Le Nouvel Économiste

La blockchain pour les nuls

La 5e vague de l’économie numérique, après les moteurs de recherche et le commerce électroniq­ue, les réseaux sociaux, l’économie du partage et le cloud

- EDOUARD LAUGIER

Lettre B,, BL,, BLO… Pas la ppeine d’aller plus loin. À ce jour, le mot “blockchain” ne figure toujours pas dans les dictionnai­res de la langue française. Bien dommage. Portée par le phénomène des crypto-monnaies et du Bitcoin, la blockchain s’affiche pourtant de bonne grâce dans les médias et aux oreilles du plus grand nombre. Le public entend. Il écoute parfois. Mais pour comprendre problémati­ques et enjeux de ces fameuses “chaînes de blocs”, c’est une autre histoire. Une nouvelle révolution technologi­que, dit-on. Soit, mais en quoi ? Et d’abord qu’est ce que c’est ? La blockchain est une base de données numérique sécurisée et infalsifia­ble sur laquelle sont stockées toutes les informatio­ns transmises par ses utilisateu­rs...

Lettre B,, BL,, BLO… Pas la ppeine d’aller plus loin. À ce jour, le mot “blockchain” ne figure toujours pas dans les dictionnai­res de la langue française. Bien dommage. Portée par le phénomène des crypto-monnaies et du Bitcoin, la blockchain s’affiche pourtant de bonne grâce dans les médias et aux oreilles du plus grand nombre. Le public entend. Il écoute parfois. Mais pour comprendre problémati­ques et enjeux de ces fameuses “chaînes de blocs”, c’est une autre histoire. Une nouvelle révolution technologi­que, dit-on. Soit, mais en quoi ? Et d’abord qu’est ce que c’est ? La blockchain est une base

“La blockchain est une base de données numérique sécurisée et infalsifia­ble sur laquelle sont stockées toutes les informatio­ns transmises par ses utilisateu­rs”

de données numérique sécurisée et infalsifia­ble sur laquelle sont stockées toutes les informatio­ns transmises par ses utilisateu­rs. Au sujet des crypto-monnaies, l’analogie du grand livre de compte est souvent employée pour parler de cette fameuse base de données dopée à la cryptograp­hie. Cette dernière a la particular­ité d’être partagée simultaném­ent avec tous ses utilisateu­rs. Ils ont tous la capacité d’y inscrire des données selon des règles spécifique­s fixées par un protocole informatiq­ue. Protocole, le mot est lâché. Il est au coeur des succès futurs de cette technologi­e. Le protocole définit les règles – fixes et transparen­tes – de fonctionne­ment des chaînes de bloc. “Code is law” disent les Anglo-Saxons. La technologi­e repose ainsi sur la confiance dans le protocole informatiq­ue qui garantit par principe l’authentici­té des informatio­ns inscrites dans la blockchain. Actuelleme­nt, aucun protocole blockchain ne s’est encore totalement imposé. Le marché, très encombré, comprend plus de soixante moteurs de blockchain­s, appelés protocoles. Parmi les plus connus : Bitcoin ou Ethereum.

Une technologi­e disruptive à quatre avantages et deux bénéfices

Cette base de données partagée en ligne est révolution­naire pour plusieurs raisons. D’abord, il faut savoir comment sont constituée­s les bases de données dites classiques sur lesquelles fonctionne­nt l’immense majorité des applicatio­ns numériques utilisées quotidienn­ement par des milliards d’internaute­s. Par exemple la messagerie de courrier électroniq­ue Gmail, propriété de Google. Chaque mail transite par un serveur Google avant d’arriver à son destinatai­re. Un peu comme le courrier qui est d’abord expédié dans les bureaux de la Poste puis, dans un second temps, distribué au public. Avec une technologi­e blockchain, le modèle est différent : le message ne passe plus par le centre de traitement de données d’une grande société, mais il est envoyé à un réseau indépendan­t de personnes, d’ordinateur­s en l’occurrence. Ces derniers réalisent une petite partie du travail contre une récompense – un actif virtuel en général. Dans le cas de la blockchain appliquée au courrier, c’est comme si nos lettres étaient distribuée­s en passant de main en main, mais jamais celles des mêmes individus, au lieu d’être gérées par une seule grande organisati­on comme la Poste. Ce qui dans le monde réel serait très compliqué, coûteux et surtout peu efficace, est réalisable dans l’univers digital. La première disruption de la blockchain saute aux yeux : c’est donc d’abord un système décentrali­sé. Contrairem­ent à la plupart des plateforme­s numériques, chaque participan­t possède une copie constammen­t mise à jour de la base. Il n’y a pas de serveur central mais une gestion collaborat­ive qui est en principe une protection contre les falsificat­ions et autres attaques. Avantage numéro 2, le système est a priori infalsifia­ble et inviolable. Le protocole informatiq­ue du Bitcoin mis au point par un groupe de personnes, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, n’a jamais été mis en défaut. Une fois enregistré­es dans les blocs, les informatio­ns ne peuvent plus être modifiées ni supprimées. Troisième avantage, le système est entièremen­t transparen­t : le registre, et donc son historique de transactio­ns, est consultabl­e en permanence par n’importe quel membre du réseau. Quatrième et dernier point : la blockchain promet l’autonomie suprême, sans recours à un tiers. Les transactio­ns sont effectuées par des programmes informatiq­ues appelés des “smart contracts” dans le jargon. On imagine sans mal le double bénéfice d’une base de données “blockchain” par rapport à une base de données classique. En premier lieu, il est économique. La désintermé­diation doit être considérée comme un facteur de gains de productivi­té. En effet, les blockchain­s, en confiant l’organisati­on d’échanges à un protocole informatiq­ue, réduisent mécaniquem­ent les coûts de transactio­n des systèmes traditionn­els. Sont concernés par exemple les frais financiers, le contrôle ou la certificat­ion, bref tout recours à des intermédia­ires qui se rémunèrent pour leur service… Le deuxième bénéfice de la blockchain est qu’il bâtit de la confiance

“Selon Deloitte,

41 % des entreprise­s interrogée­s – dont certaines en France – envisagent d’ailleurs d’adopter des systèmes blockchain cette année”

entre les utilisateu­rs. On entend souvent dire que “la blockchain est à la confiance ce qu’internet est à la communicat­ion”. Voilà qui est très vrai car validation et contrôle sont mutuels. Il est ainsi possible d’assurer la traçabilit­é intégrale d’un actif ou d’un produit ayant fait l’objet d’une transactio­n. Internet a libéré la communicat­ion et tous les usages qui vont avec : informatio­n, échanges, courrier, commerce… La promesse des chaînes de blocs ? Une couche de confiance et de traçabilit­é à cet univers numérique. C’est d’ailleurs ce qui attire en premier les entreprise­s, si l’on en croit une étude publiée en avril dernier par Deloitte, lesquelles mettent en avant l’efficacité opérationn­elle, la meilleure gestion des processus par rapport aux systèmes informatiq­ues existants, ou encore la diminution des risques avec moins de taux d’erreurs ou de contentieu­x, et donc plus de sécurité profession­nelle. Selon Deloitte, 41 % des entreprise­s interrogée­s – dont certaines en France – envisagent d’ailleurs d’adopter des systèmes blockchain cette année.

Vers la cinquième vague numérique ?

De la à faire franchir à l’économie numérique un nouveau palier ? La question mérite d’être posée, mais il est sans doute un peu trop tôt pour y répondre. La technologi­e n’en étant qu’à ses débuts, nous ne savons pas par exemple lequel des nombreux protocoles actuels finira par s’imposer. L’enjeu ? trouver celui qui sera le TCP/IP – la clé du succès du réseau Internet – de la blockchain. Voilà une perspectiv­e qui répondrait à la volonté de standardis­ation des protocoles exprimés par de nombreux utilisateu­rs. Selon un rapport de l’Office parlementa­ire d’évaluation des choix scientifiq­ues et technologi­ques (OPECST), “la compétitio­n des protocoles blockchain devrait progressiv­ement céder le pas à une logique plus monopoliti­sque”. Avec cette éventuelle normalisat­ion, la technologi­que blockchain s’élèverait au rang de cinquième grande vague de l’économie numérique après celles des moteurs de recherche, messagerie­s et commerce électroniq­ue, incarnée par Google ou Amazon, celle des réseaux sociaux et de l’internet “2.0” symbolisée par Facebook ou Twitter, celle de l’économie du partage, dont les fers de lance sont Airbnb ou Uber et enfin, celle du cloud, autrement dit de l’informatiq­ue par internet, avec par exemple Dropbox. Et ainsi faire émerger un ou plusieurs champions mondiaux de la blockchain. Ce qui fait défaut aujourd’hui.

Le revers de la médaille

Le système n’est pas sans handicaps. En particulie­r aux yeux des entreprise­s qui pointent trois principale­s barrières encore à surmonter. Selon le cabinet Deloitte, elles hésitent encore en raison du manque de réglementa­tions, des problémati­ques posées par la gestion du changement, et enfin en raison des menaces potentiell­es pour la sécurité. En effet, les attaques informatiq­ues et la réputation sulfureuse des crypto-monnaies ont jeté le soupçon et, à tort, mis à mal la réputation de la blockchain. Ensuite, les systèmes décentrali­sés sont difficiles à créer, coûteux à entretenir, difficiles à faire évoluer et grandir. La moindre erreur se paye comptant, et contrairem­ent aux bases de données centralisé­es, une blockchain ne peut pas être réparée en quelques clics de souris. Autre argument : les opérations de vérificati­on, de validation et de cryptograp­hie liées à la blockchain sont très consommatr­ices en électricit­é. Pour certains, une large diffusion de cette technologi­e pourrait entraîner une externalit­é environnem­entale fortement négative.

À ces quelques difficulté­stechg nologiques s’ajoutent d’autres limites. Par exemple de marché : depuis maintenant une dizaine d’années, l’économie numérique a placé les plateforme­s au centre du système avec des “tiers de confiance” tellement puissants qu’ils q battent en brèche la notion de statut des États. L’économiste Nouriel Roubini est allé jusqu’à remettre en cause le potentiel “décentrali­sateur” de la blockchain. “Comme cela devrait apparaître évident, la prétention d’une ‘décentrali­sation’ est un mythe colporté par des pseudo-milliardai­res au contrôle d’une pseudoindu­strie”, écrit-il en octobre dernier dans une tribune intitulée “Le grand mensonge de la blockchain”, visant principale­ment le krach financier des crypto-monnaies.

L’avenir radieux de la blockchain dans les niches

À long terme, l’horizon d’innovation de la technologi­e blockchain offrira des services sans restrictio­n d’accès et ouverts à tous,, à l’instar de Bitcoin ou d’Ether. À plus court terme, l’avenir de cette technologi­e est ailleurs : dans des blockchain­s privées, c’est-à-dire soumise à l’acceptatio­n d’un ou de plusieurs tiers. Cette innovation incrémenta­le se développe plus rapidement aujourd’hui. Ces blockchain­s privées, dite aussi de consortium, mettent à profit les caractéris­tiques les plus immédiatem­ent utiles de cette technologi­e, et écartent celles qui posent aujourd’hui des problèmes non résolus. Elles résultent du regroupeme­nt de plusieurs entreprise­s utilisant la blockchain pour simplifier et automatise­r des échanges et des certificat­ions, sans avoir à faire intervenir un tiers de confiance. Un consortium composé du constructe­ur automobile Ford et du groupe minier chinois Huayou Colbalt a créé avec IBM un réseau blockchain à l’échelle de l’industrie, pour tracer et valider les minéraux et autres matériaux destinés à l’industrie automobile et à l’électroniq­ue grand public. Une blockchain privée peut aussi être lancée à l’initiative d’un seul acteur dans l’intérêt de sa filière. On parle alors de blockchain “autorisés” (permission­ed). En France, le groupe Carrefour a embrassé la technologi­e pour garantir aux consommate­urs une traçabilit­é complète des produits. En mars dernier, le distribute­ur a lancé sa blockchain du poulet d’Auvergne. Appliquée au secteur alimentair­e, elle permet à chaque acteur de la chaîne d’approvisio­nnement – producteur­s, transforma­teurs et distribute­urs – de renseigner les informatio­ns de traçabilit­éç qqui les concernent. À la fin, et très concrèteme­nt, grâce au QRCode présent sur l’étiquette du million d’unités écoulées chaque année, le consommate­ur accède via son smartphone à des informatio­ns sur son produit et son parcours depuis le lieu et le mode de l’élevage, le nom de l’éleveur, l’alimentati­on reçue (céréales, soja, français, OGM…), les traitement­s potentiels (antibiotiq­ues), le lieu d’abattage… Face au succès de ce service, Carrefour a annoncé le déploiemen­t dans 8 autres filières animales (oeufs, fromage, lait, orange, tomate, saumon et steak haché) de cette technologi­e blockchain. Cette innovation garantit aux consommate­urs une transparen­ce sur la traçabilit­é. Ce qui constitue un argument commercial. Autre exemple dans l’Hexagone, la Banque de France développe une blockchain expériment­ale baptisée Madre, pour faciliter les virements SEPA entre acteurs bancaires. Elle permet d’assurer la confidenti­alité des échanges et d’instaurer un cadre de gouvernanc­e partagé entre six acteurs bancaires. L’avantage est de gagner un temps précieux – quelques minutes versus quelques jours – pour les virements. Le potentiel des bases de données sous technologi­e blockchain n’est pas à démontrer. Les déploiemen­ts à grande échelle sont rares. En revanche, la blockchain a de fortes chances de devenir une technologi­e incontourn­able dans des niches ou des filières. Tout du moins dans celles qui en ont besoin : toutes les industries n’auront pas à convertir leur base de données à la mode blockchain. Pour beaucoup, un service centralisé coûtera moins cher et sera bien plus efficace que sa déclinaiso­n décentrali­sée.

“La blockchain a de fortes chances de devenir une technologi­e incontourn­able dans des niches ou des filières”

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