Métiers du digital, rois du portage salarial
La sécurité et la liberté du portage salarial forment la bonne équation pour des consultants IT très courtisés par les clients
“Aujourd’hui, le secteur de l’IT est en tension. N’ayant plus de problème pour trouver des missions, les experts du numérique préfèrent décider de leur rémunération et de leurs clients”
Né dans les années 1980 à l’initiative de seniors actifs souhaitant réaliser des missions alors qu’ils étaient en recherche d’emploi, le portage salarial est de plus en plus prisé par les professionnels du digital. Ainsi, environ un cinquième des salariés portés en France travaillent dans l’informatique et le numérique. Dans ce secteur en tension, où les free-lances sont nombreux et les compétences très recherchées, ceux qui optent pour le portage salarial ne souhaitent pas créer leur propre entreprise mais veulent allier la liberté de l’indépendant et la protection sociale du salariat.
Le portage salarial séduit de plus en plus de professionnels de l’informatique et du numérique. Des quelque 90 000 salariés portés en France, “entre 15 % et 20 % exercent dans le secteur de l’IT”, rapporte ainsi Guillaume Cairou, président fondateur du groupe Didaxis Hiworkers. “C’est le porté classique : celui qui facture entre 450 et 750 euros par jour, au moins 200 jours dans l’année”, dit-il. C’est pourquoi ces consultants représentent généralement une proportion importante du chiffre d’affaires des sociétés de portage qui les emploient. Chez Didaxis, ils constituent par exemple 18 % des effectifs et 50 % du chiffre d’affaires. Plusieurs facteurs expliquent cette belle entente entre le portage salarial et les métiers du digital.
Tout d’abord, c’est un secteur où le recours à des consultants externes est historiquement chose courante. “Les entreprises externalisent leurs compétences IT depuis très longtemps, via des structures de conseil ou des SSII”, rappelle Béatrice Perrier, responsable des agences Haute-Savoie, Isère et Savoie de la société de portage Baya Consulting. “Aujourd’hui, ce secteur d’activité est en tension. La recherche de compétences dans ce domaine est importante. Les experts du numérique sont donc de plus en plus nombreux à opter pour un statut de free-lance. N’ayant plus de problème pour trouver des missions, ils préfèrent décider de leur rémunération et de leurs clients”, observe-t-elle. Le marché leur est tellement favorable que ces consultants n’hésitent plus à sauter le pas.
Développeurs,pp chefs de projets et web designers
De plus, les métiers les plus récents du numérique, notamment ceux du web, s’exercent majoritairement en indépendant. “C’est pourquoi on observe un fort développement de plateformes de mise en relation entre ces freelances et les entreprises”, souligne Béatrice Perrier. Les profils les plus répandus parmi les freelances du numérique sont les développeurs, les chefs de projets et les web designers, selon une étude réalisée en novembre 2018 par l’une de ces plateformes spécialisées, XXE. Cette enquête montre que les professionnels du numérique exerçant en indépendant sont très majoritairement expérimentés : 82 % ont plusieurs années d’expérience et près d’un quart ont plus de 10 ans de métier.
Le portage salarial s’adresse justement à ceux qui ont une forte expertise car si le porté est salarié de l’entreprise de portage (en CDD ou en CDI), il est autonome
dans le démarchage de ses clients et l’organisation de ses missions. Ceux qui choisissent ce statut veulent généralement conjuguer la liberté de l’indépendant et la protection sociale du salariat. “Certains free-lances du web ont tendance à démarrer en microentreprise par facilité, remarque Béatrice Perrier. Mais quand ils cherchent à sécuriser leur activité, ils se tournent vers le portage salarial. Aujourd’hui, il n’y a que ce statut qui leur permette cotiser aux allocations-chômage avec un statut d’indépendant.” Le porté touche en effet le chômage si son CDI avec la société de portage est rompu ou à la fin de son CDD, s’il a acquis assez de droits.
Protection sociale du salariat
“Les préoccupations des indépendants varient en fonction de l’âge, observe de son côté Radhia Amirat, directrice générale adjointe de la société de portage ITG. Passé un certain âge, ces professionnels ont des besoins très concrets en matière de protection sociale, mais aussi d’achat immobilier.” C’est exactement pourquoi Nicolas Pascal, expert du secteur numérique, a choisi le portage salarial quand il s’est lancé en indépendant il y a quelques mois. “Je suis en CDI, ce qui me permet de cotiser au régime général pour la retraite, mais aussi de contracter sans problème un emprunt immobilier auprès des organismes de crédit. Je voulais être indépendant tout en ayant la protection du salariat”, témoigne-t-il. Nicolas Pascal a également choisi le portage salarial parce qu’il ne voulait pas des contraintes entrepreneuriales. “La forme la plus concurrentielle du portage salarial est la Sasu [société par actions simplifiée unipersonnelle, ndlr], qui permet d’avoir le statut de dirigeant salarié. Mais ce n’est pas entièrement équivalent à la protection sociale dont bénéficie un salarié porté, notamment pour ce qui est de l’assurance chômage”, explique Guillaume Cairou. En effet, le président de Sasu est un assimilé salarié, c’est-à-dire qu’il est affilié au régime général de la Sécurité sociale et bénéficie de la même protection sociale que les salariés cadres, mais il ne cotise pas à l’assurance chômage et n’a donc pas le droit aux allocations-chômage.
Des pportés de plus en plus jeunes
Créer son entreprise suppose un certain nombre de démarches administratives, juridiques, fiscales et comptables. Le portage a tendance à attirer ceux qui ne souhaitent pas entrer dans ces démarches et veulent se concentrer exclusivement sur le développement de leur activité. Selon Guillaume Cairou, “la structuration de la branche et l’établissement d’une convention collective ont permis de sécuriser le secteur du portage salarial et d’attirer des profils autonomes et experts qui avaient créé des structures, mais ont préféré revenir à un statut de salarié.” Après être longtemps resté sans fondement légal, le portage salarial a en effet été inscrit dans le Code du travail en 2015 et bénéficie d’une convention collective depuis l’été 2017.
Le nombre croissant de professionnels du numérique optant pour le portage salarial a eu pour effet de rajeunir l’âge moyen des portés. “Chez ITG, nous sommes passés en cinq ans d’un âge moyen de 55 ans à 50 ans et sur les deux dernières années, l’âge moyen des personnes qui nous rejoignent est de 45 ans. C’est un vrai rajeunissement, en partie expliqué par ces nouveaux métiers du numérique”, indique Radhia Amirat. Dans cette société de portage, les métiers de l’IT et du digital sont en forte croissance depuis plusieurs années et sont maintenant largement majoritaires dans le champ gestion et direction de projets, qui représente 33 % du chiffre d’affaires global.
Développerpp la notoriété du portage
Les métiers du numérique sont amenés à prendre une place de plus en plus importante sur le marché du travail. Une enquête d’Ipsos sur les Français et le travail indépendant publiée en septembre 2018 montre que le numérique, les datas et la robotique sont les domaines d’activité perçus comme les plus créateurs d’emplois à l’avenir. Les Français, dont un sur deux (49 %) est intéressé ou concerné par une activité professionnelle indépendante, associent ainsi aux métiers d’avenir des domaines qui sont particulièrement concernés par le recours à des travailleurs indépendants.
Pour autant, les Français sont insuffisamment informés sur les nouvelles formes de travail indépendant. Ainsi, seuls 16 % de ceux qui sont intéressés par le fait de devenir indépendant connaissent le portage salarial, contre 53 % pour le micro-entrepreneuriat, selon l’enquête d’Ipsos. “Le principal frein au portage salarial est qu’il est peu connu, confirme Radhia Amirat. Nous avons beaucoup d’indépendants qui nous rejoignent et nous disent qu’ils auraient aimé connaître le portage salarial plus tôt.” Pour développer la notoriété du dispositif, le principal syndicat du secteur, le Peps, a lancé une campagne radio diffusée fin 2018 et début 2019. L’objectif : “séduire les salariés, en particulier la cible 35-60 ans, attirés par le statut d’indépendant mais ne souhaitant pas créer d’entreprise”.
Le nombre croissant de professionnels du numérique optant pour le portage salarial a eu pour effet de rajeunir l’âge moyen des portés
“Le principal frein au portage salarial est qu’il est peu connu”