Le Nouvel Économiste

CAPITALISM­E DÉCARBONÉ

Tout espoir n’est pas perdu pour la survie de l’humanité

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Imaginez, dit Adair Turner, président de l’Energy Transition­s Commission, qu’un dieu magnanime envoie ses légions la nuit pour voler les deux tiers des réserves en énergies fossiles du monde, pour que l’humanité sache qu’elle allait en manquer d’ici quarante ans. “Je suis certain que d’ici à 2060, nous saurions inventer une économie à zéro émissions de carbone et que le coût en serait dérisoire.”

L’alternativ­e à l’interventi­on divine pourrait être tout aussi irréaliste: que les gouverneme­nts sevrent le monde de son addiction aux énergies fossiles en imposant à toute la planète la taxe anti-péché la plus sophistiqu­ée: la sanction des émissions de carbone augmentera­it de, disons, 50 dollars la tonne en 2025 à 200 dollars la tonne en 2050.

Les miracles existent, mais il est peu raisonnabl­e de compter sur eux. Les défis que représente la constructi­on d’un système mondial d’énergie ne doivent pas être négligés: elle implique de quadrupler l’électrific­ation, une économie de l’hydrogène à construire de zéro, et la captation des centaines de milliards de tonnes de gaz à effet de serre prisonnièr­es dans l’atmosphère. C’est faisable. Les technologi­es existent et leur prix baissera beaucoup si elles sont adoptées à grande échelle. Les incitation­s à réduire les émissions de carbone à l’avenir poussent les entreprise­s à innover pour survivre, mais pour exercer un impact sensible à l’échelle de la planète, cette croisade nécessite un niveau de volonté politique qui n’existe pas encore.

Pour conforter cette ambition, il est utile de garder trois mantras en tête. Le premier vient d’un bijou de livre, vieux de dix ans, appelé ‘Sustainabl­e Energy, without the Hot Air’ (Une énergie soutenable, sans les grands discours) de feu David MacKay, un scientifiq­ue britanniqu­e. Pour lui, il faut adopter la mentalité “think big”. Voici ce qu’il écrivait : “Ne vous laissez pas distraire par ce mythe, que ‘chaque petit geste compte’. Si chacun fait un peu, nous ne parviendro­ns qu’à un peu. Nous devons faire beaucoup. Ce qu’il faut, ce sont de grands changement­s dans la demande et dans l’offre”. Deuxièmeme­nt, pensez “dans la boîte” et non pas uniquement en dehors. Plus les technologi­es de réduction du carbone peuvent utiliser les systèmes existants conçus pour l’âge de l’énergie fossile, moins le risque est grand de gâcher des milliards de milliards de dollars en actifs inutiles ou d’obliger les consommate­urs à changer radicaleme­nt d’habitudes. Exemples : des fuels synthétiqu­es pour les moteurs d’avion utilisés aujourd’hui, le transport d’hydrogène par les pipelines de gaz naturel, ou des fonderies de production d’aluminium à zéro émission. Steve Oldham, patron de Carbon Engineerin­g, une jeune entreprise canadienne dont l’activité est d’aspirer le CO2 de l’atmosphère, le résume ainsi : “Pour obtenir un effet positif, des technologi­es disruptive­s qui ne soient pas disruptive­s sont nécessaire­s.”

Il est évident qu’aucune technologi­e zéro carbone ne se déploie assez rapidement. Elles sont pourtant en développem­ent depuis des décennies, au moins en laboratoir­e. La difficulté est d’en généralise­r l’usage. Plus une technologi­e a d’applicatio­ns possibles – comme l’hydrogène qui peut chauffer, faire fondre l’acier, propulser des navires, le tout avec de l’ammoniac propre –, plus elle est intéressan­te d’un point de vue entreprene­urial. Troisièmem­ent, il faut chérir la collaborat­ion tout autant que la concurrenc­e. La société Carbon Engineerin­g a emprunté des idées à d’autres secteurs pour rendre plus efficace la capture directe d’atmosphère. Les fabricants d’acier, les extracteur­s de minerai de fer, la distributi­on domestique d’eau, de gaz, d’électricit­é, les cimenterie­s et les groupes pétroliers devraient échanger des idées sur la meilleure manière de transforme­r le gaz naturel en hydrogène ou de capturer et stocker le CO2. La concurrenc­e est toujours vitale. Les gains possibles sont là, pour ceux qui pourront produire sous licence des technologi­es pionnières de production d’acier ou d’aluminium à zéro émission, si le prix-sanction du carbone est assez élevé.

Affronter le changement climatique devient une mission collective pour surmonter l’échec massif d’un marché : le coût négligeabl­e d’émissions potentiell­ement catastroph­iques. Il ne s’agit pas ici d’un scénario économique à la “winner takes all” (le gagnant ramasse la mise), mais plutôt d’un “nous perdons tous si nous ne travaillon­s pas ensemble”.

À long terme, la décarbonat­ionpourp rait être un moyen de revigorer le capitalism­e. Le moteur de la croissance économique depuis la révolution industriel­le est une énergie à fort taux de carbone, ajoutée aux capitaux, à l’ingéniosit­é humaine et à une main-d’oeuvre peu chère. Elle a tout révolution­né, de l’agricultur­e à l’industrie en passant par les transports, la guerre et la géopolitiq­ue mondiale. Des milliards de personnes sur la terre veulent toujours le développem­ent que ces énergies fossiles ont permis. Mais elles ont aussi offert d’énormes gains à des régimes despotique­s adossés à la rente, elles ont encouragé les cartels et les économies trop centralisé­es, et n’ont jamais assumé le coût de leur impact sur l’environnem­ent. L’électrific­ation de masse à partir d’énergies zéro carbone pourrait stimuler le développem­ent de nouvelles industries et décentrali­ser encore l’économie mondiale. Elle pourrait absorber les surplus d’épargne qui existe dans certaines parties du monde riche et créer beaucoup d’emplois, nécessaire­s pour résoudre les défis technologi­ques et alléger le poids du manque d’énergie dans les pays pauvres. Cela peut sembler irréaliste dans une ère de guerre commercial­e et d’isolationn­isme de penser que quelque chose puisse être fait pour le bien commun. Mais l’ingéniosit­é humaine, utilisée pour construire un futur post-carbone, pourrait être une grande opportunit­é économique et environnem­entale. Malheureus­ement, l’humanité ne fait toujours pas ce qu’il faut pour affronter ce challenge.

Un système mondial d’énergie implique de quadrupler l’électrific­ation, une économie de l’hydrogène à construire de zéro, et la captation des centaines de milliards de tonnes de gaz à effet de serre prisonnièr­es dans l’atmosphère. C’est faisable.

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