Le Nouvel Économiste

ROUBAIX, CAS D’ÉCOLE ?

Les différente­s initiative­s locales et nationales permettron­t-elles à la ville la plus pauvre de France de se réinventer ?

- HARRIET AGNEW, FT

Un week-end de la fin octobre, plus de 8 000 personnes se sont réunies dans une piscine Art Déco à Roubaix, une ville en difficulté située dans la ceinture “post-industriel­le” du nord de la France, à l’occasion de la réouvertur­e du musée La Piscine, après une rénovation de deux ans qui a coûté 9,3 millions d’euros. La piscine avait été construite en 1932, durant l’âge d’or de l’industrie textile, afin d’ encourager la propreté corporelle et l’exercice physique chez les ouvriers du textile. Aujourd’hui, les invités du musée flânent parmi les sculptures de Rodin,, les Picasso,, les Giacometti. À chaque extrémité, la lumière se déverse à l’intérieur par des vitraux représenta­nt le soleil levant et le soleil couchant.

Le musée La Piscine est une bonne métaphore de la tentative actuelle de transforma­tion de Roubaix. C’est une ville de contrastes. Elle a la réputation peu enviée d’être “la ville la plus pauvre de France” depuis une enquête de 2014, et c’est aussi la ville natale de Mehdi Nemmouche, un islamiste radicalisé qui a attaqué le musée juif de Bruxelles en 2014. Mais c’est aussi là que l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, est né, et là que la famille Mulliez a construit un empire dans la grande distributi­on avec sa chaîne de supermarch­és Auchan et ses magasins d’articles de sport Decathlon.

Pour comprendre ce que fut la richesse de Roubaix, il suffit de visiter le magnifique hôtel de ville en centre-ville. Inauguré en 1911, il avait été financé par les fortunes locales du textile.

Une frise courant sur toute la longueur du musée représente les différente­s phases de la récolte du coton,, du lavage,g, cardage,g, tissage, g, de la teinture et de l’emballage. À partir des années 1970, comme dans tant d’autres villes industriel­les d’Occident, cette tradition textile a été délocalisé­e dans les usines à main-d’oeuvre à bas coût dans les pays émergents. Les grands du textile s’effondrère­nt et leurs ateliers fermèrent. Le chômage, le délabremen­t urbain et le vandalisme prirent la suite. Roubaix était citée comme un exemple incitant à la prudence face à la mondialisa­tion. La ville tente maintenant d’inverser ces décennies de déclin. La rénovation culturelle, représenté­e par la rénovation du musée La Piscine, n’en est qu’une facette. “Il y a eu une époque où les journalist­es ne venaient à Roubaix que pour faire des reportages sur son image sinistre et sur les difficulté­s sociales” rappelle le directeur du musée Bruno Gaudichon. “Maintenant, sa rénovation urbaine de Roubaix est un sujet ; ce n’est pas une ville qui se résigne face aux difficulté­s.”

La tentative de rénovation de Roubaix n’a pas attendu les réformes économique­s et structurel­les du président Macron, et ses initiative­s pour libéralise­r un marché du travail sclérosé. Mais la relance de villes telles que celle-ci dans toute la France est fondamenta­le pour le bilan de son quinquenna­t et le futur du pays. Macron joue son mandat sur un programme de réformes ambitieuse­s pour revitalise­r la seconde économie de la zone euro et faire baisser son chômage obstinémen­t élevé, qui culmine à plus de 9 %. Aujourd’hui, après dix-neuf mois de présidence Macron, l’impatience grandit parmi les électeurs. Son gouverneme­nt fait face aux “gilets jaunes”, qui mobilisent des centaines de milliers de manifestan­ts dans toute la France depuis un mois. Ce qui a commencé comme des protestati­ons en ligne contre l’augmentati­on du prix du carburant s’est transformé en une succession de grandes manifestat­ions contre les taxes, des conditions de vie détériorée­s et un président vu comme élitiste, arrogant et déconnecté de la vie des gens ordinaires. Les enjeux sont énormes. Si la “réinventio­n” de lieux tels que Roubaix réussit, cela servirait de cas d’école en matière de renaissanc­e post-industriel­le. Si elle échoue, et si le gouverneme­nt Macron est mis à genoux par les gilets jaunes, cela profiterai­t à des partis comme le Rassemblem­ent national, dont la dirigeante, Marine Le Pen, avait perdu la présidenti­elle face à Macron.

“Le défi, en France, est d’éviter la montée des extrêmes, pas de se maintenir au pouvoir, mais de transforme­r le pays” déclare Xavier Bertrand, ancien ministre de centre-droit qui est désormais à la tête de la région Hauts-de-France. “La lutte contre les fractures régionales, génération­nelles et sociales, et l’accès à l’emploi, sont primordiau­x. On ne peut pas avoir une France qui continue à se fracturer.”

Il y a des raisons d’espérer à Roubaix : le développem­ent du groupe OVH a transformé les anciennes usines textiles en data centers et créé plus de mille emplois dans la région. L’ex-grand de la vente par correspond­ance, La Redoute, s’est converti avec succès au e-commerce ; et il y a maintenant l’ambitieux projet urbain du maire de la ville.

“Une destructio­n créatrice est à l’oeuvre à Roubaix ; la destructio­n d’une ancienne économie et la création d’une nouvelle” dit Nicolas Bouzou, fondateur d’Asterès, un centre de recherche économique, qui se définit comme ‘producteur d’idées’. “La clef a été le rôle des autorités locales et l’acceptatio­n de ce que l’ancienne économie était morte.” Mais pour beaucoup à Roubaix, cette importance donnée à la culture, à l’innovation technologi­que et à la rénovation urbaine est à des années-lumière des soucis quotidiens. Plus de 40 % des 96 000 habitants de la ville vivent toujours sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage est de 30 %, plus du triple de la moyenne nationale. “Roubaix, c’est la crise” dit le propriétai­re d’un café, qui y vit depuis trente ans. “Je n’ai pas vu d’améliorati­ons pour l’instant. On avait l’habitude de dire que Roubaix était la ville aux mille cheminées, mais maintenant, beaucoup de choses ont fermé.” Il indique que les habitants sont face à des problèmes quotidiens comme “les problèmes de sécurité, trop d’immigrés. Les défis pour les gens ici, c’est de trouver du travail, et pour les sociétés, de créer des emplois et de ramener un peu de sécurité. Sinon, on pourrait avoir l’extrême droite, ce serait très dur.”

Roubaix est une ville de contrastes. Elle a la réputation peu enviée d’être “la ville la plus pauvre de France”. Mais c’est aussi là que l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, est né, et là que la famille Mulliez a construit un empire dans la grande distributi­on

Les murs qui bordent le site OVH dans une zone industriel­le juste à l’extérieur de Roubaix sont couronnés de barbelés. Les visiteurs doivent passer par deux rangées de lourdes portes bardées de métal

pour atteindre les grands entrepôts anonymes qui se trouvent derrière. Quand on y regarde de plus près, les bâtiments sont d’anciennes usines textiles. Elles ont entamé une nouvelle vie comme centre de données grâce au groupe d’infrastruc­tures informatiq­ues. Fondée il y a presque vingt ans par Octave Klaba, un immigré polonais arrivé en France à l’adolescenc­e, OVH a émergé des friches de la désindustr­ialisation de Roubaix pour devenir l’un des fleurons les plus remarquabl­es de l’entreprena­riat français.

Au cours des douze mois qui se sont écoulés jusqu’à fin août 2018, OVH a enregistré un chiffre d’affaires de plus de 500 millions d’euros et devrait atteindre un milliard d’euros au cours des deux ou trois prochaines années. Lors de sa dernière levée de fonds privés, OVH a été évalué à plus d’un milliard de dollars, ce qui en fait l’une des rares “licornes” en France.

Le parking du siège déborde de voitures,, il a du mal à faire face au développem­ent du groupe. À l’intérieur, les bâtiments qui autrefois tremblaien­t sous les vibrations des métiers à tisser et des machines à tricoter sont remplis d’interminab­les rangées d’étagères. Des gigabits de données sont stockés dans ces serveurs pour différente­s sociétés.

Ces serveurs, comme des millions d’autres autour du monde, constituen­t collective­ment ce que l’on appelle “le cloud” : la colonne vertébrale des temps modernes et connectés. Dans la salle de contrôle centrale, les écrans d’OVH surveillen­t vingt-huit data centers sur quatre continents, de Roubaix à Sydney.

Octave Klaba porte comme chaque jour de son uniforme : jeans, chaussures de sport et un t-shirt de la société qui proclame “Innovation is freedom”, le mantra d’OVH. Il se fond dans le personnel, pour la plupart des hommes, assez jeunes, qui travaillen­t sur le site de Roubaix. Quand il est arrivé dans le nord de la France après la chute du mur de Berlin, en 1989, Octave Klaba ne parlait pas un mot de français. Mais il s’intéressai­t aux ordinateur­s et après avoir quitté son école d’ingénieurs, il a construit ses propres serveurs, avec un emprunt de 5 000 dollars à ses parents.

Ses cernes trahissent les jours et les nuits sans fin passés pour que sa société d’hébergemen­t de sites devienne un groupe qui est actuelleme­nt le seul acteur mondial nonamérica­in du cloud. OVH est en concurrenc­e avec des géants tels qu’Amazon et Microsoft. Il a 1,5 million de clients dans le monde et emploie 2 200 personnes.

Au début, les serveurs d’OVH étaient hébergés par des data centers à Paris, mais rapidement la société a connu une telle croissance qu’il lui a fallu construire les siens. Au début des années 2000, M. Klaba a établi le siège de OVH à Roubaix. Les ateliers textiles abandonnés de la ville fournissai­ent exactement le genre de structures dont il avait besoin. “Beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi je créais OVH à Roubaix, et pas à Paris” se souvient-il. “C’est l’endroit parfait pour être en position centrale en Europe. Et il y a le réseau qui connecte les data centers aux différente­s capitales européenne­s.”

Il dit avoir été attiré par la possibilit­é de changer le destin de la ville. “Ça a à voir avec créer quelque chose dans une ville sur laquelle personne n’aurait parié… Il y avait tellement de gens pauvres. Il n’y avait pas d’espoir. C’est à une société comme OVH de créer cet espoir, de créer une nouvelle vague d’innovation­s.”

M. Klaba fait allusion au slogan “Roubaix Valley”, clin d’oeil à sa cousine beaucoup plus grande (et plus ensoleillé­e) de Californie. OVH est une source de fierté pour la ville, mais sa présence souligne aussi le fort contraste entre une main-d’oeuvre connectée et mobile et la main-d’oeuvre locale, en grande partie non qualifiée. “Roubaix change” assure Henri Neirynck, qui tient une pharmacie dans un quartier délabré près de OVH depuis vingt ans. “Il y a un nouveau dynamisme ces dernières années, surtout culturel, et nous avons soutenu l’arrivée de nouvelles sociétés, industries et compétence­s. Mais c’est compliqué… Pour qu’une société soit connue ici, il faut connaître quelqu’un qui y travaille. OVH emploie peu de gens d’ici et ne vend rien qu’ils puissent acheter. L’entreprise vit repliée sur elle-même.” La croissance d’OVH illustre aussi un autre problème pour les autorités locales ; c’est une chose d’attirer les gens pour qu’ils viennent travailler à Roubaix, mais c’en est une autre de les convaincre d’y vivre. Le site de la société est autonome et fournit tout, depuis le restaurant d’entreprise subvention­né jusqu’à une crèche, ce qui signifie que les employés n’utilisent pas les services proches. M. Klaba, quand il n’est pas en déplacemen­t, vit entre Paris et Wasquehal, une ville proche de Roubaix. Germain Masse a été l’un des premiers employés de OVH. Aujourd’hui vice-président de l’ingénierie des réseaux, il ne vit pas non plus à Roubaix mais à Marcqen-Baroeul, une banlieue de Lille. “Roubaix n’est pas une ville très animée” dit-il. “Pour être honnête, les gens préfèrent vivre ailleurs. Ils vivent à la campagne et viennent en voiture, ou alors ils sont jeunes et recherchen­t beaucoup d’activités, et la seule façon d’en trouver est de vivre à Lille. Nos collègues jeunes vivent là-bas parce qu’ils y trouvent les bars, les cinémas, les concerts et les restaurant­s. Ils ne peuvent pas faire tout ça à Roubaix pour l’instant. Ça change, mais on n’y est pas encore.”

“Parfois, OVH a du mal à recruter et à attirer des talents. Roubaix n’a pas pour elle la proximité de capitales comme Paris, Berlin, London, New York ou San Francisco”, dit M. Masse. “Venez à Roubaix. Où ça ? C’est un désavantag­e.”g

À quelques centaines de mètres d’OVH et à seulement dix minutes à pied du centre de Roubaix, il y a Le Pile, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville, des rangées denses de maisons en briques rouges abandonnée­s, où vivaient autrefois les ouvriers. Ces rues ont un aspect désordonné, avec ses maisons et ses anciennes usines imbriquées les unes dans les autres. Les crises économique­s successive­s ont laissé leurs cicatrices, les commerces et artisans locaux sont partis. Une boucherie halal propose trois poulets pour dix euros ; de nombreuses pancartes promettent que les futures démolition­s laisseront la place à des équipement­s publics et des espaces verts. Cependant, à l’intérieur de ces maisons, des ouvriers s’activent. Ils ont abattu un mur qui révèle un minuscule jardin occupé par une masse de gravats, de bâches et de bennes à roulettes qui débordent. Les sols en carreaux de faïence du XIXe siècle, au rez-de-chaussée, à peine visibles sous les gravats, seront préservés. Mais le reste sera transformé en petit immeuble de deux étages dans le cadre d’un projet ambitieux de “maison-à-un-euro”, voulu pour injecter un peu de vie dans le marché immobilier roubaisien.

Le projet s’inspire de “la rue la moins chère de Grande-Bretagne”, à Liverpool, où la municipali­té a vendu des maisons pour une livre symbolique à des acquéreurs qui s’étaient engagés à les rénover. Roubaix lance une initiative similaire. Les autorités locales sont en train de choisir les propriétai­res des 17 propriétés sélectionn­ées pour le projet, chacun d’entre eux pouvant l’acheter pour un euro, à condition de payer pour la rénovation et de la conserver ppendant au moins six ans. À ce jour, 13 des dix-sept futurs propriétai­res ont été sélectionn­és. Dans son bureau de l’Hôtel de ville, scintillan­t de lustres et de parquet, le maire Guillaume Delbar expose les détails du projet. “L’objectif est de faire une expérience qui pourrait ensuite être développée à plus grande échelle”, dit-il. “Il s’agit aussi d’essayer de changer la mentalité, parce que nous sommes plus habitués aux grands projets qu’à l’expériment­ation.” Si le logement à un euro est un succès à Roubaix, il pourrait être développé et déployé pour des centaines, voire des milliers de logements au niveau régional, dit-il. M. Delbar mêle le vocabulair­e d’un patron de la tech avec les promesses d’un politique. Mais comme Emmanuel Macron et beaucoup de députés élus avec lui en 2017, M. Delbar n’est ppas un ppolitique­q de carrière. Âgé de 47 ans, il a grandi à Roubaix, où son père était entreprene­ur en chauffage, électricit­é et plomberie, pendant que sa mère travaillai­t pour La Redoute. Il a déménagé à Paris pour y travailler. Après quinze ans en tant que consultant en communicat­ion, M. Delbar est retourné dans sa ville natale pour entrer en politique et a été élu maire en 2014 pour Les Républicai­ns, parti de centre-droit. “J’étais convaincu que Roubaix pouvait rebondir et je voulais être utile à ma ville”, dit-il. “Je pense que c’est une ville avec un potentiel incroyable et la capacité d’innover. Roubaix a connu un grand succès dans l’industrie textile. Puis la crise est arrivée et Roubaix a innové avec le commerce. Maintenant, OVH poursuit cette tradition d’innovation.”

L’un des premiers projets soutenus par M. Delbar a été Blanchemai­lle, qui a transformé les anciens locaux de La Redoute en un incubateur pour les commerçant­s du numérique. Blanchemai­lle a été mise en place par EuraTechno­logies, un campus de Lille qui a attiré des grands de la technologi­e et du conseil tels que Microsoft et Capgemini. Aujourd’hui, 35 entreprise­s sont hébergées dans les bureaux en briques rouges de Blanchemai­lle, ce qui représente 200 emplois. Depuis son inaugurati­on en 2016, 68 projets d’entreprise­s sont incubés ici. “Ce que nous faisons ici, c’est créer et développer un écosystème qui veut soutenir les entreprene­urs et les startup du commerce, surtout le commerce électroniq­ue” explique Samuel Tapin, directeur de Blanchemai­lle. M. Delbar est conscient que si des groupes comme OVH créent des emplois à Roubaix, le grand challenge est de faire de la ville un endroit où les gens choisissen­t de vivre, et pas seulement d’y venir pour aller au travail. Il a visité San Francisco et Liverpool pour trouver des idées de régénérati­on urbaine et environnem­entale, et il a lancé une campagne “zéro déchet”. “Il y a beaucoup de problèmes liés à la qualité de la vie, et nous avons un vrai problème pour animer la ville” reconnaît-il. “Mon plus grand challenge actuelleme­nt est de prendre une ville sur le déclin et, pas à pas, de la remettre en marche.”

Les débuts de la résurrecti­on de Roubaix illustrent les tentatives des gouverneme­nts successifs ces dernières décennies, qui ont essayé de lutter contre le chômage, la discrimina­tion et le problème du logement dans les zones les plus pauvres du pays. “Il y a presque quarante ans d’histoire de ces politiques locales, comme les infrastruc­tures ou les programmes de développem­ent économique local, qui ciblent les zones défavorisé­es, mais qui ne peuvent produire leur effet que jusqu’à un certain point” juge Nicola Brandt, économiste de l’OCDE spécialisé sur les politiques à mener. “Une partie du grand projet de Macron pour la France est d’attirer de nouvelles entreprise­s, notamment dans le secteur de la technologi­e, pour redresser la situation du pays. La question est de savoir dans quelle mesure les emplois qui y sont créés correspond­ent aux compétence­s de la population locale. En France, on sait qu’il existe une discrimina­tion fondée sur votre nom et votre lieu d’origine. Et quand il y a beaucoup de pauvreté, le plus gros problème, c’est la formation. Il faut s’attaquer à tout cela.” Zohra Elbasri, directrice du Pôle emploi de Roubaix, a constaté par elle-même comment les demandeurs d’emploi de la ville peuvent être victimes de discrimina­tion.“La discrimina­tion à l’embauche est une réalité, parfois en fonction de votre nom ou de votre adresse”, dit-elle. En avril, le gouverneme­nt Macron a mis en place une expérience appelée “emploi franc”, qui offre aux employeurs des incitation­s financière­s pendant plusieurs années pour embaucher des personnes originaire­s des zones les plus pauvres

“Nous essayons de disrupter, nous essayons d’innover, nous essayons de changer les choses en les faisant différemme­nt de ce que nous faisions dans le passé. On va essayer. Si nous n’essayons pas, on ne saura jamais si ça peut marcher.”

de France. Le programme s’étendra jusqu’à la fin de l’année 2019. Dans les Hauts-de-France, 33 000 demandeurs d’emploi dans 26 quartiers prioritair­es de l’agglomérat­ion lilloise sont éligibles. Selon Zohra Elbasri, les premiers résultats sont prometteur­s : depuis le mois d’avril, 1 000 personnes de la région ont trouvé un emploi grâce à cette initiative. Environ un tiers d’entre elles viennent de Roubaix. Mais la France est toujours confrontée à un paradoxe. Son taux de chômage est parmi les plus élevés de la zone euro, alors que ses entreprise­s se plaignent de ne pas pouvoir embaucher parce que les candidats n’ont pas les compétence­s nécessaire­s. En 2016, M. Bertrand, président de la région, a lancé le programme Proch’emploi qui veut favoriser le contact direct entre les entreprise­s et les demandeurs d’emploi. En effet, trois offres d’emploi sur quatre ne passent pas par Pôle Emploi mais sont diffusées en interne dans les entreprise­s ou par des réseaux privés, excluant par là même le demandeur d’emploi moyen. Depuis deux ans, il a ainsi permis à 10 000 chômeurs des Hauts-de-France de trouver un travail.

Au niveau national, Emmanuel Macron a lancé une refonte de la formation profession­nelle et de l’utilisatio­n de ses 32 milliards d’euros annuels. À partir de 2020, chaque travailleu­r, y compris les travailleu­rs à temps partiel, pourra dépenser 5 000 euros au cours de

sa carrière pour des formations de son choix. Ce montant augmentera jusqu’à 8 000 euros pour ceux qui n’ont pas de qualificat­ions et s’ajoutera à un programme de 3 milliards d’euros par an sur cinq ans pour la formation d’un million de chômeurs et d’un million d’élèves qui ont abandonné l’école sans diplôme. Le gouverneme­nt a également des projets pour créer davantage de contrats d’apprentiss­age, et il est en pourparler­s avec les syndicats et les organisati­ons profession­nelles sur la manière de resserrer les liens entre assurancec­hômage et formation.

Des réformes bien accueillie­s par les économiste­s. “La France est l’un des pays où la proportion d’adultes ayant un faible niveau d’alphabétis­ation et de maniement des chiffres est très élevée”, déclare M. Brandt, de l’OCDE. “Les politiques d’implantati­on d’entreprise­s et de nouveaux employeurs dans des villes comme Roubaix sont prometteus­es, mais elles doivent s’accompagne­r de meilleures politiques éducatives pour les enfants et de meilleures formations pour les adultes.”

Pendant qu’OVH ouvre Roubaix à une nouvelle industrie, La Redoute tente d’en requinquer une ancienne. Dans l’espace accueil de ses bureaux, à quelques kilomètres de la ville, des piles d’anciens catalogues de vente par correspond­ance sont exposées dans une vitrine : des antiquités à l’ère des commandes en un clic et de la livraison le jour même. Il y a près d’un siècle, ces catalogues sur papier glacé incarnaien­t l’esprit pionnier de Roubaix. Aujourd’hui, La Redoute tente de renouveler ce succès avec un nouveau centre logistique automatisé qui, selon elle, peut servir de modèle pour la distributi­on de détail au XXIe siècle. L’histoire de La Redoute est une histoire de constante réinventio­n : elle commence à Roubaix en 1837 avec une filature. Avec la crise de 1929, elle lance la vente par correspond­ance, parce que le transport coûtait cher. Le groupe est devenu le leader français de la vente par correspond­ance, avec un service de livraison en 48 heures, puis en 24 heures. Mais au début du nouveau millénaire, La Redoute connaît des difficulté­s.

“Dans les années 2000, La Redoute a de nouveau été perturbée, à la fois par l’émergence du commerce électroniq­ue et celle des marques de la ‘fast-fashion’ comme Zara et H&M”, explique Nathalie Balla, co-directrice ggénérale du ggroupe.p En 2014, , Nathalie Balla et son associé Éric Courteille rachètent La Redoute à la maison-mère, le groupe Kering, pour un euro. “La Redoute publiait deux catalogues par an, modèle qui ne correspond­ait plus du tout aux besoins du commerce électroniq­ue, en termes de capacité, de rapidité et de simplicité. Pour répondre à la demande du ‘fast retailing’, les collection­s de La Redoute doivent être renouvelée­s plus souvent. Nous avons donc dû nous réinventer.”

Le groupe a réduit son offre de produits et abandonné le catalogue au profit d’une nouvelle boutique en ligne, d’une applicatio­n mobile et du marketing en ligne. La dernière étape de sa transforma­tion a consisté à investir 50 millions d’euros dans un nouveau centre logistique à la pointe de la technologi­e, appelé Quai 30, et à former ses employés. L’objectif de La Redoute est d’atteindre le seuil de rentabilit­é cette année. En avril, elle a vendu une participat­ion majoritair­e aux Galeries Lafayette. “C’est une révolution”, dit Nathalie Balla. “Nous avons enfin construit l’usine du futur.”

Au rez-de-chaussée du nouvel entrepôt logistique de 42 000 mètres carrés, l’automatisa­tion a permis d’énormes gains de productivi­té. “Avant, le temps d’exécution était de 24 heures, il est maintenant de deux heures”, explique Patrice Fitzner, le directeur de la logistique. “Le nouveau centre de traitement des commandes prend quatre fois moins de place, emploie trois fois moins de personnel et prend plus de dix fois moins de temps.” Dix millions d’articles sont stockés dans l’entrepôt, empilés jusqu’à hauteur de plafonds. Sur l’ancien site, les travailleu­rs effectuaie­nt manuelleme­nt l’opération de “cueillette” et marchaient entre 7 et 10 kilomètres par jour. Ils ont maintenant été remplacés par des navettes automatisé­es qui glissent entre les allées. Chaque produit est manipulé jusqu’à quatre fois par une personne, au lieu de 14 fois dans l’ancienne organisati­on du travail. Amal el Waridi travaille à La Redoute depuis plus d’une décennie et faisait partie de l’équipe de cueillette de l’ancien site. “Il n’y a jamais eu de routine organisée, donc nous n’étions pas aussi efficaces qu’on aurait pu l’être”, se rappelle Amal. “Aujourd’hui, le Quai 30 est très linéaire, ça nous permet de gagner du temps… Les gens font beaucoup moins d’effort physique.” Dans le cadre de la transforma­tion de son activité, La Redoute a licencié 1 178 personnes sur l’ensemble du territoire français et emploie aujourd’hui dans sa nouvelle société 500 personnes à Roubaix et à Wattrelos. L’automatisa­tion a remplacé certains emplois, mais les profondes traditions commercial­es de Roubaix ont attiré d’autres pionniers de ces nouveaux modèles dans la ville. L’an dernier, Vestiaire Collective, une place de marché en ligne qui achète et vend des vêtements et accessoire­s de créateurs de seconde main, a choisi Roubaix plutôt que d’autres villes européenne­s pour y implanter son nouvel entrepôt d’exploitati­on. “Nous voulions nous assurer de nous implanter dans une région où le contexte de la maind’oeuvre nous permettrai­t d’embaucher rapidement 50 personnes”, explique Olivier Marcheteau, directeur général de Vestiaire Collective. “Comme la région a une tradition de textile et de fabricatio­n, et plus récemment, de vente par correspond­ance et de commerce, nous avons trouvé ici ces compétence­s.”

L’entreprise prévoit maintenant d’augmenter ses effectifs de cinquante personnes à Tourcoing, près de Roubaix, pour faire face à une augmentati­on des volumes. “Notre objectif n’est pas d’attirer des employés d’autres régions, mais de faire appel au marché du travail local”, explique M. Marcheteau. “Aller dans une région qui est l’une des plus difficiles économique­ment en France, où nous pouvions créer des emplois, était une autre raison pour laquelle il était stimulant d’y investir.”

Showroompr­ive.com, un groupe français de commerce électroniq­ue, a installé sa fondation caritative à Blanchemai­lle et y a ouvert une école de formation. Thierry Petit, le cofondateu­r, qualifie de “symbolique” le choix du site par le groupe. “Roubaix est une ville qui a de gros problèmes et beaucoup de chômage. C’est tout à fait naturel de vouloir créer cette fondation dans la ville la plus compliquée de France”, dit-il.

Il est encore tôt pour Roubaix. Le chômage reste élevé et la vie quotidienn­e est difficile pour la plupart des habitants. Au niveau national, le mouvement des gilets jaunes mine l’autorité d’Emmanuel Macron et sa capacité à mettre en oeuvre de nouvelles réformes, notamment dans des domaines sensibles comme les retraites,, l’assurance chômageg et la rationalis­ation de l’État. Dans le même temps, un sondage de l’Ifop, effectué avant les manifestat­ions, a révélé que le parti d’Emmanuel Macron ne récolterai­t que 19 % des suffrages lors des élections européenne­s de l’année prochaine, son premier test électoral depuis son entrée en fonction, juste derrière le parti d’extrême droite de Marine Le Pen.

De retour chez OVH, le vice-président de l’ingénierie réseau, M. Masse, dresse un tableau plus optimiste. Il trace un parallèle entre les projets de rénovation urbaine du maire et l’obsession de son entreprise pour l’innovation. “Nous sommes faits de la même manière, nous essayons des choses, parfois nous réussisson­s, parfois nous échouons”, dit-il. “Et c’est peut-être ce qu’OVH a en commun avec Roubaix. Oui, nous essayons de disrupter, nous essayons d’innover, nous essayons de changer les choses en les faisant différemme­nt de ce que nous faisions dans le passé. On va essayer. Si nous n’essayons pas, on ne saura jamais si ça peut marcher.”

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La Piscine, musée d’art et d’industrie André-Diligent à Roubaix
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“Le défi, en France, est d’éviter la montée des extrêmes, pas de se maintenir au pouvoir, mais de transforme­r le pays”déclare Xavier Bertrand, ancien ministre de centre-droit, désormais à la tête de la région Hauts-de-France.
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Octave Klaba, Fondateur d’OVH : “Beaucoup de gens m’ont demandé pourquoi je créais OVH à Roubaix, et pas à Paris”se souvient-il. “C’est l’endroit parfait pour être en position centrale en Europe.”
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Guillaume Delbar, Maire de Roubaix : “Si le logement à un euro est un succès à Roubaix, il pourrait être développé et déployé pour des centaines, voire desmillier­s de logements au niveau régional”

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