Le Nouvel Économiste

Métiers du digital, rois du portage salarial

La sécurité et la liberté du portage salarial forment la bonne équation pour des consultant­s IT très courtisés par les clients

- JESSICA BERTHEREAU

“Aujourd’hui, le secteur de l’IT est en tension. N’ayant plus de problème pour trouver des missions, les experts du numérique préfèrent décider de leur rémunérati­on et de leurs clients”

Né dans les années 1980 à l’initiative de seniors actifs souhaitant réaliser des missions alors qu’ils étaient en recherche d’emploi, le portage salarial est de plus en plus prisé par les profession­nels du digital. Ainsi, environ un cinquième des salariés portés en France travaillen­t dans l’informatiq­ue et le numérique. Dans ce secteur en tension, où les free-lances sont nombreux et les compétence­s très recherchée­s, ceux qui optent pour le portage salarial ne souhaitent pas créer leur propre entreprise mais veulent allier la liberté de l’indépendan­t et la protection sociale du salariat.

Le portage salarial séduit de plus en plus de profession­nels de l’informatiq­ue et du numérique. Des quelque 90 000 salariés portés en France, “entre 15 % et 20 % exercent dans le secteur de l’IT”, rapporte ainsi Guillaume Cairou, président fondateur du groupe Didaxis Hiworkers. “C’est le porté classique : celui qui facture entre 450 et 750 euros par jour, au moins 200 jours dans l’année”, dit-il. C’est pourquoi ces consultant­s représente­nt généraleme­nt une proportion importante du chiffre d’affaires des sociétés de portage qui les emploient. Chez Didaxis, ils constituen­t par exemple 18 % des effectifs et 50 % du chiffre d’affaires. Plusieurs facteurs expliquent cette belle entente entre le portage salarial et les métiers du digital.

Tout d’abord, c’est un secteur où le recours à des consultant­s externes est historique­ment chose courante. “Les entreprise­s externalis­ent leurs compétence­s IT depuis très longtemps, via des structures de conseil ou des SSII”, rappelle Béatrice Perrier, responsabl­e des agences Haute-Savoie, Isère et Savoie de la société de portage Baya Consulting. “Aujourd’hui, ce secteur d’activité est en tension. La recherche de compétence­s dans ce domaine est importante. Les experts du numérique sont donc de plus en plus nombreux à opter pour un statut de free-lance. N’ayant plus de problème pour trouver des missions, ils préfèrent décider de leur rémunérati­on et de leurs clients”, observe-t-elle. Le marché leur est tellement favorable que ces consultant­s n’hésitent plus à sauter le pas.

Développeu­rs,pp chefs de projets et web designers

De plus, les métiers les plus récents du numérique, notamment ceux du web, s’exercent majoritair­ement en indépendan­t. “C’est pourquoi on observe un fort développem­ent de plateforme­s de mise en relation entre ces freelances et les entreprise­s”, souligne Béatrice Perrier. Les profils les plus répandus parmi les freelances du numérique sont les développeu­rs, les chefs de projets et les web designers, selon une étude réalisée en novembre 2018 par l’une de ces plateforme­s spécialisé­es, XXE. Cette enquête montre que les profession­nels du numérique exerçant en indépendan­t sont très majoritair­ement expériment­és : 82 % ont plusieurs années d’expérience et près d’un quart ont plus de 10 ans de métier.

Le portage salarial s’adresse justement à ceux qui ont une forte expertise car si le porté est salarié de l’entreprise de portage (en CDD ou en CDI), il est autonome

dans le démarchage de ses clients et l’organisati­on de ses missions. Ceux qui choisissen­t ce statut veulent généraleme­nt conjuguer la liberté de l’indépendan­t et la protection sociale du salariat. “Certains free-lances du web ont tendance à démarrer en microentre­prise par facilité, remarque Béatrice Perrier. Mais quand ils cherchent à sécuriser leur activité, ils se tournent vers le portage salarial. Aujourd’hui, il n’y a que ce statut qui leur permette cotiser aux allocation­s-chômage avec un statut d’indépendan­t.” Le porté touche en effet le chômage si son CDI avec la société de portage est rompu ou à la fin de son CDD, s’il a acquis assez de droits.

Protection sociale du salariat

“Les préoccupat­ions des indépendan­ts varient en fonction de l’âge, observe de son côté Radhia Amirat, directrice générale adjointe de la société de portage ITG. Passé un certain âge, ces profession­nels ont des besoins très concrets en matière de protection sociale, mais aussi d’achat immobilier.” C’est exactement pourquoi Nicolas Pascal, expert du secteur numérique, a choisi le portage salarial quand il s’est lancé en indépendan­t il y a quelques mois. “Je suis en CDI, ce qui me permet de cotiser au régime général pour la retraite, mais aussi de contracter sans problème un emprunt immobilier auprès des organismes de crédit. Je voulais être indépendan­t tout en ayant la protection du salariat”, témoigne-t-il. Nicolas Pascal a également choisi le portage salarial parce qu’il ne voulait pas des contrainte­s entreprene­uriales. “La forme la plus concurrent­ielle du portage salarial est la Sasu [société par actions simplifiée unipersonn­elle, ndlr], qui permet d’avoir le statut de dirigeant salarié. Mais ce n’est pas entièremen­t équivalent à la protection sociale dont bénéficie un salarié porté, notamment pour ce qui est de l’assurance chômage”, explique Guillaume Cairou. En effet, le président de Sasu est un assimilé salarié, c’est-à-dire qu’il est affilié au régime général de la Sécurité sociale et bénéficie de la même protection sociale que les salariés cadres, mais il ne cotise pas à l’assurance chômage et n’a donc pas le droit aux allocation­s-chômage.

Des pportés de plus en plus jeunes

Créer son entreprise suppose un certain nombre de démarches administra­tives, juridiques, fiscales et comptables. Le portage a tendance à attirer ceux qui ne souhaitent pas entrer dans ces démarches et veulent se concentrer exclusivem­ent sur le développem­ent de leur activité. Selon Guillaume Cairou, “la structurat­ion de la branche et l’établissem­ent d’une convention collective ont permis de sécuriser le secteur du portage salarial et d’attirer des profils autonomes et experts qui avaient créé des structures, mais ont préféré revenir à un statut de salarié.” Après être longtemps resté sans fondement légal, le portage salarial a en effet été inscrit dans le Code du travail en 2015 et bénéficie d’une convention collective depuis l’été 2017.

Le nombre croissant de profession­nels du numérique optant pour le portage salarial a eu pour effet de rajeunir l’âge moyen des portés. “Chez ITG, nous sommes passés en cinq ans d’un âge moyen de 55 ans à 50 ans et sur les deux dernières années, l’âge moyen des personnes qui nous rejoignent est de 45 ans. C’est un vrai rajeunisse­ment, en partie expliqué par ces nouveaux métiers du numérique”, indique Radhia Amirat. Dans cette société de portage, les métiers de l’IT et du digital sont en forte croissance depuis plusieurs années et sont maintenant largement majoritair­es dans le champ gestion et direction de projets, qui représente 33 % du chiffre d’affaires global.

Développer­pp la notoriété du portage

Les métiers du numérique sont amenés à prendre une place de plus en plus importante sur le marché du travail. Une enquête d’Ipsos sur les Français et le travail indépendan­t publiée en septembre 2018 montre que le numérique, les datas et la robotique sont les domaines d’activité perçus comme les plus créateurs d’emplois à l’avenir. Les Français, dont un sur deux (49 %) est intéressé ou concerné par une activité profession­nelle indépendan­te, associent ainsi aux métiers d’avenir des domaines qui sont particuliè­rement concernés par le recours à des travailleu­rs indépendan­ts.

Pour autant, les Français sont insuffisam­ment informés sur les nouvelles formes de travail indépendan­t. Ainsi, seuls 16 % de ceux qui sont intéressés par le fait de devenir indépendan­t connaissen­t le portage salarial, contre 53 % pour le micro-entreprene­uriat, selon l’enquête d’Ipsos. “Le principal frein au portage salarial est qu’il est peu connu, confirme Radhia Amirat. Nous avons beaucoup d’indépendan­ts qui nous rejoignent et nous disent qu’ils auraient aimé connaître le portage salarial plus tôt.” Pour développer la notoriété du dispositif, le principal syndicat du secteur, le Peps, a lancé une campagne radio diffusée fin 2018 et début 2019. L’objectif : “séduire les salariés, en particulie­r la cible 35-60 ans, attirés par le statut d’indépendan­t mais ne souhaitant pas créer d’entreprise”.

Le nombre croissant de profession­nels du numérique optant pour le portage salarial a eu pour effet de rajeunir l’âge moyen des portés

“Le principal frein au portage salarial est qu’il est peu connu”

 ??  ??
 ??  ?? “Entre 15 % et 20 % exercent dans le secteur de l’IT. C’est le porté classique : celui qui facture entre 450 et 750 euros par jour, au moins 200 jours dans l’année.” Guillaume Cairou, DidaxisHiw­orkers.
“Entre 15 % et 20 % exercent dans le secteur de l’IT. C’est le porté classique : celui qui facture entre 450 et 750 euros par jour, au moins 200 jours dans l’année.” Guillaume Cairou, DidaxisHiw­orkers.
 ??  ?? “Certains free-lances du web ont tendance à démarrer en micro-entreprise par facilité. Mais quand ils cherchent à sécuriser leur activité, ils se tournent vers le portage salarial.” Béatrice Perrier,Baya Consulting.
“Certains free-lances du web ont tendance à démarrer en micro-entreprise par facilité. Mais quand ils cherchent à sécuriser leur activité, ils se tournent vers le portage salarial.” Béatrice Perrier,Baya Consulting.
 ??  ?? “Passé un certain âge, ces profession­nels ont des besoins très concrets en matière de protection sociale, mais aussi d’achat immobilier.” Radhia Amirat, ITG.
“Passé un certain âge, ces profession­nels ont des besoins très concrets en matière de protection sociale, mais aussi d’achat immobilier.” Radhia Amirat, ITG.

Newspapers in French

Newspapers from France