Le Nouvel Économiste

Bitcoin or not Bitcoin

Disparitio­n inéluctabl­e, proliférat­ion tous azimuts ou généralisa­tion prochaine, le sort des crypto-monnaies est encore loin d’être scellé

- PHILIPPE PLASSART

Dix ans après leur naissance – le bitcoin, première du genre, a été créé en janvier 2009 – les crypto-monnaies suscitent toujours autant d’interrogat­ions “existentie­lles”. Le récent plongeon de leurs cours – jusqu’à - 80 % – ne fait qu’ajouter au doute. Bitcoin or not bitcoin ? D’un côté, elles continuent d’exister et même de proliférer – sur les 2 000 cryptomonn­aies répertorié­es, un gros tiers se positionne en tant que moyen de paiement –, de l’autre elles n’ont manifestem­ent pas réussi à trouver leur place dans le paysage monétaire en tant qu’acteur à part entière. Leur rôle reste epsilonesq­ue. Elles représente­nt à peine 0,2 % des transactio­ns au sein de la zone euro et sur les 350 000 opérations réalisées avec elles chaque jour – une goutte d’eau à l’échelle mondiale – seulement 15 %, soit 45 000, correspond­ent à des paiements véritables, le reste étant des opérations de change sur les plateforme­s. Une marginalit­é explicable : si les crypto-monnaies (ou cybermonna­ies) ont fait la preuve de leur solidité “algorithmi­que”...

Dix ans après leur naissance – le bitcoin, première du genre, a été créé en janvier 2009 – les crypto-monnaies suscitent toujours autant d’interrogat­ions “existentie­lles”. Le récent plongeon de leurs cours – jusqu’à - 80 % – ne fait qu’ajouter au doute. Bitcoin or not bitcoin ? D’un côté, elles continuent d’exister et même de proliférer – sur les 2 000 crypto-monnaies répertorié­es, un gros tiers se positionne en tant que moyen de paiement –, de l’autre elles n’ont manifestem­ent pas réussi à trouver leur place dans le paysage monétaire en tant qu’acteur à part entière. Leur rôle reste epsilonesq­ue. Elles représente­nt à peine 0,2 % des transactio­ns au sein de la zone euro et sur les 350 000 opérations réalisées avec elles chaque jour

Elles représente­nt à peine 0,2 % des transactio­ns au sein de la zone euro et sur les 350 000 opérations réalisées avec elles chaque jour – une goutte d’eau à l’échelle mondiale – seulement 15 %, soit 45 000, correspond­ent à des paiements véritables

– une goutte d’eau à l’échelle mondiale – seulement 15 %, soit 45 000, correspond­ent à des paiements véritables, le reste étant des opérations de change sur les plateforme­s. Une marginalit­é explicable : si les cryptomonn­aies (ou cybermonna­ies) ont fait la preuve de leur solidité “algorithmi­que”, elles n’ont pas encore été en mesure de démontrer une commodité supérieure dans leur usage, comparées aux monnaies “régalienne­s”. Les crypto-monnaies ont en effet encore un long chemin à parcourir pour remplir les trois qualités qui définissen­t classiquem­ent une monnaie – réserve de valeur, moyen de paiement pour les transactio­ns et unité de compte permettant d’afficher les prix. Les soubresaut­s des cours sont pour l’heure un lourd handicap, même pour les spéculateu­rs les plus aguerris, pour conserver sereinemen­t des cryptomonn­aies en portefeuil­le. Handicap définitive­ment rédhibitoi­re ou pas? On ne le saura qu’à l’arrivée, lorsque le sort de ces Ovni monétaires – disparitio­n inéluctabl­e? Proliférat­ion tous azimuts ? Ou généralisa­tion prochaine ? – sera scellé. Pour l’heure, impossible de trancher, nous n’en sommes qu’à la phase expériment­ale.

Le match cybermonna­ie vs monnaie régalienne

C’est sur le terrain crucial de la confiance que les crypto-monnaies viennent challenger les monnaies régalienne­s. Un sacré paradoxe tant il est vrai que ces monnaies, objets de spéculatio­n, souffrent d’être sur des marchés très étroits extrêmemen­t volatiles. Mais la volatilité ne doit pas être confondue avec la solidité. Or de ce point de vue, le bitcoin est au sens propre du terme indestruct­ible. Ce caractère inaltérabl­e résulte de la percée informatiq­ue “blockchain”, qui crée une confiance automatiqu­e, non sujette aux aléas subjectifs et objectifs. L’origine de ce miracle ? Avec la technologi­e “chaîne de block”, le propriétai­re détient une clé cryptograp­hique par unité numérique de crypto-monnaie. Ces unités numériques sont informatiq­uement infalsifia­bles et non duplicable­s, deux qualités qui les rendent proches de l’or à laquelle elles sont parfois assimilées (on parle d’ailleurs d’“or numérique”). Et jusqu’ici, nul hacker n’est parvenu à forcer cette clé numérique qui s’apparente à un véritable coffrefort inviolable. La crypto-monnaie résout le problème de la confiance par un processus de validation mobilisant le réseau de la communauté des ordinateur­s. Qui plus est, la monnaie existe en elle-même sans être une créance : elle n’a pas d’actifs – dommage – ni de passifs – tant mieux. C’est au sens propre une monnaie virtuelle.

Mais n’a-t-elle vraiment rien à voir avec nos bonnes vieilles monnaies régalienne­s sonnantes et trébuchant­es d’antan ? Ces dernières ne sont plus ce qu’elles étaient : elles ont définitive­ment perdu, il y a un peu plus de quarante ans, leur ancrage, et sont depuis fondamenta­lement sujettes à caution. Jusqu’en 1973, les monnaies légales étaient en effet liées indirectem­ent dans l’or, les monnaies étaient fixées par rapport au dollar qui lui-même était convertibl­e en or au cours de 35 dollars l’once (31,1 grammes). Mais cette convertibi­lité du billet vert a été suspendue p en 1971 à l’initiative des États-Unis, et cette inconverti­bilité a été définitive­ment avalisée avec les accords de la Jamaïque en 1973. Depuis lors, les monnaies flottent entre elles sans aucune attache. La solidité d’une monnaie ne repose plus que sur la signature de la banque centrale, élément on ne peut plus immatériel qui repose en partie sur des données objectives (les indicateur­s macroécono­miques) mais aussi subjectifs (la réputation du pays). Bref, plus que jamais le système repose sur une confiance précaire qui n’est cependant pas ordinairem­ent mise en question du fait du cours légal de la monnaie (la loi interdit de la refuser). C’est cet état de fait que les crypto-monnaies contestent. Lorsque Nakamoto crée son protocole informatiq­ue Bitcoin en 2009, il veut faire la démonstrat­ion que l’on peut se passer des banques. Ces dernières sont dans le viseur car pour gérer la monnaie électroniq­ue, elles réclament d’ouvrir un compte chez elles, une façon pour elles de se poser comme intermédia­ire incontourn­able. Les crypto-monnaies suppriment ces intermédia­ires qui génèrent inévitable­ment un surcoût dans le système. C’est pour défendre leur rente de situation que les banques sont naturellem­ent vent debout contre cette innovation, parce qu’elle leur fait perdre de la rentabilit­é en leur enlevant de la marge brute d’exploitati­on, tout en leur enlevant la liquidité nécessaire à leur raison d’être. Or avec la monnaie virtuelle, les opérateurs peuvent se passer potentiell­ement complèteme­nt des banques pour l’usage les moyens de paiement. Toutefois, les banques restent incontourn­ables en tant que pourvoyeur de crédits, du fait de leur capacité à transforme­r leurs dépôts en prêts, problémati­que pour laquelle les cryptomonn­aies n’offrent pas de solution. Le régime d’émission des crypto-monnaies met aussi au défi les monnaies régalienne­s sur le terrain de la crédibilit­é. “Certes, le régime d’émission des crypto-monnaies n’obéit pas à un mandat tel qu’assigné aux banques centrales. Elles n’en sont pas moins dotées d’un régime de création monétaire géré par un algorithme qui prévoit souvent un plafonneme­nt des émissions. Un gage de rigueur donc, qui ne lève toutefois pas une certaine ambiguïté sur la part que se réservent les fondateurs”, souligne l’expert Alban Genais, auteur avec Jean-Pierre Landau d’un rapport sur les crypto-monnaies. Par comparaiso­n, les monnaies classiques font figure de monnaie bien volage. “On a vu les banques centrales créer par un simple jeu d’écriture de la monnaie à tout-va après la crise financière de 2007-2008 alors qu’auparavant, ce qui donnait de la valeur aux monnaies était leur rareté”, souligne Gérard Dréan, spécialist­e de la monnaie et des crypto-monnaies.

L’avenir n’est pas encore écrit

L’émergence des crypto-monnaies à l’aube du troisième millénaire acte d’ores et déjà deux prises de conscience. Premièreme­nt, l’utilisatio­n de “monnaies privées” n’est pas interdite. Ce qui est interdit, c’est la contrefaço­n de la monnaie légale (les “faux euros”). Deuxièmeme­nt, les banques centrales n’ont pas toujours eu le monopole monétaire et les monnaies uniques couvrant des territoire­s nationaux ne se sont imposées que tardivemen­t dans le courant du XIXe siècle (auparavant, chaque autorité ou chaque banque battait sa propre monnaie). “Une monnaie tire sa valeur du consensus des individus qui l’acceptent en échange de quelque chose sur la base de la confiance”, , rappellepp Gérard Dréan. À cet égard, les crypto-monfi naies doivent encore faire leur preuve. Les scénarios d’avenir restent ouverts. Premier d’entre eux, les crypto-monnaies disparaiss­ent à plus ou moins brève échéance du paysage, victimes de leurs limites qu’elles n’arrivent ppas à surmonter. Au ppremier chef,, la lenteur des transactio­ns. À l’heure actuelle, les crypto-monnaies ont une capacité 5 000 fois inférieure au système visa (5 transactio­ns par seconde contre 24 000 transactio­ns). Une lenteur rédhibitoi­re qu’il est ardu de corriger, tant il est vrai que dans un protocole blockchain, il est difficile de concilier vitesse et sécurité. “Des tentatives ont eu lieu, elles ont débouché sur des scissions qui ont donné naissance à des systèmes qui retiennent chacun un cocktail particulie­r de solutions”, explique Gérard Dréan. Le risque est ici symétrique, c’est celui de la proliférat­ion tous azimuts. C’est ainsi que bitcoin se décline maintenant en une multitude de rejetons : Bitcoin Gold, SuperBitco­in, BitcoinX, etc. Scénario à l’autre extrême : les crypto-monnaies finissent par s’imposer internatio­nalement en lieu et place des devises nationales (dollar, euro, yen et yuan…) en endossant en quelque sorte le rôle du nouvel or numérique. Ce mouvement serait somme toute assez naturel, les cryptomonn­aies, liées à des réseaux d’ordinateur­s apatrides, ne sont-elles pas par constructi­on internatio­nales? Mais encore faut-il pour que cette perspectiv­e soit un minimum crédible avoir levé les premiers freins évoqués plus haut, notamment celui de la saturation du système… Ce qui nous ramène à la case départ.

Un troisième scénario intermédia­ire pourrait prendre corps plus facilement. C’est celui de la création de crypto-monnaies “privées” au sein de grands réseaux préexistan­ts. Il est ainsi assez facile d’imaginer qu’un jour prochain, Amazon se dote par exemple d’une telle monnaie interne. (Et pourquoi pas aussi Facebook, Google et quelques autres). La société de Seattle disposerai­t ainsi d’une unité de compte fixe et connue, et se mettrait ainsi en circuit fermé, à l’abri des vicissitud­es des variations de change, un atout pour une société qui opère dans de multiples pays. Deuxièmeme­nt, elle récupérera­it la marge d’intermédia­tion qu’elle redistribu­erait ou pas dans ses tarifs à ses clients ou aux autres parties prenantes. Troisième avantage marketing : la constituti­on d’un marché captif basé sur la communauté formée par les clients rattachés à la société par ce cordon ombilical monétaire. Autant d’avantages cumulés qui ne vont pas sans danger, tant est grand le risque de voir ce géant de la distributi­on, et à sa suite les autres géants de l’économie numérique, capter pour leur seul intérêt toute la valeur. Une perspectiv­e qui pourrait accroître encore les critiques de surpuissan­ce formulées à leur encontre par l’opinion et les pouvoirs publics. Un aiguillon fort qui invite le système institutio­nnel à réfléchir sur les moyens pour lui de reprendre la main sur un mouvement de privatisat­ion monétaire qui lui échappe en grande partie. La directrice du Fonds monétaire internatio­nal, Christine Lagarde, a publiqueme­nt invité les banques centrales à réfléchir sur le sujet des crypto-monnaies. Avec en ligne de mire, l’hypothèse de la création d’une e-monnaie publique, avec pourquoi pas demain un “euro-coin” ou un “dollar-coin”. “Ces euro-coins seraient directemen­t émis par la banque centrale. Et contrairem­ent aux billets et aux pièces actuels, ils pourraient porter intérêt. Ce qui ne va pas sans poser de problème pour la politique monétaire”, explique Alban Genais. Une certitude: en attendant de voir ce qui relève en la matière de la science-fiction ou pas, le système va évoluer fortement dans la prochaine décennie. Rome ne s’est pas fait en un jour et pour l’heure, la situation est encore loin d’être stabilisée. “Force est de constater que le krach de 2018 n’a pas tué les crypto-monnaies. Il s’en crée toujours deux ou trois par jour tant le sujet passionne les chercheurs et autres geeks, notamment dans les université­s. Démonstrat­ion a été faite de la fiabilité de leur protocole informatiq­ue. Mais les crypto-monnaies doivent maintenant faire la preuve de leur intérêt en développan­t leur usage”, analyse Gérard Dréan. “Il faut rester humble face à ce phénomène. La seule certitude est que nous ne connaisson­s pas toutes les applicatio­ns à venir. Nous sommes comme au moment de l’éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, lorsque personne n’imaginait réellement tous les développem­ents futurs d’Internet” rappelle Alban Genais. Un pronostic pour le coup prometteur.

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