La fin de l’industrie-bashing
Un vent nouveau souffle incontestablement sur la France industrielle
Le carton des voeux 2019 de Bruno Le Maire a pour emblème “L’industrie, l’avenir de la France”. C’est purement symbolique, mais c’est la marque d’un retournement historique. Après le rêve funeste d’une France sans usines des années 90, puis quelques tentatives de résilience, les pouvoirs publics ont enfin décidé de faire de la reconstruction du tissu industriel une priorité stratégique. À tel ppoint qque le ministre de l’Écono-mie, Bruno Le Maire, se voit d’abord en ministre de l’Industrie. Le moment est bien choisi...
Le carton des voeux 2019 de Bruno Le Maire a pour emblème “L’industrie, l’avenir de la France”. C’est purement symbolique, mais c’est la marque d’un retournement historique. Après le rêve funeste d’une France sans usine des années 90, puis quelques tentatives de résilience, les pouvoirs publics ont enfin décidé de faire de la reconstruction du tissu industriel une priorité stratégique.gq À tel point que le ministre del’Écop nomie, Bruno Le Maire, se voit d’abord en ministre de l’Industrie. Le moment est bien choisi. Après une division par deux de ses forces en quarante ans, le secteur retrouve les faveurs de l’opinion. Parallèlement, la mondialisation n’est plus un eldorado pour entrepreneurs intrépides, il ne s’agit pas d’une préférence pour le repli, mais de constater que la
Entre 1970 et 2014 la part de l’industrie manufacturière dans l’ensemble de l’économie française est tombée de 21 % à 10,6 %, derrière l’industrie allemande (20,5 % du PIB national) et italienne (11,4 %).
période des délocalisations massives est passée de mode. Par ailleurs des opportunités de renouveau se dessinent, les financements sont mieux calibrés et le déploiement du digital constitue une magnifique fenêtre d’opportunité. Aujourd’hui, la préparation aux prochaines ruptures technologiques est engagée avec l’appui vigilant des pouvoirs publics. Entre 1970 et 2014, la part de l’industrie manufacturière dans l’ensemble de l’économie française est tombée de 21 % à 10,6 %. Au sein de l’Union européenne, elle occupe la troisième place du podium derrière l’industrie allemande (20,5 % du PIB national) et italienne (11,4 % du PIB national). En prenant pour référence les activités industrielles au sens large, la France se hisse à 12,6 % du PIB. L’Insee indique qu’en 2016, le secteur comptait 260 900 entreprises et employait 2,9 millions de salariés en équivalent temps plein. Ce qui représente tout de même, selon Insee Références 2018, un quart des salariés des secteurs marchands non agricoles et non financiers. Pourquoi a-t-on assisté à une telle descente aux enfers de l’industrie tricolore ? Les raisons du décrochage hexagonal sont multiples. La plus décisive aura été sans doute d’ordre culturel, même si cela étonne. Les années cinquante et soixante ont été celles des grands projets parce que leur mise en perspective était relayéey ppar les ggrands corpsp de l’État. Il y avait alors une volonté commune de bâtir entre ingénieurs et haute fonction publique – indépendamment de la vie politique chaotique de la IVe République. Ce fut la grande époque de la politique industrielle, qui se déclinait sous forme de chantiers nationaux et de politiques publiques. Cette trajectoire a perduré sous la présidence de la République de De Gaulle et Pompidou.
Puis à partir des années 80, les restructurations imposées par la nouvelle concurrence internationale ont commencé à affecter durement les filières de la sidérurgie et du textile-habillement. Alors que ce processus de mondialisation-délocalisation s’accélère durant deux décennies, les élites dirigeantes françaises font un contresens historique en brodant sur l’avènement de l’ère post-industrielle. Le summum de cette pensée a été immortalisé en 2001 par la parole de Serge Tchuruk, alors pdg d’Alcatel, voyant l’avenir dans “un groupe industriel sans usines”. Outre-Rhin en revanche, dès la fin des années 90, l’Allemagne décide de faire de l’industrie le moteur de son économie. Comment expliquer un tel aveuglement? Cette question clef renvoie aux fondamentaux de la société française. Olivier Lluansi, associé EY, grand connaisseur du monde industriel, reste perplexe: “pour moi ça reste un mystère. Quand j’interroge les acteurs ou des influenceurs de ces années-là, je n’arrive pas à trouver de bonnes explications. Nous avons en France une élite des grands corps qui a une certaine homogénéité, qui a irrigué dans les sphères économiques des grands groupes, qui a un mode de fonctionnement d’une grande cohérence. En tout cas, c’est tout un groupe qui s’est fourvoyé, même si le terme grégaire n’est peut-être pas tout à fait juste”. Olivier Lluansi poursuit sa réflexion en mettant en cause des mécanismes de sociologie d’élite: “il n’y avait pas de place pour des voix dissidentes, il n’y avait pas ce qu’on appellerait aujourd’hui des lanceurs d’alerte. Imaginez-vous dans les années 90 en train de défendre l’industrie en France !”. Seuls quelques esprits originaux ont bravé le suivisme de groupe. Et de citer Jean-Louis Beffa ou Jean-Pascal Tricoire. Il faut se souvenir de l’époque où l’actuel pdg de Schneider Electric, Jean-Pascal Tricoire, était moqué pour ouvrir un siège en Asie… En 2019, qui est une pépite industrielle, Schneider Electric ou Alstom ?
À côté de cet emballement collectif destructeur, d’autres faiblesses ont contribué au revers industriel français. Historiquement, le poids des charges en est une. Xavier Fontanet, ancien patron d’Essilor, communique inlassablement le calcul suivant : en France, chaque euro géré par la sphère privée doit porter une charge de 1,32 euro contre 0,79 en Allemagne. Ce qui entraîne un surcoût de quelque 30 % dans les prix de revient de l’entreprise française par rapport à sa concurrente allemande. Cette grille de lecture est à mettre en regard de la toute dernière analyse du CAE (Conseil d’analyse économique) qui souligne qu’en 2017, le coût horaire du travail dans l’industrie est de 40,2 euros en Allemagne, de 38,8 euros en France et de 23,3 euros en Espagne. D’autre part il importe de relever que sans le CICE, les taux de marge n’auraient jamais retrouvé leur niveau d’avant la crise de 2008 – un vrai ballon d’oxygène. Est-ce pour autant que la made in France est en train de gagner la bataille de la compétitivité sur le Rhin? Certainement pas, puisque la manufacture germanique s’appuie sur un secteur des services aux salaires nettement inférieurs à ceux du voisin français, et sur un large parc de robots synonyme de haut de gamme.
Malgré cette position délicate, chacun comprend maintenant que la reconquête industrielle est une nécessité stratégique. Ne serait-ce que pour rééquilibrer la balance commerciale et éviter de perdre des emplois en même temps que des parts de marché à l’exportation. C’est le seul secteur susceptible de réussir une telle performance. C’est aussi un impératif de souveraineté numérique. Dans le marché mondial, la technologie ne circule pas aussi aisément que les biens.
Les premiers jalons de l’opération rétablissement ont été jetés en 2010 avec la création du Conseil national de l’industrie, chargé de donner des avis sur les politiques publiques. Deux ans plus tard, le rapport Gallois a sanctuarisé la prise de conscience autour des “usines” à sauver et à promouvoir. Dans la foulée, un ministre du début du quinquennat Hollande, Arnaud Montebourg, a essayé d’incarner à sa façon une sorte de colbertisme high-tech fait de protectionnisme défensif sur les marchés publics et de préservation des technologies des grandes entreprises. Il a vite dû capituler devant le refus d’un interventionnisme trop voyant. Sous l’ère Macron, le concept de “start-up nation” a d’abord emballé l’opinion avant de subir les foudres de critiques dénonçant une vision jupitérienne de la société qui oublie les territoires. Le paysage mental dresse des frontières artificielles entre le haut et le bas là où il n’y en a pas. En réalité, la stratégie Macron consiste à sauvegarder ce qui peut l’être et à gérer la transition vers l’industrie 4.0, cette quatrième révolution qui correspond à l’arrivée de l’internet des objets dans la production et au mariage de la robotisation et de l’intelligence artificielle. Encore faut-il réussir à coordonner retour en grâce de l’industrie et irruption du 4.0. Pour ce faire, Bruno Le Maire s’appuie sur une dose de volontarisme, notamment en faveur des infrastructures numériques. L’objectif est d’essayer de combler les retards dans la robotisation et la digitalisation des PME pour les transformer en ETI. Un simple boulon peut devenir intelligent et connecté pour savoir par exemple s’il est bien vissé, un compresseur sera vendu avec son tableau de bord digital…
Dans cette démarche,, le ministre de l’Économie a mis plusieurs atouts dans sa manche. En février dernier, le ministre a validé une liste de 10 comités stratégiques destinés à mobiliser sur des projets concrets. La loi Pacte a créé un Fonds pour l’innovation et l’industrie doté de 10 milliards d’euros d’actifs générant 200 à 250 millions dédiés au financement de projets à forte intensité technologique. Des dispositifs de labellisation comme la French Tech et la French Fab sont d’excellents outils pour accompagner le saut vers le numérique. Commentaire de Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance : “cela redonne un peu de fierté et d’identité à notre industrie qui existe depuis le XVe siècle”. “Certes, l’industrie en France est au milieu du gué, mais elle se révèle attractive”, tempère le baromètre EY de l’attractivité industrielle en France. La deuxième rencontre “Choose France Summit”, organisée à Versailles par Emmanuel Macron le 21 janvier dernier, l’a confirmé.
Un vent nouveau souffle incontestablement sur la France industrielle. Les éléments d’un cadre favorable à l’investissement sont là, le marché du travail est flexibilisé, la simplification est prioritaire, l’arrêt de la surtransposition des directives est à l’ordre du jour, les messages pour séduire les jeunes sont directement portés sur le terrain local par le “French Fab Tour” ppiloté ppar Agnèsg Pannier-Runacher,, secrétaire d’État à l’Industrie. Même l’Éducation nationale commencerait à s’ouvrir à ces problématiques! Pour consolider tous ces schémas, nous avons demandé à Olivier LLuansi de jjouer au sherpap “industrie” à l’Élysée. Retenons trois de ses recommandations. D’abord miser sur des défis industriels en se donnant des objectifs concrets à échéance de deux ou trois ans. Ensuite, réorienter au niveau européen une politique de la concurrence tournée vers le consommateur au détriment d’une politique de redressement productif. Ce n’est pas encore gagné, si l’on en croit les alarmes de Bercy face au risque de voir la fusion ferroviaire Alstom-Siemens rejetée par la Commission. De fait, pendant ces débats, la Chine duplique sans états d’âme “son” Colbertisme. Enfin, la troisième recommandation vise à réarmer notre intelligence économique. “Le pays dispose d’un siège au Conseil de sécurité et d’une armée : il a les moyens de faire pression sur d’autres puissances économiques pour prémunir nos grands groupes d’attaques diverses”, plaide l’associé EY. Un enjeu autant culturel que politique.
La haute administration française a du mal à admettre que de temps en temps, la guerre économique n’est pas toujours propre et que dans tous les cas, l’intelligence économique oblige à modifier les vieux réflexes tant au plan juridique qu’au plan de l’information ou de la désinformation. Cette révolution des mentalités est un handicap de plus à surmonter alors que, de l’aveu même du patron de Bpifrance, rattraper le retard sur les concurrents immédiats sera une affaire de dix ou vingt ans.