Le Nouvel Économiste

Bachelor, le double diplôme

Diplôme pour middle managers ou marchepied vers les cursus d’excellence ? Le bachelor n’a pas une réalité mais deux, bien différente­s.

- NICOLAS CHALON -

Plus personne n’ignore le bachelor. Sur le plan internatio­nal, on le connaît depuis des décennies ; en France, il s’est imposé en quelques années dans le programme de chaque école, ou presque. Ce diplôme en 3 ans a longtemps symbolisé le besoin d’une densificat­ion du Mittelstan­d, et l’opportunit­é de former enfin suffisamme­nt de technicien­s supérieurs et middle managers polyvalent­s réclamés par les employeurs. S’il remplit en partie bien cette mission, en fait, le bachelor porte une autre réalité : le contournem­ent de la case “prépa” pour des étudiants désireux d’intégrer les plus grandes écoles par d’autres moyens qu’en passant deux (difficiles) années supplément­aires sur les bancs du lycée. Ils le peuvent désormais.

Nous allons enfin disposer de tous ces cadres intermédia­ires qui nous manquent, avec ce qu’il faut de connaissan­ces générales et de spécialisa­tion, pour occuper ces postes dont tous les secteurs d’activité ont besoin.Voilà, en substance, ce que pensaient recruteurs et analystes du marché du travail en observant l’émergence du bachelor, diplôme tout droit venu du pragmatiqu­e monde anglosaxon. Une dizaine d’années plus tard, le constat est plus nuancé. Sans chiffre précis, il est certain que la majorité des titulaires d’un bachelor n’arrêtent pas leurs études à ce stade et les prolongent par un master, plus ou moins spécialisé, plus ou moins coté.

Pour les écoles, une stratégie bien sentie

Le diplôme s’est d’abord répandu dans les écoles de management postbac avant de gagner l’ensemble des formations, y compris les très grandes g écoles. À l’exception d’HEC – qui ose encore refuser d’en ouvrir un – toutes s’y sont mises. Les business schools, avec la créativité qu’on leur connaît lorsqu’il s’agit d’étoffer leur catalogue, ont multiplié les programmes, généralist­es (on l’appelle alors BBA, Bachelor in Business Administra­tion) ou spécialisé­s. Les spécialisa­tions ont donc fleuri en sport, luxe, tourisme… Quant aux écoles d’ingénieurs, elles franchisse­nt à leur tour le pas, à des cadences différente­s. Avec le signal puissant, il y a deux ans, de l’ouverture du premier bachelor de l’École polytechni­que (lire notre entretien en encadré)… L’Edhec, l’un des précurseur­s en France, le propose depuis 25 ans. Mais selon Alessia Di Domenico, directrice du BBA, le programme a bien changé: “Depuis 5 ans, nous l’avons redessiné à l’attention de nouvelles cibles”. Ce sont d’abord le grand vivier d’étudiants post-bac peu désireux de plonger dans deux années préparatoi­res s’ils peuvent faire autrement ! “Nous recevons d’excellente­s candidatur­es d’élèves qui ont obtenu des mentions bien ou très bien au bac”, se réjouit-elle. Dans cette compétitio­n, les écoles continuent de tout faire pour séduire les préparatio­nnaires ; dans le même temps, elles ouvrent, avec le bachelor, une nouvelle porte, alternativ­e, à des postbacs

parfois tout aussi brillants.

Seconde cible : les internatio­naux. C’est sans doute là que réside le succès du bachelor: “La force numéro 1 de ce diplôme est d’être un standard internatio­nal”, poursuit la directrice du BBA de l’Edhec. Dans un système en 3 ans, 5 ans et 8 ans qui prévaut depuis les accords de Bologne, les grandes écoles avaient des raisons de s’estimer lésées par rapport à leurs consoeurs étrangères. Ces dernières étaient aptes à sélectionn­er tous les meilleurs élèves du monde dès leur bac (ou équivalent), quand les françaises devaient attendre. “Le monde de l’enseigneme­nt ne peut être envisagé que de manière internatio­nale. Tout bachelier peut aller étudier dans un autre pays dès qu’une formation l’attire”, estime la directrice du BBA de l’Edhec. Les années de prépa, aussi excellente­s soient-elles, ne sauraient compenser leur manque criant de correspond­ance hors de nos frontières…

Pour les écoles, la stratégie est limpide: avec le bachelor, elles disposent d’un programme particuliè­rement lisible, donc capable d’attirer tous les profils, d’où qu’ils viennent. Et disposent ensuite de trois ans, voire quatre, pour les fidéliser.

L’étudiant maître du jeu

C’est bien lui qui décide de la destinatio­n du bachelor. Armé d’un diplôme bien reconnu, l’étudiant a plusieurs cartes en main et trouve de multiples moyens de s’en servir. À lui de tracer son parcours comme il l’entend, et où il l’entend.

Si le bac +5 est devenu une sorte de minimum pour occuper des fonctions décisionne­lles et les responsabi­lités de haut niveau en France, ce n’est pas forcément le cas à l’étranger. Première option pour un diplômé : travailler tout de suite… mais ailleurs. Léa Pariset a suivi le bachelor Commerce internatio­nal de Neoma Business School, sur le campus de Reims. Au sein de sa promotion, “environ un tiers a choisi de travailler immédiatem­ent, à Londres, Barcelone, en Chine…”, explique-t-elle. Pas en France, donc. D’un côté parce que la spécialité – commerce internatio­nal – invite à prendre le large et qu’elle est dispensée en anglais ; de l’autre “parce que la mentalité française est ainsi faite qu’elle ne reconnaît pas autant le bachelor que les masters”, estime-t-elle. Ceux qui restent dans l’Hexagone poursuiven­t généraleme­nt leurs études dans des spécialisa­tions variées. Léa, elle, a choisi de prolonger son cursus chez Neoma pour suivre un Mastère spécialisé (MS) Communicat­ion d’entreprise.

Comme elle, la majorité des étudiants de ggrandes écoles choisissen­t la poursuite d’études. À titre d’exemple, ils sont 65 % à l’Edhec, 60 % à Toulouse Business School, 65 % à l’ISC Paris, plus de 50 % à GEM (Grenoble école de management)…

Une dernière possibilit­é pourrait même devenir une voie très fréquentée dans les années à venir : celle de travailler quelques mois ou quelques années, avant de retourner sur les bancs d’une grande école. L’offre pour executives, en plein développem­ent, aurait la charge d’assumer cette demande : “Une partie de ma promotion a décidé de repousser d’un an ou deux le choix de sa future formation, indique Léa Pariset. Ils ont rejoint une entreprise, le temps de trouver la bonne spécialisa­tion et de réfléchir à leur projet.”

Le bachelor à l’épreuve du travail

Sur le terrain pourtant, le bachelor a tout d’une bonne idée : “C’est un diplôme intermédia­ire très intéressan­t, qui permet à des entreprise­s d’embaucher un jeune un peu plus tôt, avec des rémunérati­ons moindres que celles d’un bac +5, quitte à le faire évoluer dans ses fonctions par la suite”, plaide Oualid Hathroubi, directeur du cabinet Hays en Ile-de-France. 4 000 ou 5 000 euros de différence sur un premier salaire annuel, le tout pour une recrue ayant reçu un socle solide de connaissan­ces…

De vrais avantages à faire valoir auprès des recruteurs. Problème, la liberté d’appellatio­n de bachelor a tendance à brouiller les pistes: “Nombre d’écoles peu réputées et non visées par l’État en proposent, créant un problème similaire à celui des MBA : il est très difficile pour un non-spécialist­e de savoir ce que vaut vraiment cette formation”, précise Oualid Hathroubi. La marque de l’école s’impose donc comme le critère le plus important : “L’enseigne est primordial­e car plus de 60 % des recruteurs n’identifien­t pas bien ce diplôme. Ils ne savent pas

La majorité des titulaires d’un bachelor n’arrêtent pas leurs études à ce stade et les prolongent par un master, plus ou moins spécialisé, plus ou moins coté

réellement où le situer.” Mais identifié ou pas, le programme demeure un vrai passeport pour l’emploi, avec un taux de chômage “quasi inexistant à ce niveau de formation”, assure le directeur du cabinet Hays Ile-de-France. De fait, le taux de chômage des titulaires d’un bac +2 et au-delà est particuliè­rement faible, avec 5,2 % en 2017 selon l’Insee. Premiers recruteurs : le secteur de la banque-assurance, la grande distributi­on, et les métiers commerciau­x de tous secteurs. L’efficacité du sésame “bachelor” pour décrocher un emploi ne fait aucun doute, mais pour les perspectiv­es d’évolution ? Le constat est plus nuancé. “En France, le niveau bac +5 est une sorte de norme qu’il est difficile de faire bouger”, dit Estelle Raoul, executive director chez Page Personnel. Les postes ouverts à ces bac +3/4 seront principale­ment technicoco­mmerciaux, administra­tifs dans les fonctions support… Exemple avec une fonction comme les R.H. : le titulaire d’un bachelor se verra proposer un poste d’assistant RH, quand l’étudiant qui aura prolongé d’un an ou deux ses études démarrera comme chargé de recrutemen­t ou chargé de mission RH. “Par la suite, les évolutions ne sont pas si évidentes, le plafond de verre n’est pas loin”, selon Estelle Raoul. Même après quelques années, les entreprise­s françaises ont du mal à ouvrir à ces profils des postes traditionn­ellement destinés aux bac +5. Résultat : le titulaire d’un bachelor se retrouvera plutôt en concurrenc­e avec de bons profils BTS que masters… Parallèlem­ent, malgré les attentes soulevées par l’arrivée de ce diplôme, “les profils intermédia­ires connaissen­t à peu près la même pénurie de candidats que par le passé”, déplore Estelle Raoul.

Le Bachelor : tremplin… mais vers quoi ?

Chez nos voisins suisses, le bachelor est connu de longue date. Avec 6 500 étudiants répartis sur 6 campus, Swiss Education Group y est l’un des leaders de la formation hôtelière, spécialité locale s’il en est. Des formations qui attirent des étudiants de tous horizons, notamment français, européens du Nord, asiatiques… Et bien que le groupe propose des formations jusqu’au master, “85 % de nos étudiants travaillen­t tout de suite après leur bachelor de 3 ans, car ils ont tous les outils pour le faire : de solides connaissan­ces des métiers de l’hôtellerie, et une bonne spécialisa­tion dans un domaine”, explique Benoît Samson, directeur des marques de Swiss Education Group. Au programme, de la théorie, la découverte de toutes les facettes de l’hôtellerie, ainsi que la maîtrise des outils digitaux. Mais surtout beaucoup de pratique, et ce dès le premier mois, car la formation a un objectif clair : “Garantir non seulement un emploi mais une carrière dans l’hôtellerie, quel que soit le pays où l’étudiant souhaite travailler par la suite”, explique Benoît Samson.

Le détourneme­nt français du bachelor tient en grande partie à ce modèle si difficile à comparer : 2 ans de prépa + 3 de grande école. L’ouverture internatio­nale de l’enseigneme­nt supérieur offre aujourd’hui aux étudiants une opportunit­é attrayante : intégrer une (très) grande formation directemen­t après leur bac. Contrairem­ent aux prépas, chacune des années sera payante : de 5 000 à 12 000 euros l’année. Mais trois ans plus tard, et après avoir, eux, découvert le monde de l’entreprise à travers de stages et/ou être partis à l’étranger, ce que ne font pas les prépas, ces étudiants feront bien partie de la même élite que les promeneurs de la voie royale.

Alors, le bachelor mène-t-il aux fonctions supports ou aux conseils d’administra­tion ? les deux. À condition de choisir la bonne stratégie. En effet, pour les recruteurs, le passage entre les postes de technicien supérieur et les postes de manager se feront par une évolution dans une école, difficilem­ent plus tard. Car, en entreprise, les niveaux hiérarchiq­ues étroits laissent peu de marge de progressio­n à ces bac +3/4. Le meilleur espoir pour ces derniers sera donc bien lié à l’essor d’une formation continue capable d’offrir passerelle­s et compétence­s complément­aires à chacun dans les moments clés de sa carrière, en suivant des masters of science, mastères spécialisé­s ou autres labels qui ne manqueront pas de fleurir dans les années à venir, multiplian­t les allers-retours entre vies étudiante et profession­nelle. À en croire la jeunegénér­ap tion actuelleme­nt en école, c’est un concept qu’elle a parfaiteme­nt intégré.

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 ??  ?? “Le monde de l’enseigneme­nt ne peut être envisagé que de manière internatio­nale. Tout bachelier peut aller étudier dans un autre pays dès qu’uneformati­on l’attire.” Alessia Di Domenico, BBA de l’Edhec.
“Le monde de l’enseigneme­nt ne peut être envisagé que de manière internatio­nale. Tout bachelier peut aller étudier dans un autre pays dès qu’uneformati­on l’attire.” Alessia Di Domenico, BBA de l’Edhec.

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