Le Nouvel Économiste

Marchés: les prévisions d’un éternel pessimiste

Les risques d’un atterrissa­ge brutal en Chine n’ont pas diminué. Et l’euro est condamné à imploser.

- LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ, THE ECONOMIST

Albert Edwards est une personne sur qui compter en des temps incertains. Depuis plus de 20 ans, et dernièreme­nt en tant que stratège Monde pour la Société Générale, il reste un prophète inflexible du pire. Lors de sa conférence annuelle à Londres (la “Bear-fest”), devant 400 investisse­urs environ, il a réitéré ses prévisions invariable­ment pessimiste­s. “Nous travaillon­s pour une banque française” a-t-il déclaré. “Donc, vous pouvez être sûrs d’être sortis d’ici à 17 heures.”

Ce fut la seule prédiction joyeuse de la journée. Son collègue Andrew Lapthorne et le co-présentate­ur Gérard Minack (ex de Morgan Stanley et de la même fibre) sont sur la même longueur d’ondes. Le message central n’a pas beaucoup changé mais la popularité de M. Edwards non plus. Comme un métronome, année après année, il est classé numéro de sa catégorie dans les enquêtes sur les investisse­urs internatio­naux. Il admet s’être trompé sur beaucoup de choses. Mais son talent pour imaginer le pire est précieux. Si votre crainte est vague, M. Albert la mettra en forme. “Quand j’ai raison, ça fait très mal” résume-t-il.

M. Edward a commencé, comme beaucoup de prêcheurs non conformist­es, dans le bas clergé, ou du moins le clergé du monde de la finance : chercheur pour la Banque d’Angleterre. Depuis, il n’a à peu près jamais eu un mot gentil pour l’église officielle de la banque centrale. Au début des années 2000, alors que son “naïf” collègue était Alan Greenspan, président de la FED, il accusait celui-ci de négligence quasi-criminelle pour sa politique d’argent facile. Durant une réunion, il a comparé la politique japonaise d’assoupliss­ement monétaire à la nécrophili­e : quand l’économie bouge encore, cela ne signifie pas qu’elle va revenir à la vie. Et cette semaine, durant la Bear-fest, il a fustigé la confiance des banques centrales, qui assurent qu’elles sont capables d’inverser l’assoupliss­ement monétaire. Dans les années 1990, quand M. Edwards a commencé à développer sa théorie de “l’âge de glace”, il se démarquait de la foule des stratègist­es boursiers, gais comme des majorettes.

Le futur à prévoir était celui du Japon. La dette et la désinflati­on entraînera­ient une hausse des prix des obligation­s (et une baisse des rendements). Dans le même temps, il y aurait une décote des actions, de sorte que les prix baisseraie­nt par rapport aux bénéfices (et que le rendement des bénéfices augmentera­it). Une partie de tout cela était juste. L’évolution des rendements obligatair­es est en baisse. Mais le déclasseme­nt des actions ne s’est pas produit. En raison d’un “assoupliss­ement monétaire colossal, colossal”, , explique-pqt-il.

À présent, alors que l’assoupliss­ement monétaire touche à sa fin, il n’est pas surprenant que les marchés soient nerveux. Les récessions de millésime récent ont commencé quand un resserreme­nt monétaire relativeme­nt modeste a déclenché un coup de grisou dans la finance, assure-t-il. Les taux d’endettemen­t élevés des entreprise­s en Amérique signifient que la prochaine récession sera profonde. M. Edwards n’est pas plus optimiste pour les autres économies. Les risques d’un atterrissa­ge brutal en Chine n’ont pas diminué. Et l’euro est condamné à imploser. M. Edwards cite un sondage : les jeunes Italiens sont beaucoup plus hostiles à l’Union européenne que leurs aînés. Les coûts salariaux unitaires élevés de l’Italie bloquent la création d’emplois dont les jeunes ont besoin. Prisonnièr­e de l’euro, elle ne peut pas aisément les faire baisser.

Et quand les choses deviennent compliquée­s, que se passe-t-il ? L’“assoupliss­ement monétaire à outrance” n’a fait que faire gonfler le prix des actifs, rappelle M. Minack. Les hommes politiques se tourneront cette fois vers le “people’s QE” (l’assoupliss­ement monétaire populaire, privilégié par le chef des travaillis­tes Jeremy Corbyn), une politique de baisses d’impôts pour les particulie­rs payée par la planche à billets. M. Edwards opine. Mais naturellem­ent, il va plus loin. Quand la récession apparaîtra, “Corbyn sera vu comme un modéré !” Il sera difficile pour les politiques de résister à la demande pressante de faire quelque chose.

Les investisse­urs devraient privilégie­r les liquidités et le cash, pour se protéger. M. Edwards pense que les rendements des bons des Trésors plongeront à moins de zéro durant la prochaine récession. Les obligation­s offriront alors une protection à court terme. Mais elles souffriron­t ensuite d’un cruel retour de bâton si les manoeuvres des autorités finissent par créer de l’inflation. M. Lapthorne voit dans le Japon le meilleur marché d’actions où l’on puisse se réfugier, avec ses entreprise­s bon marché, rentables et qui ont réduit leurs dettes.

M. Edwards est souvent accusé d’être un éternel baissier (“perma bear”) . Il est vrai qu’il ne met pas souvent à jour ses opinions. En cela, il ressemble à un marxiste de la vieille école ou à un euroscepti­que contempora­in. Tous croient qu’à la fin, ils auront raison. Pour eux, les tours et détours ne sont qque vétilles. À un titre au moins, M. Edwards est déjà vengé. Ses thèmes chéris, la désinflati­on, les dangers de l’endettemen­t, les vices des banques centrales et les dangers de la complaisan­ce passive, se retrouvent maintenant jusque dans les présentati­ons Powerpoint de ses concurrent­s stratèges. Durant cette Bearfest, des signes d’une ère post-âge de glace sont cependant apparus. Message : les obligation­s doivent être évitées et il faut avoir des couverture­s contre l’inflation. À part ça, le message est le même que d’habitude. La fin du monde est proche. Mais au moins, vous serez chez vous à temps pour l’heure du thé.

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