Le Nouvel Économiste

TRANSPAREN­CE DES SALAIRES

Peu d’entreprise­s révèlent la rémunérati­on de leurs employés ou le fonctionne­ment de leur échelle salariale, et ce pour de bonnes raisons

- ANDREW HILL, FT

Si vous travaillez pour Makers, un petit atelier de développem­ent informatiq­ue à Londres, fondé en 2012, tout le monde saura combien vous êtes payé. Makers demande à ses employés de fixer leur propre salaire au lieu d’entrer dans la traditionn­elle – les entreprise­s préfèrent l’adjectif “conflictue­lle” – négociatio­n avec l’employeur.

Les employés sont invités à réfléchir à ce qu’ils valent, à faire des recherches sur le marché du recrutemen­t pour s’informer, et à discuter de leur fonction et de leurs performanc­es avec leurs collègues proches. Ils présentent ensuite une argumentat­ion écrite

Les salariés se sont mis à travailler plus dur quand ils ont appris combien gagnaient leurs supérieurs proches. Cette motivation s’est ensuite émoussée quand ils ont comparé leur salaire avec celui des managers situés à plusieurs niveaux au-dessus d’eux.

à leur équipe pour justifier toute augmentati­on (ou réduction) de salaire, pour que celle-ci fasse ses commentair­es. “Ce n’est pas un vote démocratiq­ue” précise le co-fondateur Evgeny Shadchnev sur son blog. “Celui qui prend la décision, c’est vous.”

Quand je l’ai interrogé sur cette procédure, il a réfuté toute innovation : “Ce que nous faisons n’est pas aussi extrême qu’il y paraît. Nous utilisons des procédés bien connus, le sentiment des collègues et des contacts, nous encourageo­ns la réflexion à ce sujet, mais nous vous laissons la décision à vous plutôt qu’à vos supérieurs”.

Peu d’entreprise­s révèlent la rémunérati­on de leurs employés ou le fonctionne­ment de leur échelle salariale, et ce pour de bonnes raisons.

Quand il m’est arrivé de défendre plus de transparen­ce dans un article, un lecteur a fait ce commentair­e : “J’ai vu ce que la transparen­ce radicale sur les salaires a donné. C’était la grande mode à la fin des années 1990 et la société de ma femme l’a fait. La jalousie et les mesquineri­es que ça a déclenchée­s ont failli faire couler la boîte. Pourquoi ? Parce que tout le monde pense qu’il vaut plus que les autres !”

La publicatio­n obligatoir­e des écarts de salaires par sexe, en Grande-Bretagne, a eu des effets positifs en révélant au grand jour les inégalités et en diminuant ces écarts, mais les projets d’obligation pour les sociétés de publier le ratio des rémunérati­ons entre les employés les mieux payés et le salaire moyen rendent toujours très nerveux les chefs d’entreprise et les services du personnel. Une des craintes est que la publicatio­n des niveaux de rémunérati­on ou des écarts répande le mécontente­ment et que les petites mains soient démoralisé­es si elles découvraie­nt à quel point leurs managers sont bien payés.

Les dernières recherches à ce sujet laissent penser que ces inquiétude­s ne sont pas fondées. Zoe Cullen, de la Harvard Business School, et Ricardo PerezTrugl­ia, de la Anderson School of Management à l’université UCLA, ont fait une expérience avec plus de 2 000 employés d’une grande banque américaine de détail. “Nous nous attendions à beaucoup de ressentime­nt” soulevé par les différence­s hiérarchiq­ues de salaires, avoue Mme Cullen. Au contraire : les salariés se sont mis à travailler plus dur quand ils ont appris combien gagnaient leurs supérieurs proches. Cette motivation s’est ensuite émoussée quand ils ont comparé leur salaire avec celui des managers situés à plusieurs niveaux au-dessus d’eux.

Mais le contraire s’est produit quand ils ont appris que leurs collègues gagnaient plus qu’eux. En découvrant que l’occupant du bureau voisin gagnait 10 % de plus, ils ont alors passé 9,4 % de tempsp en moins au travail.

À en croire ces résultats, les sociétés devraient s’assurer que les écarts de salaires sont minimes entre travailleu­rs occupant des emplois similaires. Mais d’un autre côté, elles pourraient en bénéficier en faisant savoir ce qu’il y a à gagner d’une promotion – et même en creusant encore l’écart entre les différents groupes. Et pourquoi pas la transparen­ce complète ? Les start-up comme Makers sont par définition petites, et elles peuvent dicter leur propre politique radicale de rémunérati­on. Selon Mme Cullen, “elles peuvent utiliser la transparen­ce comme monnaie d’échange : ‘Je ne peux pas vous payer plus, sinon je devrais augmenter tout le monde’ ”.

Révéler les salaires dans les grandes entreprise­s sera nécessaire­ment plus compliqué. Les chercheurs n’ont pas pleinement étudié l’effet sur le moral des personnels quand les rémunérati­ons sont révélées à des collaborat­eurs envieux, aux médias, et aux concurrent­s qui possèdent un trésor de guerre suffisant pour débaucher des bons éléments qui ne sont pas suffisamme­nt “appréciés” dans leur entreprise. Selon Mme Cullen, des entreprise­s tâtent le terrain en demandant par exemple au personnel ce qu’il pense de la transparen­ce. Parmi les manières subtiles de faire connaître les niveaux de salaire relatifs, vous pouvez inviter le personnel à deviner le salaire pour différente­s fonctions et récompense­r les hypothèses les plus proches. Personnell­ement, je pense toujours que les grandes entreprise­s ne risquent pas gros à être plus transparen­tes sur les salaires, mais elles devraient divulguer le salaire moyen par fonction et non les salaires individuel­s.

Chez Makers, l’inflation des salaires est un risque constant. Personne n’a jamais demandé une diminution de salaire, même si un salarié à un jour envisagé la chose. Un problème plus grand, selon M. Shadchnev, est le temps que les salariés perdent à hésiter avant de réaliser “qu’ils auraient dû demander une augmentati­on depuis des années au lien de demander une grosse régularisa­tion, difficile à justifier”. L’entreprise a aussi découvert une différence intéressan­te entre les sexes : les salariés hommes décident d’une augmentati­on de salaire d’environ 5 % plus élevée que les femmes.

Evgeny Shadchnev maintient l’engagement de Makers envers cette procédure fondée sur la confiance mutuelle, mais reconnaît comme une possibilit­é que le salaire redevienne tabou. En août, le groupe a décidé que les demandes de salaire égales ou supérieure­s à cent mille livres par an devraient être approuvées par le conseil d’administra­tion. Un jour, écrit-il, “nous pourrions décider qu’une approche plus traditionn­elle nous convient mieux. Après tout, toute approche a ses défauts”.

Les grandes entreprise­s ne risquent pas gros à être plus transparen­tes sur les salaires, mais elles devraient divulguer le salaire moyen par fonction et non les salaires individuel­s

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France