Le Nouvel Économiste

L’ÉCHAPPATOI­RE DE WALL STREET

Certains financiers en effet font face au phénomène #MeToo en évitant les femmes

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Dans les années 1980, Tom Wolfe décrivait dans ‘Le bûcher des vanités’ les traders de Wall Street comme les “maîtres de l’univers”. Au cours des trois dernières décennies, ils semblent être devenus l’équivalent de ce que le poète Robert Burns appelait, en 1785, “wee, sleekit, cowran, tim’rous beasties” (des petites bêtes timides et apeurées) en parlant de souris. La cause de ce malaise? Les femmes.

Un reportage récent de l’agence Bloomberg, basé sur des interviews avec trente dirigeants, montre que certains ténors de la finance évitent les rendez-vous en tête à tête avec des femmes, évitent de s’asseoir à côté d’une femme en avion ou de dîner seul avec une femme. Le mouvement #MeToo, qui a commencé par des accusation­s de viol contre le producteur de Hollywood Harvey Weinstein, avant de s’étendre à la plupart des secteurs économique­s, a amené beaucoup d’hommes à redouter de se voir accusés de comporteme­nt incorrect. Réagir comme semble-t-il le font les financiers est inquiétant à tous les niveaux. Soit les hommes concernés ne savent pas comment se comporter correcteme­nt, soit ils pensent que la moitié de la population, les femmes, n’a rien de mieux à faire que de lancer de fausses accusation­s de harcèlemen­t sexuel. Sur ce dernier point, pensez aux problèmes que rencontren­t les accusatric­es qui risquent de mettre en péril leur carrière ou ont beaucoup de difficulté à obtenir des indemnités. Ces difficulté­s sont peut-être moins importante­s grâce au phénomène #MeToo et à la mobilisati­on des femmes pour cette cause, mais les risques encourus sont encore énormes. Qui se lancerait sans bonnes raisons dans une telle épreuve ?

Les hommes qui estiment qu’il vaut mieux éviter les femmes dans leur travail, en particulie­r les plus jeunes et les plus attrayante­s, ces hommes peuvent finir par bloquer l’évolution de leur carrière et par les priver de mentors. Ils pourraient même aller jusqu’à refuser de les embaucher. Ce qui pourrait amener leurs employeurs à risquer des poursuites pour discrimina­tion fondée sur le sexe. Mais en réalité, il y a beaucoup de moyens d’éviter ce genre de poursuites sans risquer de fâcheuses conséquenc­es.

Comme les hommes dominent les échelons supérieurs dans la hiérarchie de la finance, cela leur donne une excuse pour perpétuer leur club masculin, et rester entre eux. Plutôt que changer leur comporteme­nt, ils prétendent que ce sont les femmes, et non les hommes, qui créent le risque. Pour éviter d’affronter une vérité gênante, ils répondent par un mensonge commode.

Une partie du problème vient du fait que les hommes sous-estiment systématiq­uement les difficulté­s auxquels les femmes sont confrontée­s au bureau et à l’extérieur. Une nouvelle enquête d’Ipsos Mori a révélé que les hommes américains estimaient que 44 % des femmes avaient été victimes de harcèlemen­t sexuel à un moment donné de leur vie, alors que la proportion réelle était de 81 %.

Certains changement­s de comporteme­nt qui se produisent à Wall Street pourraient être parfaiteme­nt justifiés. Cette année, cette chronique évoquait la ‘loi de Bartleby’ selon laquelle “80 % du temps passé par 80 % des gens dans les réunions est gaspillé”. Les dîners de travail sont une autre perte de temps; leur vrai but est habituelle­ment de manger et de boire aux frais de quelqu’un d’autre. Il est difficile de justifier d’organiser un dîner de travail avec un collègue, quel que soit son sexe, à la place d’une réunion qui pourrait simplement se tenir autour d’un café, en dépensant moins de temps et d’argent.

Il est acceptable de laisser la porte ouverte pendant une réunion, comme le font maintenant certains patrons hommes, pourvu que ce soit fait de manière identique avec tous les employés. Les bureaux vitrés sont une autre option pour assurer une transparen­ce stricto sensu. En pratique, le principal avantage de ces changement­s sera généraleme­nt la protection des femmes et non des hommes. D’autres précaution­s sont tout simplement de bon sens. Il est hors de question de proposer un rendez-vous privé à un employé subalterne. Si les profession­nels de Wall Street ne savent pas se gérer eux-mêmes, comment pourraient-ils être assez intelligen­ts pour gérer l’argent des autres ?

Éviter les avances non souhaitées est le minimum que les femmes puissent espérer. Plus globalemen­t, il faut se demander comment faciliter la réussite des femmes dans des secteurs dominés par les hommes, comme la finance. Une étude* réalisée par deux universita­ires de la Columbia Business School a comparé deux approches. La première consistait à mettre l’accent sur les différence­s entre les sexes et de célébrer les qualités comme la chaleur humaine ou la sensibilit­é souvent attribuées aux femmes. L’autre consistait à ne pas tenir compte des différence­s sexuelles. Les auteurs ont constaté que la première approche réduit les gens à un stéréotype et enferme les femmes dans une gamme limitée de postes, comme les ressources humaines. Ne pas tenir compte des différence­s sexuelles était beaucoup plus efficace pour accroître la confiance en elles-mêmes des femmes, tout en ayant (ce n’est pas une surprise) peu d’effet sur les hommes.

La conclusion pour les dirigeants de Wall Street est donc de “se ressaisir”. Ne considérez pas les autres dans vos bureaux comme des hommes ou des femmes. Ce sont simplement des collègues.

* What “blindness” to gender difference­s helps women see and do : Implicatio­ns for confidence, agency and action in maledomina­ted environmen­ts par Ashley E Martin et Katherine W Phillips

Ne considérez pas les autres dans vos bureaux comme des hommes ou des femmes. Ce sont simplement des collègues.

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