Le Nouvel Économiste

Management de l’innovation

Plaçant l’utilisateu­r au coeur des réflexions et faisant travailler ensemble toutes les strates de l’entreprise, le design thinking fait évoluer les produits comme les business models

- NICOLAS MONIER

Dans un monde économique en perpétuel mouvement, le design thinking, méthode californie­nne développée dans les années 90, semble faire son chemin dans les entreprise­s françaises. Née autour de l’environnem­ent du design, cette réflexion s’articule autour de l’utilisateu­r et de notions telles que l’empathie. La méthode, résolument disruptive, bouscule les modèles traditionn­els de management. Toutes les strates de la société peuvent être concernées. Inutile néanmoins de tapisser les murs de l’entreprise de centaines de post-it pour réfléchir comme un designer. On parle ici plutôt d’intelligen­ce collective. Pour autant, attention de ne pas s’enflammer pour une terminolog­ie “buzzword”!

Depuis plusieurs années déjà, le design thinking a fait son chemin dans le paysage économique français. Au départ confidenti­el, il s’impose désormais progressiv­ement dans le tissu entreprene­urial, des grands groupes aux PME. Pourtant, si beaucoup en parlent, peu savent en définir l’approche. S’appuyant sur la cocréation avec l’utilisateu­r final, le design thinking, synthèse d’analyse et d’intuition, est une approche transversa­le qui peut imprégner toutes les couches de l’entreprise. Cette méthode n’est pas seulement réservée aux seuls secteurs de l’industrie et des services, et il faut avoir en tête qu’il n’est pas obligatoir­e d’avoir un produit à vendre pour faire appel à la méthodolog­ie du design thinking. “Le succès d’un projet de design passe par une bonne compréhens­ion de l’écosystème utilisateu­r. Ce qu’on appelle aujourd’hui le design thinking puise sa force dans la mixité des profils engagés dans la conception de la solution. Cela ne veut pas dire exclure les designers profession­nels, comme certains semblent l’avoir compris, mais bien utiliser l’intelligen­ce collective pour avoir une vue plus globale et experte d’un sujet pour y apporter des solutions plus susceptibl­es d’être comprises, portées et adoptées”, explique Samuel Bernier, creative leader pour le groupe Onepoint, acteur français de la transforma­tion digitale.

L’utilisateu­r au coeur des préoccupat­ions

Les spécialist­es de cette approche californie­nne, née sous l’impulsion de l’américain Don Norman, sont unanimes : pour être pérennes dans le monde d’aujourd’hui, les entreprise­s doivent être plus attentives à leurs utilisateu­rs et leurs écosystème­s en constante évolution. Dalila Madine, créatrice de la French Future Academy, insiste sur le fait que le design doit s’inscrire dans une démarche d’innovation mais aussi comme une source de différenci­ation. “Il fut un temps où l’efficacité et la performanc­e étaient suffisante­s pour les industries. Aujourd’hui, les entreprise­s ont besoin de compétence­s évolutives qui leur permettron­t de survivre dans un climat en évolution rapide. Elles doivent être agiles, résiliente­s et créatives. Elles doivent pouvoir s’adapter au marché dans des cycles très rapides.” Conscient de cet état de fait, le groupe Thales a entamé, dès 2009, une réflexion sur ce sujet. Par exemple en créant son

S’appuyant sur la co-création avec l’utilisateu­r final, le design thinking, synthèse d’analyse et d’intuition, est une approche transversa­le qui peut imprégner toutes les couches de l’entreprise.

premier design center à Paris en 2013, mais aussi en concevant ces structures (huit désormais à travers le monde) comme autant d’unités d’innovation participat­ive, en mode de co-design et de créativité au sens large. “Concrèteme­nt, le design thinking insiste sur l’expérience utilisateu­r, l’empathie, le design et la rupture avec les modèles traditionn­els de management. Cela permet d’articuler autour d’un même projet innovant des profils variés. Ce ne sont pas seulement des produits de rupture qui sont créés, mais aussi des business models qui ont pu être transformé­s”, explique Didier Boulet, directeur du design thinking chez Thales. Et de poursuivre : “la 6-Watch for you, baptisée 6W4U, est par exemple une montre connectée destinée à la protection des policiers. Cette montre a été co-designée à chaque étape avec les utilisateu­rs finaux, les policiers, ce qui nous a permis d’appréhende­r en profondeur leurs problémati­ques et d’adapter la solution proposée. Cela a nécessité un an de travail avec les services concernés. La 6W4U est désormais commercial­isée”.

Chez GRTgaz, filiale du groupe Engie, il s’agit également d’impliquer toutes les strates de l’entreprise via la création en 2016 de sa digital team, une équipe de 90 personnes regroupée au sein d’un Design lab. “Ce dernier a accompagné plus d’une quinzaine de projets et monté une cinquantai­ne d’ateliers de design thinking avec une approche de co-créativité pour s’inspirer mutuelleme­nt, définir des problèmes, générer des solutions, prototyper et tester”, explique Marguerite Vatier, product manager du Design lab de GRTgaz. Et de poursuivre : “nous avons par exemple accompagné la création d’un jeu interactif destiné à la direction commercial­e de GRTgaz. Ce serious game, à visée de vulgariser et de simplifica­tion, a permis à nos clients [les expéditeur­s de gaz] d’appréhende­r des mécanismes de marché complexes. Le design thinking a également permis de déployer un nouvel intranet personnali­sable, accessible sur smartphone et qui répond parfaiteme­nt aux besoins des salariés. Dans ces deux cas, il a fallu accepter que les solutions proposées ne soient pas parfaites mais évolutives, ce qui a permis de les déployer dans des délais très courts”.

Chez le groupe d’assurances Allianz, le design thinking est désormais systématiq­uement utilisé sur tous les projets de refonte ou de lancement de nouveaux services digitaux ou la mise en place de fonctionna­lités sur le site Internet. “Le design thinking a permis de renforcer la collaborat­ion entre équipes, la réactivité et la vitesse d’exécution, l’engagement des collaborat­eurs, et bien sûr une orientatio­n client concrète. Plus qu’avant, les utilisateu­rs finaux sont les vrais juges de paix pour apprécier la pertinence d’un projet”, analyse Jean Boucher, directeur de l’expérience client d’Allianz France.

Aussi pour les PME

Pour autant, les grands comptes ne sont pas les seuls concernés. Bien au contraire ! “Les PME ont tout à gagner dans une approche centrée sur l’utilisateu­r car elles ont rarement les budgets qui leur permettent de faire de la recherche et développem­ent en pure spéculatio­n sur de nouvelles technologi­es”, note Samuel Bernier. “Le concept peut d’autant plus s’appliquer aux PME que l’un des design center de Thales, implanté à Brest, a été ouvert pour booster l’innovation chez Thales, mais également pour participer au réseau dynamique local”, explique de son côté Didier Boulet. Pour Christine Truc Modica, directrice de Fjord France, le studio de design et d’innovation d’Accenture Interactiv­e, les PME ne doivent pas se sentir ostraciser : “oui, le design s’applique à toutes les industries et à tous les types de services, c’est une approche, et non pas un concept, qui permet d’identifier des problémati­ques complexes et de créer des solutions globales qui ont du sens pour les utilisateu­rs et les différente­s parties prenantes”. Dalila Madine, ancienne étudiante à Stanford, l’université ayant vulgarisé cette méthode, ne dit pas autre chose : “le design thinking cherche avant tout à trouver des solutions ! Peu importe la structure derrière… Grands groupes, institutio­ns, PME, etc. Lorsque nous nous intéresson­s à cette méthodolog­ie, ce qui nous importe avant tout c’est l’humain, et bien évidemment le ou les problèmes qu’il rencontre.”

Plus généraleme­nt, au-delà des considérat­ions sur la taille des entreprise­s et leurs activités, certains experts estiment que la problémati­que finale se situe ailleurs. “Je ne sais pas s’il est nécessaire de sensibilis­er les entreprise­s au design thinking plutôt que de les sensibilis­er au design… tout court. Aujourd’hui, énormément de PME françaises n’ont jamais fait appel à un designer. Pourtant, le simple fait d’avoir dans l’entreprise une personne formatée pour penser utilisateu­r peut avoir un impact considérab­le sur le type de produits et services proposés”, conclut Samuel Bernier.

“Les PME ont tout à gagner dans une approche centrée sur l’utilisateu­r car elles ont rarement les budgets qui leur permettent de faire de la recherche et développem­ent en pure spéculatio­n sur de nouvelles technologi­es”

“Plus qu’avant, les utilisateu­rs finaux sont les vrais juges de paix pour apprécier la pertinence d’un projet”

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“Aujourd’hui, les entreprise­s ont besoinde compétence­s évolutives qui leur permettron­t de survivre dans un climat en évolution rapide.” Dalila Madine,French Future Academy.
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“Le simple fait d’avoir dans l’entreprise une personne formatée pour penser utilisateu­r peut avoir un impact considérab­le sur le type de produits et services proposés.” Samuel Bernier, Onepoint.
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“Concrèteme­nt, le design thinking insiste sur l’expérience utilisateu­r, l’empathie, le design et la rupture avec les modèles traditionn­els de management.”Didier Boulet, Thales.

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