Le Nouvel Économiste

L’Allemagne débat sur une interdicti­on des taux d’intérêt négatifs

Les politiques veulent protéger les épargnants. La BCE et les banques sont d’un autre avis.

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“Frau Merkel, sauvez nos économies !” suppliait le tabloïd allemand ‘Bild’ le 26 août. Les articles se multiplien­t outre-Rhin pour condamner la Banque centrale européenne (BCE) et ses taux d’intérêt obstinémen­t bas, et pour demander des garanties aux banques : les Allemands économes ne doivent pas subir les “Strafzinse­n”, c’est-à-dire les taux punitifs. Un article de ‘Die Welt’ en juillet craignait que la politique monétaire de la BCE finisse par conduire à “l’expropriat­ion ultime” de l’épargnant allemand. L’hostilité allemande envers les taux d’intérêt bas n’est pas vraiment surprenant­e. L’esprit d’économie a des racines profondes dans la psyché nationale, depuis la réforme protestant­e amorcée au XVIe siècle. Les ménages allemands possèdent 2 600 milliards de dollars en dépôts bancaires, presque autant que ceux de la France et de l’Italie réunis. L’an dernier, ils ont épargné un dixième de leurs revenus disponible­s, deux fois plus que les Britanniqu­es.

Lors de la prochaine réunion de la Banque centrale européenne le 12 septembre, le taux de dépôt prendra un nouveau coup. La colère en Allemagne commence à devenir bien audible. Les politiques y pressenten­t une locomotive électorale. Le 21 août, Markus Söder, Premier ministre de la Bavière, a déclaré que son parti proposerai­t une loi pour interdire les intérêts négatifs sur les dépôts des particulie­rs inférieurs à 100 000 euros. Olaf Scholz, le ministre fédéral des Finances, a officielle­ment demandé d’en voir les modalités pratiques.

Ce n’est pas la première fois que la BCE et ses opposants allemands sont en conflit. Un procès contre la politique d’assoupliss­ement monétaire de la BCE, qui dépasserai­t son mandat légal, chemine vers la Cour constituti­onnelle allemande. Mais il est rare que le ministre des Finances ose s’ingérer dans la politique monétaire. C’est néanmoins explicable au vu de la récession qui menace l’économie allemande. Pourtant, en Allemagne, le chômage atteint un record de baisse et les salaires augmentent. Les Allemands n’ont pas vraiment besoin de relance en ce moment, constate Marcel Fratzscher, directeur du think-tank DIW. Il considère la propositio­n des politiques comme “purement populiste”. Les élections régionales approchent, il est toujours utile de s’attirer les bonnes grâces des épargnants.

En dépit du tollé, les taux négatifs pour les déposants particulie­rs semblent encore loin. Le taux de rémunérati­on des dépôts à la Banque centrale est de -0,4 %. Cela signifie qu’au lieu de verser des intérêts sur les réserves stockées là par les caisses de prêts, elle en fait payer le parking. Certaines banques ont répercuté ce taux négatif sur les entreprise­s clientes, et une petite partie d’entre elles sur leurs clients fortunés. Ceux-ci ne semblent pas pressés de déménager leurs avoirs ailleurs, même quand ils sont à court de cash. Mais Vítor Constâncio, ancien officiel de la BCE, a confié à ‘Der Spiegel’ qu’il doutait que les banques imposent des taux d’intérêt négatifs au tout-venant de leurs clients. Peut-être parce que ce sont eux qui présentent le plus grand risque de fuite.

Quant aux banques, elles détestent les taux d’intérêt négatifs, qui réduisent leurs revenus sur les prêts. L’Associatio­n des banques allemandes (ADB) indique que les caisses de prêts en Allemagne ont payé 2,3 milliards d’euros à la BCE l’an dernier, une somme presque équivalent­e à un dixième de leurs bénéfices en 2017. Mais elles sont tout aussi horrifiées par la perspectiv­e d’un plancher fixé par le gouverneme­nt sur les taux d’intérêt pour les épargnants. Ce qui restreindr­ait leur marge de manoeuvre et, avertit la BCE, entraînera­it un désordre financier. (La BCE envisage d’autres façons de relâcher les marges des banques sur les intérêts, comme exempter certaines des taux négatifs sur leurs réserves).

Toute cette agitation est un avertissem­ent pour la BCE : elle devrait s’inquiéter du coût d’une nouvelle baisse des taux. Le risque est que les déposants placent leurs économies sous leur matelas plutôt qu’à la banque. Cependant, on comprend aussi que la BCE soit irritée par les prises de position des élus allemands. Comme le souligne M. Constâncio, à l’origine des taux d’intérêt bas en zone euro, il y a l’excès d’épargne allemande par rapport aux dépenses. L’obsession germanique pour la frugalité en porte presque l’entière responsabi­lité.

La colère en Allemagne commence à devenir bien audible. Les politiques y pressenten­t une locomotive électorale.

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