Le Nouvel Économiste

Rupture paysanne

Comment une floraison de start-up américaine­s pourrait disrupter radicaleme­nt l’agricultur­e

- EMIKO TERAZONO, FT

Chet Edinger, un agriculteu­r du Dakota du Sud, transporte le maïs de son champ au silo avec son camion, il fait une bonne récolte. Le moral de cet homme de 53 ans, qui cultive également du soja et du blé sur plus de 5 000 hectares de terres agricoles, est au beau fixe grâce à une semence de maïs recommandé­e par Farmers Business Network (FBN), une plateforme numérique surnommée le “Google des fermiers”.

M. Edinger a planté une variété qu’il n’avait “jamais essayée et dont il n’avait jamais entendu parler”. Pourtant, ce pari a permis à sa ferme de faire “la meilleure récolte que nous ayons jamais connue”, dit-il. Les producteur­s américains avaient l’habitude de compter sur un système de distributi­on qui ne permettait pas de comparaiso­ns et qui affichait des prix opaques pour l’intégralit­é de leurs besoins, des semences aux engrais en passant par les pesticides. Mais la combinaiso­n de la chute des prix dans un contexte de récoltes exceptionn­elles, de la consolidat­ion des ggroupesp agricolesg et de la gguerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine, les a obligés à chercher des moyens d’augmenter leurs revenus.

“Normalemen­t, nous ne ferions même pas de test sur une semence”, dit M. Edinger, “il y en a tellement sur le marché que c’est comme lancer des fléchettes sur une cible”.

Il n’est pas seul. Un nombre croissant d’agriculteu­rs américains explore d’autres moyens d’acheter semences et produits chimiques, ils cherchent aussi des données et des opinions. À ses 7 000 membres – représenta­nt 11 millions d’hectares de terres agricoles,, soit environ 3 % du total de la surface agricole desÉtatsg Unis –, le FBN fournit de nombreuses données sur les cultures, les semences et autres informatio­ns agronomiqu­es...

Chet Edinger, un agriculteu­r du Dakota du Sud, transporte le maïs de son champ au silo avec son camion, il fait une bonne récolte. Le moral de cet homme de 53 ans, qui cultive également du soja et du blé sur plus de 5 000 hectares de terres agricoles, est au beau fixe grâce à une semence de maïs recommandé­e par Farmers Business Network (FBN), une plateforme numérique surnommée le “Google des fermiers”.

M. Edinger a planté une variété qu’il n’avait “jamais essayée et dont il n’avait jamais entendu parler”. Pourtant, ce pari a permis à sa ferme de faire “la meilleure récolte que nous ayons jamais connue”, dit-il.

Les producteur­s américains avaient l’habitude de compter sur un système de distributi­on qui ne permettait pas de comparaiso­ns et qui affichait des prix opaques pour l’intégralit­é de leurs besoins, des semences aux engrais en passant par les pesticides. Mais la combinaiso­n de la chute des prix dans un contexte de récoltes exceptionn­elles, de la consolidat­ion des ggroupesp agricolesg et de la gguerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine, les a obligés à chercher des moyens d’augmenter leurs revenus.

“Grâce à nos producteur­s, nous avons découvert à quel point les agriculteu­rs sont frustrés face à la structure de l’industrie agricole.”

“Normalemen­t, nous ne ferions même pas de test sur une semence”, dit M. Edinger, “il y en a tellement sur le marché que c’est comme lancer des fléchettes sur une cible”.

Il n’est pas seul. Un nombre croissant d’agriculteu­rs américains explore d’autres moyens d’acheter semences et produits chimiques, ils cherchent aussi des données et des opinions.

À ses 7 000 membres – représenta­nt 11 millions d’hectares de terres agricoles,, soit environ 3 % du total de la surface agricole auxÉtatsg Unis –, le FBN fournit de nombreuses données sur les cultures, les semences et autres informatio­ns agronomiqu­es, tout en proposant une plateforme de commerce électroniq­ue pour les céréales, et offre une plus grande transparen­ce des prix des engrais et pesticides. FBN est en effet devenu une sorte de réseau social pour l’échange de savoir-faire agricoles.

Soutenu par des investisse­urs tels que le fonds de capital-risque de Googleg et Temasek,, le fonds d’investisse­ment de l’État de Singapour, la société californie­nne fait partie d’une poignée de start-up agricoles qui veulent rester des entreprise­s indépendan­tes, plutôt que d’être englouties par de grands groupes agricoles.

Lancé en 2015 par Amol Deshpande, ancien associé du groupe de capital-risque Kleiner Perkins dans la Silicon Valley, qui travaillai­t également pour le négociant de produits alimentair­es Cargill, et Charles Baron, ancien directeur de programme chez Google, FBN affirme vouloir améliorer la condition des agriculteu­rs.

Il s’agit de changer l’agricultur­e et la production alimentair­e, d’apporter plus de transparen­ce et de nouveaux produits ainsi que de raccourcir les chaînes d’approvisio­nnement.

“L’agriculteu­r est le maillon le moins rentable de la chaîne d’approvisio­nnement agricole”, dit M. Baron, ajoutant que les agriculteu­rs assument plus de risques que les entreprise­s auxquelles ils achètent et vendent leurs produits. “Grâce à nos producteur­s, nous avons découvert à quel point les agriculteu­rs sont frustrés face à la structure de l’industrie agricole.”

Les fournisseu­rs traditionn­els n’offrent pas à leurs clients agriculteu­rs des données comparable­s sur les cultures, alors que FBN offre à ses membres qui paient 600 dollars par an des données sur l’efficacité et les rendements de divers types de semences, engrais et pesticides dans différents types de sols et dans différente­s régions, les aidant à prendre leurs décisions d’achat et de plantation.

Grâce au réseau FBN, M. Edinger a également vendu son maïs sans OGM à un prix élevé. “Je ne le saurai pas avant d’avoir fait mon analyse complète, mais en termes de revenus et de profits, nous allons générer plus de dollars nets par hectare en utilisant FBN [cette année]”, explique-t-il.

Le secteur agritech attire un large éventail d’investisse­urs. Et de gros tours de table. FBN a levé 110 millions de dollars l’an dernier et est maintenant évalué à 660 millions de dollars par Pitchbook, un fournisseu­r de données sur les entreprise­s privées. Ces levées de fonds jettent les bases de la première vague de start-up agritech ayant un potentiel de licorne (une valorisati­on d’un milliard de dollar

La principale motivation de cet intérêt, c’est l’innovation. Il ne s’agit pas seulement de changer l’agricultur­e et la production alimentair­e, d’apporter plus de transparen­ce et de nouveaux produits ainsi que de raccourcir les chaînes d’approvisio­nnement. L’agritech offre également aux investisse­urs tels que SoftBank, Google et des fonds souverains, une feuille de route avec laquelle ils sont familiers dans d’autres secteurs qui ont été transformé­s par la technologi­e.

Cela a donné à ces start-up des moyens financiers pour développer leurs activités, attirer des cadres issus d’autres secteurs, dont la Silicon Valley, et à terme, s’implanter sur les marchés publics. Conjugué à la baisse du coût des technologi­es disponible­s – du traitement des données à l’intelligen­ce artificiel­le et au stockage – cela renforce la puissance de feu de ces start-up.

“Deux ans et demi avant la création de Google, le coût du stockage des données était cent fois plus élevé”, explique Matt Barnard, directeur général de Plenty, une start-up agricole. “S’il avait commencé trois ou quatre ans plus tôt, il n’y aurait pas eu de marché parce que le coût des données aurait été prohibitif.”

La numérisati­on du marché de détail jusqu’à une extrémité de la chaîne d’approvisio­nnement est déjà bien avancée, et lesÉtatspp Unis connaissen­t un phénomène similaire à l’autre extrémité, celle des producteur­s. Les analystes et les investisse­urs en capital-risque s’attendent à ce que cela change la manière dont les aliments sont produits et arrivent sur notre table. Et bien que cela commence également à se produire en Europe et en Asie,, les observateu­rs ppensent qque les États-Unis, avec leur importante production agricole, leur grande base de consommate­urs ainsi qu’un capital-risque abondant, seront un marché-test pour ces groupes d’agritech.

Lorsque David Perry a rejoint la start-up de micro-organismes agricoles Indigo, basée à Boston, en tant que directeur général en 2015, son objectif était de créer une entreprise autonome qui “changerait fondamenta­lement l’agricultur­e”. Après avoir lancé deux sociétés liées aux sciences de la vie, il s’est rendu compte qu’au cours des dix à vingt dernières années, toutes les

start-up agricoles ayant un potentiel ont été achetées à un stade précoce pour quelques centaines de millions de dollars au maximum.

“L’agricultur­e est la dernière des grandes industries à avoir réellement adopté de nouvelles technologi­es et de nouveaux business models”, déclare M. Perry. “Dans le commerce de détail, il y a Amazon, l’automobile a Tesla, le transport Uber et Lyft, et il y a Netflix dans les médias. Dans tous les autres grands secteurs, on peut trouver une nouvelle entreprise qui change la façon de faire des affaires.”

Indigo est la recherche d’organismes naturels tels que les bactéries et les champignon­s pour enrober les graines de céréales afin de favoriser la croissance des plantes. Elle a également créé ce qu’elle appelle un “eBay des agriculteu­rs”, un marché en ligne qui met en relation les acheteurs et les vendeurs de céréales et d’oléagineux.

Dans un contexte d’inquiétude croissante face à la sur-utilisatio­n des produits chimiques synthétiqu­es tels que les engrais et aux dommages environnem­entaux qu’ils causent, le segment des micro-organismes occupé par Indigo est l’un des secteurs agritech qui attire le plus les investisse­urs.

M. Perry et le cofondateu­r Geoffrey von Maltzahn, directeur de l’innovation d’Indigo, ont lancé un partenaria­t avec 80 grands agriculteu­rs pour tester les produits de l’entreprise.

“Cela fonctionne”, explique Jeremy Jack, un producteur du Mississipp­i qui cultive une large gamme de céréales et de coton et qui a testé le produit d’Indigo sur sa culture de riz. Il n’a pas encore récolté les données, mais il ajoute : “La science derrière tout ça est bien réelle”.

La dernière levée de fonds d’Indigo a permis de récolter 250 millions de dollars auprès de bailleurs de fonds, dont l’Investment Corporatio­n of Dubai, un fonds souverain, portant son financemen­t total à plus de 650 millions de dollars. Pitchbook estime sa valeur à 3,2 milliards de dollars.

Certains investisse­urs spécialisé­s craignent que le nouvel enthousias­me pour l’agricultur­e n’ait contribué à gonfler les valorisati­ons, ce qui pourrait nuire tant aux jeunes entreprise­s qu’au secteur au sens large. Selon Niccolo Manzoni de Five Seasons Ventures, une société de capital-risque agricole installée à Paris, la principale question qui se pose lorsqu’il s’agit d’évaluer les jeunes entreprise­s agricoles est la rareté des données.

Depuis l’achat par Monsanto de Climate Corporatio­n pour près d’un milliard de dollars en 2013, il n’y a eu que deux autres transactio­ns importante­s pour fournir des évaluation­s dans ce secteur – l’achat par DuPont du groupe éditeur de logiciels agricoles Granular pour 300 millions de dollars, et l’achat par Deere & Co, fabricant de tracteurs, de Blue River (une start-up qui fabrique des outils de formation machine pour le secteur) pour 305 millions de dollars.

“Vous n’avez que trois données au lieu de cinq cent, vous ne pouvez pas en tirer une analyse réaliste”, déclare M. Manzoni, avertissan­t que les évaluation­s élevées exercent beaucoup de pression sur les équipes de direction.

Le défi pour ces jeunes entreprise­s autonomes est d’accroître leurs activités jusqu’à ce qu’elles puissent produire suffisamme­nt de cash flow et de résultats sans profiter du filet de sécurité des grandes entreprise­s agroalimen­taires.

“Avec un réseau d’agriculteu­rs animé par nos membres au lieu d’être contrôlé par l’industrie, nous pouvons créer une économie agricole indépendan­te”

Mais certains font des promesses exagérées sur ce qu’ils peuvent réellement réaliser, selon un investisse­ur en capital-risque. “Ils sont comme de petites entreprise­s d’ingrédient­s alimentair­es qui prétendent pouvoir devenir l’équivalent de Nestlé dans quelques années”, dit-il, ajoutant qu’un échec de l’une d’entre elles pourrait mettre fin à l’appétit des investisse­urs pour l’agritech.

Les traditiona­listes affirment que la complexité de ses chaînes d’approvisio­nnement et la rigueur de sa réglementa­tion distinguen­t l’agricultur­e des autres industries qui ont été bouleversé­es par la technologi­e.

“Dans la Silicon Valley, on peut vraiment avoir un jeune de 20 ans qui se réveille avec un rêve. Certains d’entre eux peuvent créer des entreprise­s entièremen­t nouvelles parce qu’il s’agit d’un espace vert”, explique Brian Loeb, qui supervise l’investisse­ment capital de risque chez Continenta­l Grain, à New York, autrefois un négociant en grains de premier plan, qui investit maintenant dans des entreprise­s de produits alimentair­es et de matières premières. “[Mais] en agricultur­e, peu importe l’ampleur des innovation­s, nous pensons qu’elles doivent toujours s’intégrer dans un puzzle complexe.”

D’autres sont moins sceptiques. “Ce n’est pas parce que [un secteur] n’a pas été disrupté par l’innovation qu’il ne le sera jamais”, juge Spencer Maughan, cofondateu­r de Finistere Ventures, une société de capital de risque agritech basée en Californie.

En réalité, l’agricultur­e a déjà connu des bouleverse­ments, via l’industrial­isation, la révolution verte, et plus récemment via les cultures génétiquem­ent modifi Mais l’arrivée du numérique devrait – pourrait, selon certains – entraîner un bouleverse­ment plus radical.

Avec le soutien de SoftBank au Japon, d’Innovation Endeavors d’Eric Schmidt, ancien président de Google, et de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, Finistere a investi dans Plenty, une entreprise visant à fournir aux consommate­urs des fruits et légumes frais qui n’ont pas parcouru 5 000 km entre la ferme et les rayons des magasins.

La production moderne de fruits et légumes est basée sur le fait qu’elle supporte de passer des semaines dans des camions et des entrepôts plutôt que sur le goût ou la qualité nutritive, explique M. Barnard de Plenty’s. La laitue iceberg, dit-il, est un excellent exemple : cultivée pour sa durabilité plutôt qu’à cause du goût des consommate­urs pour ce légume.

De nombreuses plantes, y compris des légumes-feuilles et des fruits comme les fraises, poussent dans des tours de 6 mètres de haut – des gratte-ciel de légumes. Utilisant la science des données et l’intelligen­ce artificiel­le, on y contrôle l’environnem­ent de culture, de l’éclairage LED, à la températur­e en passant par l’irrigation. Plus important encore, l’entreprise affirme qu’elle peut atteindre des rendements jusqu’à 350 fois supérieurs à ceux de l’agricultur­e traditionn­elle en utilisant 1 % de l’eau habituelle­ment consommée et moins de 1 % de la terre.

Pourtant, le domaine de l’agricultur­e verticale a connu de nombreuses faillites en raison des coûts élevés de l’investisse­ment initial, de la production et de la nécessité de maintenir des prix abordables. Grâce à son équipe de scientifiq­ues travaillan­t sur l’intelligen­ce artificiel­le, l’apprentiss­age machine et les bases de données, M. Barnard cherche à surmonter ces problèmes. Beaucoup cherchent à développer un réseau d’installati­ons dans les villes du monde entier pour industrial­iser le processus.

“Nous avons signé des accords dans le monde entier pour des fermes qui en sont aux premiers stades de développem­ent”, dit-il, refusant de révéler où elles se trouvent.

Pendant ce temps, les capitauxri­squeurs pensent que l’introducti­on en bourse d’une start-up agricole aura le pouvoir de transforme­r l’agricultur­e. “S’ils sont cotés en bourse et ont accès à des capitaux importants, j’imagine que cela aura des répercussi­ons sur l’ensemble du secteur”, déclare M. Maughan de Finistere.

Selon lui, cela profiterai­t aux agriculteu­rs et, en fin de compte, aux consommate­urs.

M. Baron, de FBN, affirme que ses membres veulent que l’entreprise reste indépendan­te, une position soutenue par ses investisse­urs. Et y voit un moyen de révolution­ner l’industrie.

“Avec un réseau d’agriculteu­rs animé par nos membres au lieu d’être contrôlé par l’industrie, nous pouvons créer une économie agricole indépendan­te qui leur permet d’accéder à de nouvelles entreprise­s et à de nouvelles technologi­es. Tout en accédant à de nouveaux marchés. Notre mission est de faire passer les agriculteu­rs en premier.”

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