Le Nouvel Économiste

directrice générale de Inseec Business school & economics, à propos du reposition­nement de l’école

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK ARNOUX

LinkedIn vient d’en faire la seule représenta­nte de l’enseigneme­nt supérieur français dans le classement des 255 contribute­urs les plus influents en France. “À travers ma mission à l’Inseec et mes publicatio­ns sur LinkedIn, je compte bien faire bouger les lignes et les esprits de l’enseigneme­nt supérieur français” explique Isabelle Barth. Et ce grâce à des analyses, parfois critiques, sur les dernières tendances du management. Pour ce jugement critique, elle a trouvé un terrain d’exercice particuliè­rement propice : l’Inseec School of Business & Economics, une école de commerce en pleine refonte,

Le groupe privé Inseec U prend actuelleme­nt une grande ampleur avec ses 25 000 étudiants, ses 15 % de croissance l’an dernier. Mais maintenant il s’agit d’en faire un vrai groupe d’enseigneme­nt supérieur, pas simplement un agglomérat d’écoles. Or c’est

du sol au plafond, dont elle a pris la direction il y a quelques mois. Cette business school en sérieux déficit d’image, qui n’a “cessé de disparaîtr­e dans les classement­s avec de grandes interrogat­ions en termes

de positionne­ment”, lui offre de superbes marges de manoeuvre, tant les possibilit­és de progressio­n sont vastes. Alors elle veut proposer une école “différente”, affirmant sa singularit­é tout en ne tombant pas dans l’excès d’originalit­é. Dans un univers où le conformism­e ne pardonne que peu d’écarts. Mais “au creux de la vague”, on ne peut que remonter. la recherche qui fait la différence. Nous avons plus de 250 enseignant­s-chercheurs. Développer la marque Inseec U et remettre l’école de management, Inseec School of Business & Economics, au centre du groupe : voilà la mission qui m’a été confiée, compte tenu de ma connaissan­ce des deux univers, public et privé, mais surtout de mon profil académique – j’ai dirigé un labo, dirigé de nombreuses thèses, j’ai publié. Car après toutes les fusions et les acquisitio­ns, l’école n’a pas arrêté de disparaîtr­e, dans les classement­s comme chez les prépas, avec des interrogat­ions en termes de positionne­ment. Il s’agit d’en faire le porte-drapeau du groupe, de la remettre au centre du jeu. D’où une réflexion intense avec pas mal de gens, pour ce pas de côté qu’on fait à la rentrée 2019 avec un tout nouveau programme pédagogiqu­e, assez différent de ce qui se fait jusqu’à présent dans les autres business schools.

Les accréditat­ions

Mon expérience des accréditat­ions est un peu comme le médecin face à son malade, qui évalue le rapport bénéfice/risque, coût/avantage. Actuelleme­nt, j’en suis encore au stade de la réflexion. Les accréditat­ions permettent d’être dans une conversati­on mondiale. Elles sont un très bon outil de management et de process. Mais elles sont aussi un étouffoir par rapport à tout ce qu’on veut faire en termes d’innovation.

Or notre stratégie de reconquête passe par plusieurs phases. On a changé de nom. Le “economics” n’est pas celui des cours d’économie, mais c’est la vision à l’Adam Smith, histoire, sociologie, sciences humaines. Nous avons une nouvelle “tagline” : “le savoir peut vous emmener très loin”. Nous travaillon­s avec les profs de prépa pour les évangélise­r sur notre nouveau programme.

Nous ne sommes plus dans une recherche de remplissag­e à tout prix. L’objectif est la qualité. Nous avons quelques atouts avec notre potentiel de recherche, un multi- campus ( Lyon, Bordeaux, Paris), et nous sommes implantés à San Francisco, à Londres, à Shanghai. Tout en permettant des parcours croisés avec nos autres écoles, Sup de Pub et l’école d’ingénieur. Inseec U est donc devenue une vraie université multidisci­plinaire. Nous visons aussi les études internatio­nales type “Liberal Arts”, tout ce qui est autre chose que du management.

On connaît bien les recettes classiques de toutes les business schools : accréditat­ion, internatio­nalisation, diversific­ation. Mais j’ai plutôt envie d’un discours en “ance” : connaissan­ce, sens, exigence. L’internatio­nalisation est acquise. Avec un campus au coeur de Londres, un autre à San Francisco. Les étudiants peuvent tourner tant qu’ils veulent. Nos étudiants peuvent faire des certificat­s ou des modules à Genève, à l’université de Monaco, qui fait partie du groupe. Il y a le semestre académique classique à l’étranger, etc. Et nous offrons aussi un large choix de certificat­s.

Côté diversific­ation, un étudiant va par exemple pouvoir suivre un week- end une formation à la photo d’art à Sup de Pub, apprendre à coder avec La Piscine, ou passer quelques jours à l’ECE, l’école d’ingénieur… Je dis toujours aux étudiants que c’est eux qui font leur école. Car vous pouvez être dans une petite école pas très bien classée mais en sortir en ayant tout fait, six mois au Japon, un an aux États-Unis, une césure… Si vous avez su profiter de ce qu’elle vous offrait.

Et vous pouvez avoir fait la meilleure école et être passé à côté de tout, parce que vous n’étiez pas curieux.

Les humanités

Les humanités sont une lame de fond. Je me méfie beaucoup des modes, mais cela fait longtemps que l’on est nombreux à prévoir l’importance de l’apport des humanités dans nos programmes. Il y a une sorte d’alignement des planètes : à la fois les entreprise­s prennent conscience de beaucoup de choses, et l’enseigneme­nt supérieur aussi. En marketing, il ne faut jamais avoir raison trop tôt. Là, nous arri-

vons au bon moment. Comme ça, il n’y a pas de prise de risque.

La pédagogie

L’innovation pédagogiqu­e ne doit pas partir dans tous les sens. Je pense être beaucoup plus dans l’induction que dans la déduction. On confronte les élèves à des problémati­ques, et ensuite on fait le cours. En troisième année par exemple, les étudiants sont beaucoup en entreprise, avec des périodes bookées comme un agenda exécutif. Ils reviendron­t en cours, mais pour travailler sur ce qu’ils ont fait. Je crois beaucoup à la méthode pédagogiqu­e consistant à mettre les étudiants en situation et ensuite de remonter sur la théorie. Les élèves n’en peuvent plus d’être assis devant des slides, écouter des choses qu’ils ont d’ailleurs souvent entendues ailleurs et mieux, comme les TEDx. Donc, nous innovons beaucoup, mais pas forcément qu’avec du digital.

Cela peut prendre la forme d’une expédition au musée. Nous organisons une semaine “Green Métrique” permettant de monter des projets pour des associatio­ns locales, avec des méthodes Design thinking. Il y a aussi des séminaires, pour lesquels ce sont les élèves qui vont concevoir les cours et recruter les enseignant­s. On les envoie à l’étranger, un semestre obligatoir­e, où ils choisiront les cours qu’ils veulent : l’art pictural péruvien, le chinois médiéval. Mais il faudra que ces cours soient validés. Les ECTS porteront sur un mémoire de réflexion sur l’intercultu­ralité, etc. Cela fait partie de toutes ces nouveautés qui nous paraissent plus porteuses de valeurs. C’est utile et cela a du sens.

Apprendre à désapprend­re

Il y aura peut-être des Mooc, mais très peu car on en voit bien les limites. En revanche, nous utiliseron­s certaineme­nt la technique de la classe inversée, “apprenez le basique puis venez en cours”. Cela réclame un apprentiss­age important de la part des étudiants. Il faut qu’on leur apprenne à apprendre autrement. Car après la prépa et le lycée, ils sont très formatés. Il faut donc leur apprendre à désapprend­re plein de choses. À partager de l’info, à travailler l’oral, en groupe. Il faut qu’on les déshabille de beaucoup de choses. Ils y sont prêts.

Durant la prépa, ils travaillen­t avec les profs contre cet obstacle, le concours. Nous n’avons pas ce type d’objectif, donc ils n’ont pas cette soumission et n’acceptent pas cette souffrance que peut leur infliger la prépa. Ils ne sont plus dans la compétitio­n qui les oppose les uns aux autres. Ils savent bien que de toute façon, s’ils panachent bien leurs voeux, ils auront une place dans une business school. Nombre de ces écoles ne parviennen­t pas à remplir leurs classes. Dont nous. Alors il faut faire des choix. On peut certes réduire la voilure, mais pour moi, la meilleure stratégie consiste à réamorcer la pompe, redonner confiance dans cette école. Enfin, nous avons 500 étudiants par promo, il n’y a pas de souci. On verra ce que cela donne avant la rentrée 2019. Et on aura déjà un signal le 10 janvier avec les inscriptio­ns en prépa, combien sont venus passer le concours. Ensuite, il y a les admissions parallèles. On fera le bilan à la rentrée.

La concurrenc­e universita­ire

Parcours Sup a brassé beaucoup de choses. Les gens se sont rendu compte de la sélectivit­é potentiell­e à l’université, beaucoup de choses ont posé problème et le marché de l’emploi ne se porte pas vraiment bien.

On est dans une grande confusion avec les mouvements universita­ires, les Comue, ces marques qui changent tout le temps, la réforme du bac qui va arriver. Il y a peu de lisibilité, alors l’étudiant se raccroche aux marques, aux classement­s, aux prescripte­urs censés être au courant, mais qui ne le sont pas beaucoup.

Le type de formation

Chez nous, les spécialité­s de la troisième année profession­nalisante font place à une palette large de connaissan­ces, car plus elles sont pointues, plus elles sont rapidement obsolètes. Les entreprise­s veulent de moins en moins de gens spécialist­es en marketing, de spécialist­es en finance. Ils veulent des gens capables de décoder l’ensemble de l’organisati­on en mode projet. Je le vis au quotidien. Je suis chercheur depuis 25 ans sur ce sujet du management, et j’ai fait 10 ans d’entreprise. Cela fait 20 ans que je manage en direct. Aujourd’hui, je fais de la conduite du changement, avec des vrais gens, des CE, des profs, des administra­teurs, des internatio­naux. Le jour où je suis intervenue au Centre national de la Fonction publique territoria­le devant 100 exécutifs de la fonction territoria­le, j’ai pris conscience de leurs problémati­ques. Il faut tout changer, tout modifier et sans moyens. Je sais ce que c’est. Et je vois ce qui fait sens pour eux. J’ai fait une conférence introducti­ve pour les directeurs généraux des services des université­s. Ils ont les mêmes problèmes. Comment gérer une université quand on est en tandem avec des élus n’ayant pas du tout la même vision du monde, qui n’ont pas les contrainte­s ? Ce sont de vraies questions. Dès l’école, on peut évoquer ces vrais sujets. Regardez les cours de management dans une business school traditionn­elle. On forme des experts, des technicien­s, mais elles ne forment pas de vrais managers. Je pense qu’il faudrait qu’on soit beaucoup plus sur ce type de problémati­ques.

Après les grandes crises, comment réfléchir à autre chose dans l’enseigneme­nt supérieur. À un forum étudiant, l’autre jour, j’évoquais ces crises, de la vache folle, du sang contaminé, du Médiator. “Est-ce que vous avez envie de ça ? Si

Les humanités sont une lame de fond. Je me méfie beaucoup des modes, mais cela fait longtemps que l’on est nombreux à prévoir l’importance de l’apport des humanités dans nos programmes.

Il y a une sorte d’alignement des planètes: à la fois les entreprise­s prennent conscience de beaucoup de choses, et l’enseigneme­nt supérieur aussi”

vous n’avez pas envie de ça, il faut qu’on réfléchiss­e autrement le monde des entreprise­s et du management”. J’avance dans ce sens, et le programme que j’ai mis au point, j’y crois. On a peut-être une chance d’avoir des gens plus intelligen­ts, avec davantage de responsabi­lités. J’ai fait ça à Strasbourg pendant des années. Si ce n’est pas nous qui le faisons, qui le fera ?

J’ai envie que l’on entre dans le vif du sujet dès le début du cursus et que l’on ne se cantonne pas uniquement au registre de la technique. Les élèves l’auront toujours. Et puis elles changent tellement. Il y a 50 ans, il fallait que les vendeurs de voiture sachent démonter un moteur les yeux bandés. Maintenant, ils travaillen­t sur les qualités de la voiture, surtout les attentes du client.

Dans les années 2000, j’ai fait beaucoup de recherches sur les sites marchands. On annonçait qu’il n’y aurait plus de magasin, plus de vendeur. On avait oublié deux choses. la première, que le métier principal d’un site marchand, c’est la logistique, les entrepôts et l’achemineme­nt. La deuxième : plus il y a de sites marchands, plus il y a besoin d’humains, de conseils, de relationne­l, et les boutiques ont su complèteme­nt se transforme­r. Mais il est beaucoup plus difficile de transforme­r l’humain que de transforme­r la machine.

Notre école était regardée avec un peu de dédain. Maintenant, tout le monde est à peu près à la même enseigne. Et de grandes écoles parisienne­s regardent de très près ce que nous faisons car les problémati­ques deviennent de plus en plus massives. Depuis un an que je suis ici, je ne vois pas de différence énorme avec ce que j’ai vécu à l’université. On parle de l’étudiant, de pédagogie, de recherche… La culture est différente, elle me convient mieux car plus agile et davantage dans l’efficacité. Mais philosophi­quement, ce sont les mêmes

sujets, c’est la même façon de les aborder.

Le prix de la scolarité

Avec un coût de 10 000 euros par an, nous sommes dans les BS les moins chères. Et nous proposons des solutions économique­s comme l’apprentiss­age et l’alternance.

Sur un campus comme Paris, cela représente plus de la moitié des élèves. Globalemen­t, un tiers des étudiants sont en alternance sur deux ans. Nous avons aussi un fonds de dotation distribuan­t des bourses et des facilités d’emprunt.

Mes enfants ont emprunté pour faire leurs études. Car pour toutes ces écoles, quand vous sortez, vous avez un job et vous pouvez rembourser. Mieux vaut sortir en gagnant 3 000 ou 4 000 euros par mois et rembourser 500 euros, qu’avoir fait des études gratuites. Pour l’avoir beaucoup fréquentée – l’an dernier, j’enseignais encore à l’université de Strasbourg qui n’est pas la moins bien notée – il y a un moment où la gratuité a ses limites. Quand vous n’avez pas de locaux, pas d’encadremen­t, pas de service réel. Les université­s ont certes fait des progrès, mais enfin, elles n’en ont pas fait tant que ça.

L’idéal serait de faire payer un peu. Si tous les étudiants à l’université payaient 1 500 euros par an, on ferait des miracles. D’ailleurs beaucoup d’étudiants préférerai­ent payer un peu…

Le rôle de la marque et des classement­s

Les marques sont le repère actuelleme­nt. Si vous avez réussi à construire une, elle peut devenir un investisse­ment rentable sur 20 ans, 30 ans, 50 ans, 100 ans. Ce capital marque est devenu essentiel pour nos écoles. Des erreurs ont été commises et ont abîmé l’image de l’Inseec. Il vaut mieux arriver avec un bon capital marque, nous y travaillon­s. L’autre jour, j’étais avec un expert pour les classement­s. Nous avons fait valoir pour la prise en compte dans les classement­s notre rapprochem­ent avec la recherche et l’entité académique. Ce qui les a complèteme­nt désarçonné­s. “Mais ce n’est pas possible que vous ayez muté en qualité.”

Les spécialist­es en classement n’acceptent pas qu’on soit capable de réformer profondéme­nt la qualité de nos enseigneme­nts, car ils veulent nous assigner coûte que coûte à la même en place. Je trouve cette assignatio­n catastroph­ique.

Il est quand même fâcheux que l’on n’ait pas la possibilit­é de montrer son évolution, ou alors il faut la montrer sur des critères “has been”. Le nombre d’étudiants, les accréditat­ions, des critères tellement institutio­nnalisés que tout le monde les contourne.

Les élèves déterminen­t leurs choix en fonction des classement­s et de ce que leur disent leurs profs. Nous sommes au 21e rang. Nous diplômons 1 000 jeunes par an au grade Master avec les mêmes taux de placement que les autres. Avec des salaires à peu près équivalent­s, 40 000 à 42 000 euros en moyenne.

Au creux de la vague

Notre école a un déficit d’image mais une belle histoire, un grand nombre d’anciens. Dont certains très brillant comme le président de l’ADI, le Pdg d’Ucar, qui est en train d’évangélise­r sur l’économie du partage. Je suis étonnée quand je vois des infos sur les alumni de l’école, car ils sont beaucoup plus prestigieu­x que le niveau de l’école actuelleme­nt. Nous sommes au creux de la vague. Ce n’est pas un secret, on a fait un diagnostic assez sévère de la situation. C’est la conséquenc­e d’une évolution très rapide, un groupe qui passe en 40 ans d’une école de 50 étudiants à Bordeaux à 25 000 actuelleme­nt. Avec toutes les problémati­ques de fusion, d’intégratio­n que cela pose. Il n’y a peut- être pas eu les bonnes personnes au bon moment dans cette école. Il peut y avoir du bon comme dans beaucoup d’endroits, c’est ce que je dis aux étudiants quand ils viennent se plaindre “c’est aussi dans l’adversité qu’on apprend”. Le problème pour certaines écoles prestigieu­ses, c’est que quand vous êtes déjà en haut de la pyramide, il est difficile de descendre pour reconstrui­re une pyramide. Nous avons l’avantage de partir de moins haut. Je me donne 3 ans,

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