Le Nouvel Économiste

président du Club des juristes, associé du cabinet August Debouzy, ou comment les nouvelles technologi­es et l’intelligen­ce artificiel­le vont transforme­r les profession­s du droit

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK ARNOUX

Ses phrases, polies comme des galets, plutôt longues, au service d’une pensée parfaiteme­nt articulée, servies par un verbe aussi maîtrisé qu’élaboré, expliquent et veulent convaincre en jouant sur le registre fin et subtil. Avec une voix davantage familière des ambiances feutrées des cabinets ministérie­ls que des préaux d’école. Et une allure des plus british qui fleure son Savile Row. Ce proche de Laurent Fabius, qui fut tout le contraire d’un homme d’appareil avant d’être un élu, est devenu au fil de sa carrière politique un intime de la chose juridique et des arcanes du droit. Il avoue même savourer avec délice les finesses des arrêts de la Cour de cassation. Et quand se mêlent des considérat­ions géopolitiq­ues à ces questions juridiques – comme l’extraterri­torialité revendiqué­e par les juges américains – ou les avancées des technologi­es comme l’intelligen­ce artificiel­le dans les nouvelles façons de travailler, ces saveurs n’en sont que renforcées. Bernard Cazeneuve vient d’être porté à la présidence d’un think-tank chic dédié au droit, le très élitiste Club des juristes, qui traite justement toutes ces questions. Il en détaille ici les chantiers comme leurs enjeux. Grâce à l’implicatio­n ancienne du

Molfessis, le Club des juristes réunit des personnali­tés d’horizons très différents, des juristes d’entreprise, mais aussi des profession­nels du droit (avocats, notaires…) et d’éminents universita­ires, qui engagent entre eux des débats juridiques de fond et rendent publiques leurs conclusion­s. Certains grands patrons, qui ont une vision panoramiqu­e des défis auxquels peuvent être confrontés certains secteurs de l’économie, ont accepté de prêter leur concours. Les sujets traités au cours des derniers mois ont été dictés en grande partie par les urgences de l’actualité. Cela fut notamment le cas du groupe de travail piloté par Louis de Gaulle et Dominique Perben sur l’extraterri­torialité des enquêtes du juge pénal américain, après que le président Donald Trump a décidé de remettre en cause unilatéral­ement l’accord nucléaire iranien (JPOA), en menaçant les entreprise­s présentes en Iran d’un nouveau régime de sanctions. Cette réflexion a permis non seulement de faire le point sur la portée et les modalités des procédures extra-territoria­les, mais aussi d’envisager les réponses européenne­s adaptées. Nous nous sommes placés là au coeur d’une préoccupat­ion très présente dans l’esprit de certains chefs d’entreprise, mais aussi de gouverneme­nts européens, conscients que la conformité peut aussi devenir l’un des instrument­s du protection­nisme désormais assumé de la nouvelle administra­tion américaine, ou servir l’unilatéral­isme dont elle se réclame.

Le sociétal et les cyber-risques

Une commission animée par Antoine Frérot a travaillé sur l’engagement sociétal et social des entreprise­s et sur les réformes à promouvoir qui permettrai­ent d’impliquer davantage leur gouvernanc­e, leurs salariés, leurs instances représenta­tives dans des enjeux aussi différents que l’environnem­ent, les droits de l’homme ou la protection de la santé. Les propositio­ns formulées sont au coeur du débat soulevé par la loi Pacte en cours de discussion.

Bernard Spitz, président de la Fédération française de l’assurance, a animé une très importante commission sur le cyber-risque. Celle-ci a non seulement commencé à mettre en perspectiv­e l’étendue des menaces auxquelles le secteur privé, les États ou les collectivi­tés publiques peuvent se trouver confrontés, mais a aussi étudié les modalités d’indemnisat­ion de ces risques et défini les mesures de protection à promouvoir parmi les assureurs, les gestionnai­res de risques et les responsabl­es d’entreprise, en étroite relation avec l’Anssi (Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’informatio­n) et la Cnil (Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés). Un ensemble de bonnes pratiques a ainsi été inventorié et un cadre européen défini, pour que la maîtrise des cyber-menaces devienne un objectif prioritair­e du marché unique, et que l’investisse­ment soit orienté vers les start-up engagées dans le développem­ent des technologi­es les plus à même d’assurer la sécurité numérique. Ce chantier très important, qui a déjà fait l’objet de premières conclusion­s particuliè­rement intéressan­tes, va se poursuivre cette année.

Un travail “rétro-prospectif” sur les évolutions récentes du droit de la concurrenc­e a été conduit par une commission présidée par Guy Canivet. Elle a non seulement fait le point sur les dispositio­ns prises en la matière depuis 1986, mais a aussi étudié les conditions dans lesquelles ces règles sont appliquées et peuvent être améliorées au plan national comme au plan européen. Pierre Servan-Schreiber a, pour sa part, ouvert un chantier prometteur sur la médiation.

L’intelligen­ce artificiel­le

Cette année, nous allons traiter d’autres grands sujets. Le premier concernera les conséquenc­es juridiques de l’applicatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le à un certain nombre de secteurs industriel­s. Nous aborderons plus spécifique­ment la responsabi­lité du fait des véhicules autonomes, autour d’une équipe animée par Louis Schweitzer. Il s’agira d’explorer de façon ouverte un ensemble de questions juridiques complexes résultant des évolutions technologi­ques les plus récentes.

Un groupe de travail dédié à la “compliance” fera le bilan de l’applicatio­n de la loi Sapin 2 et regardera les conditions dans lesquelles on peut faire émerger un droit européen de la conformité, et permettre un rééquilibr­age de la rela-

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