président du Club des juristes, associé du cabinet August Debouzy, ou comment les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle vont transformer les professions du droit
Ses phrases, polies comme des galets, plutôt longues, au service d’une pensée parfaitement articulée, servies par un verbe aussi maîtrisé qu’élaboré, expliquent et veulent convaincre en jouant sur le registre fin et subtil. Avec une voix davantage familière des ambiances feutrées des cabinets ministériels que des préaux d’école. Et une allure des plus british qui fleure son Savile Row. Ce proche de Laurent Fabius, qui fut tout le contraire d’un homme d’appareil avant d’être un élu, est devenu au fil de sa carrière politique un intime de la chose juridique et des arcanes du droit. Il avoue même savourer avec délice les finesses des arrêts de la Cour de cassation. Et quand se mêlent des considérations géopolitiques à ces questions juridiques – comme l’extraterritorialité revendiquée par les juges américains – ou les avancées des technologies comme l’intelligence artificielle dans les nouvelles façons de travailler, ces saveurs n’en sont que renforcées. Bernard Cazeneuve vient d’être porté à la présidence d’un think-tank chic dédié au droit, le très élitiste Club des juristes, qui traite justement toutes ces questions. Il en détaille ici les chantiers comme leurs enjeux. Grâce à l’implication ancienne du
Molfessis, le Club des juristes réunit des personnalités d’horizons très différents, des juristes d’entreprise, mais aussi des professionnels du droit (avocats, notaires…) et d’éminents universitaires, qui engagent entre eux des débats juridiques de fond et rendent publiques leurs conclusions. Certains grands patrons, qui ont une vision panoramique des défis auxquels peuvent être confrontés certains secteurs de l’économie, ont accepté de prêter leur concours. Les sujets traités au cours des derniers mois ont été dictés en grande partie par les urgences de l’actualité. Cela fut notamment le cas du groupe de travail piloté par Louis de Gaulle et Dominique Perben sur l’extraterritorialité des enquêtes du juge pénal américain, après que le président Donald Trump a décidé de remettre en cause unilatéralement l’accord nucléaire iranien (JPOA), en menaçant les entreprises présentes en Iran d’un nouveau régime de sanctions. Cette réflexion a permis non seulement de faire le point sur la portée et les modalités des procédures extra-territoriales, mais aussi d’envisager les réponses européennes adaptées. Nous nous sommes placés là au coeur d’une préoccupation très présente dans l’esprit de certains chefs d’entreprise, mais aussi de gouvernements européens, conscients que la conformité peut aussi devenir l’un des instruments du protectionnisme désormais assumé de la nouvelle administration américaine, ou servir l’unilatéralisme dont elle se réclame.
Le sociétal et les cyber-risques
Une commission animée par Antoine Frérot a travaillé sur l’engagement sociétal et social des entreprises et sur les réformes à promouvoir qui permettraient d’impliquer davantage leur gouvernance, leurs salariés, leurs instances représentatives dans des enjeux aussi différents que l’environnement, les droits de l’homme ou la protection de la santé. Les propositions formulées sont au coeur du débat soulevé par la loi Pacte en cours de discussion.
Bernard Spitz, président de la Fédération française de l’assurance, a animé une très importante commission sur le cyber-risque. Celle-ci a non seulement commencé à mettre en perspective l’étendue des menaces auxquelles le secteur privé, les États ou les collectivités publiques peuvent se trouver confrontés, mais a aussi étudié les modalités d’indemnisation de ces risques et défini les mesures de protection à promouvoir parmi les assureurs, les gestionnaires de risques et les responsables d’entreprise, en étroite relation avec l’Anssi (Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information) et la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Un ensemble de bonnes pratiques a ainsi été inventorié et un cadre européen défini, pour que la maîtrise des cyber-menaces devienne un objectif prioritaire du marché unique, et que l’investissement soit orienté vers les start-up engagées dans le développement des technologies les plus à même d’assurer la sécurité numérique. Ce chantier très important, qui a déjà fait l’objet de premières conclusions particulièrement intéressantes, va se poursuivre cette année.
Un travail “rétro-prospectif” sur les évolutions récentes du droit de la concurrence a été conduit par une commission présidée par Guy Canivet. Elle a non seulement fait le point sur les dispositions prises en la matière depuis 1986, mais a aussi étudié les conditions dans lesquelles ces règles sont appliquées et peuvent être améliorées au plan national comme au plan européen. Pierre Servan-Schreiber a, pour sa part, ouvert un chantier prometteur sur la médiation.
L’intelligence artificielle
Cette année, nous allons traiter d’autres grands sujets. Le premier concernera les conséquences juridiques de l’application de l’intelligence artificielle à un certain nombre de secteurs industriels. Nous aborderons plus spécifiquement la responsabilité du fait des véhicules autonomes, autour d’une équipe animée par Louis Schweitzer. Il s’agira d’explorer de façon ouverte un ensemble de questions juridiques complexes résultant des évolutions technologiques les plus récentes.
Un groupe de travail dédié à la “compliance” fera le bilan de l’application de la loi Sapin 2 et regardera les conditions dans lesquelles on peut faire émerger un droit européen de la conformité, et permettre un rééquilibrage de la rela-