse­ment local.

À l’Assemblée nationale, le 21 novembre dernier, Nicolas Turquois, député MoDem de la Vienne, égrenait les chiffres annuels de cette baisse de la DGF pour mieux dénoncer des méthodes kafkaïenne­s de calcul pour le versement des fonds: au bout du compte, il y a des territoire­s super gagnants et des… super perdants. “Résultat: plus personne n’y comprend rien et les maires ne savent plus sur quel pied danser pour établir leur budget”, déplore Nicolas Turquois.

Certes, depuis 2018 le gouverneme­nt a choisi de stabiliser la dotation. En revanche, il a imposé à quelque 320 grandes collectivi­tés (métropoles, régions, grandes villes…) un pacte financier limitant les dépenses hors investisse­ment, inflation comprise, à 1,2 % par an. C’est un Pacs d’un nouveau genre, assimilé par nombre d’élus à un pacte léonin qui leur lie les mains. Des sanctions sont prévues en cas de dérapage, d’où l’exigence d’un déplafonne­ment de la mesure.

L’acte de gguerre de la suppressio­n de la taxe d’habitation

Pour la communauté des territoire­s, c’est la suppressio­n de la taxe d’habitation (TH) qui s’apparente à un acte de guerre. C’est une recentrali­sation brutale de l’impôt local et un mauvais coup pour la démocratie locale, disent les élus. Aussi l’Associatio­n des maires (AMF) réclame-t-elle l’inscriptio­n dans la Constituti­on “de la place particuliè­re de la commune” et la compensati­on intégrale et pérenne de la TH. En réalité, le gouverneme­nt ne s’est engagé à l’euro près pour quelque 20 milliards que jjusqu’enq 2020.

À partir de cette date, l’État – le contribuab­le national – est censé régler aux communes et aux intercommu­nalités 100 % du produit de la taxe à la place du contribuab­le local. En fonction de l’évolution des bases cadastrale­s, la facture pourrait atteindre assez vite les 26 milliards d’euros ! Sans compter les hausses

Réception des Maires de France (AMF) à l'Elysée. spécifique­s, ajoutées par les maires, toujours payables localement. De l’art de créer par calcul électorali­ste une usine à gaz. Pour en sortir, Matignon promet pour le deuxième trimestre 2019 une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité locale. Par parenthèse, les travaux préparatoi­res devaient commencer en décembre… Dans tous les cas, l’effet bonneteau entre les multiples taxes a de quoi alarmer par avance les propriétai­res assujettis à la taxe foncière et les gestionnai­res des budgets locaux. De leur côté, les présidents de région mesurent la “dépossessi­on politique et administra­tive” à l’aune de la réforme de la formation profession­nelle. En particulie­r, le souhait gouverneme­ntal d’efficacité a conduit à autonomise­r davantage les Centre de formation des apprentis pour les rapprocher des entreprise­s. En contradict­ion, clament les régions, “avec notre mission de développem­ent de l’emploi”.

A torts partagés

Dans un couple, dit-on souvent, les torts sont partagés. Dans cette perspectiv­e, un magistrat chargé du jugement de divorce rappellera­it les années, voire les décennies, de dérive avec des embauches d’agents territoria­ux à tour de bras. Lors du quinquenna­t Sarkozy,y, les fonctionna­ires d’État non remplacés l’étaientimm­éq diatement par autant de fonctionna­ires engagés par les collectivi­tés. Un jeu à somme nulle, mais qui ne l’était pas pour la baisse du poids de la dépense publique dans le PIB. En sens inverse, le pouvoir central porte la responsabi­lité d’une décentrali­sation bancale revisitée à trois reprises, qui n’est jamais allée jusqu’à dessaisir le préfet d’une forme de tutelle sur les différents acteurs locaux.

La réconcilia­tion par la différenci­ation

Après toute cette phase de montée des tensions due à l’héritage et à ses propres arbitrages, Emmanuel Macron cherche depuis le Congrès des maires à faire baisser la pression. En margeg de leur réunion,, le chef de l’État s’est engagé à rationalis­er la quarantain­e de critères qui président à l’octroi de la dotation de fonctionne­ment. De quoi éviter les mauvaises surprises en plus ou en moins, et faciliter la visibilité des directeurs financiers si la technocrat­ie fait vite et bien le travail demandé.

Sur un front plus structurel, l’Élysée entend susciter une sorte de paix des braves. La mise en place d’un processus de différenci­ation en constitue la carte maîtresse – si la révision constituti­onnelle l’instaurant voit le jour. Il s’agirait de permettre à des collectivi­tés d’exercer des compétence­s dérogeant à des dispositio­ns législativ­es par définition applicable à l’identique partout. Des enjeux propres à une zone géographiq­ue trouveraie­nt là une capacité d’expression et d’expériment­ation. Le carcan du toutnation­al obligatoir­e serait desserré. Dans le même esprit, il serait mis fin au strict alignement statutaire entre les trois fonctions publiques. Les ressources humaines de la “territoria­le” pourraient bénéficier de davantage de souplesse dans la gestion des types de contrats.

Avec l’arrivée de Jacqueline Gourault au poste transversa­l de ministre de la Cohésion des territoire­s, il y a désormais un pilote dans l’avion et un interlocut­eur identifié. Pour mieux coordonner les moyens de l’État et des collectivi­tés, la ministre attend beaucoup de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoire­s : “cette agence d’État déploiera prioritair­ement son action dans les territoire­s les plus fragiles”, explique la ministre.

Le “oui, mais” de Territoire­s unis

Posture politique pour certains, sincérité managérial­e pour d’autres, l’associatio­n Territoire­s unis, qui regroupe les trois grandes associatio­ns d’élus – Régions de France, ADF (départemen­ts) et AMF (maires) –, a choisi “d’écrire une nouvelle loi de décentrali­sation”. Ce sera un manifeste en forme de ppacte ggirondin. “L’État essaie de nous diviser sur la fiscalité locale mais cela ne marchera pas”, a averti Dominique Bussereau, président de l’ADF.

En fait, le dialogue avec l’exécutif va prendre de nouvelles formes. Territoire­s unis campe sur une sorte de “oui, mais” à partir d’une base de négociatio­n. Et paradoxale­ment, la crise des gilets jaunes pourrait aider au déblocage de nombre de points de friction. Parce que le gouverneme­nt a besoin de relais locaux pour organiser des consultati­ons décentrali­sées et canaliser les revendicat­ions. En ces occasions, le vieux couple aura beaucoup à se dire.

La loi NOTRe de 2015 contraint les maires des petites communes à s’insérer de gré ou de force dans des intercommu­nalités qui décident souvent sans leur demander leur avis de schémas de développem­ent et d’aménagemen­t.

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