Une réforme retoquée mais pas coulée
Recalée par les Sages sur la forme, pas sur le fond
La réforme avortée prévoyait ainsi la mise en place d’associations professionnelles représentatives, et auprès desquelles les courtiers auraient dû ensuite adhérer de manière obligatoire
“La demande de trouver un autre véhicule législatif que la loi Pacte pour la réforme du courtage ressemble plus à une demande de report que d’annulation.” Philippe Feuille, La compagnie des CGP-CIF.
La réforme du courtage en stand-by ? Alors que les courtiers devaient être affiliés à une association professionnelle à compter de janvier 2020, le Conseil
constitutionnel a finalement retoqué in extremis le projet de réforme en mai dernier. Et ce alors même que le texte avait été adopté en première lecture au Sénat. Pour autant, la profession estime que la réforme devrait tout de même voir le jour sous une autre forme.
Mieux structurer et encadrer le monde du courtage. Tel était l’objectif de l’amendement prévu par la loi Pacte, et dont l’entrée en vigueur était prévue au 1er janvier 2020 pour les courtiers (et 2021 pour les courtiers IOB). Ce ne sera finalement pas le cas, puisque le Conseil Constitutionnel a annulé ce projet de loi, in extremis, en mai dernier. Une nouvelle qui a pris de court le monde du courtage, alors même que celui-ci s’était mis en ordre de marche accélérée pour se mettre en conformité avec les exigences de cette réforme.
“Nous ne nous attendions pas à cette décision de report du Conseil constitutionnel mais l’on peut aisément penser que la demande de trouver un autre véhicule législatif que la loi Pacte pour la réforme du courtage ressemble plus à une demande de report que d’annulation”, estimait le président de La compagnie des CGP-CIF, Philippe Feuille.
La réforme avortée prévoyait ainsi la mise en place d’associations professionnelles représentatives, agréées
au préalable par l’ACPR (l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), et auprès desquelles les courtiers auraient dû ensuite adhérer de manière obligatoire. Garantes de missions de délégation de service public (DSP), ces associations étaient pensées pour assurer la labellisation de dispositifs de formation, la vérification des conditions d’accès à la profession, proposer des services de médiation professionnelle ainsi qu’une mission d’accompagnement à l’exercice du métier.
Ces dispositions étaient notamment perçues comme une réponse à des dysfonctionnements survenus dans le monde de la distribution de contrats en assurance-construction au cours des derniers mois, ainsi qu’à un ensemble de pratiques à dépoussiérer. “L’ACPR s’est également aperçue que sur près de 24 000 courtiers immatriculés à l’Orias, seuls 2 500 proposaient un service de médiation client, alors que celui-ci s’avère obligatoire”, ajoute Bertrand de Surmont, président de la Chambre syndicale des courtiers d’assurances (CSCA). “Le cadre réglementaire a lui aussi fortement évolué récemment, avec la mise en place de nouveaux textes comme la DDA [Directive sur la distribution d’assurances], le RGPD [Règlement général sur la protection des données personnelles] ou encore le décret du 23 février dernier qui instaure une obligation de quinze heures de formation”, notait Lionel Bouquet, directeur général chez Novélia.
Les membres concernés
Un modèle similaire avait même déjà été éprouvé dans d’autres professions, à commencer par les conseillers en investissement financier (CIF), qui faisaient déjà face à l’obligation de s’inscrire à une association avec un principe d’autorégulation, instaurée par l’AMF en 2003. “À l’époque, personne ne savait alors si cela fonctionnerait. Mais cela a bien marché, à tel point que l’on a constaté ensuite un développement de la profession et une importante diminution du nombre d’incidents, contrairement à ce que l’on aurait pu penser”, se souvient David Charlet, président de l’Anacofi. Selon lui, la création de ces associations aurait non seulement permis de mieux accompagner les professionnels, mais aussi de s’assurer “qu’ils se regroupent et reçoivent tous les mêmes messages”.
Le projet retoqué visait large et concernait “l’ensemble des courtiers d’assurances ou sociétés de réassurance, personnes physiques et sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés pour l’activité de courtage d’assurances, et leurs mandataires, personnes physiques non-salariées et personnes morales”. De quoi inclure les quelque 24 194 courtiers en assurances déjà immatriculés à l’Orias, au sein de plusieurs catégories (courtiers de proximité, courtiers grossistes ou gestionnaires de patrimoine, courtiers en assurances
affinitaires ou encore comparateurs d’assurances), mais aussi les mandataires d’intermédiaires d’assurances (MIA).
Alors qu’ils n’avaient pas été ciblés en première intention par le Trésor, les intermédiaires en opérations de banque et services de paiement (IOBSP) ainsi que les intervenants en libre prestation de services (LPS) ou en libre établissement (LE) oeuvrant sur le sol français étaient également concernés, même si le principe d’une libre adhésion avait été a priori retenue pour ces derniers. “Le texte regroupait vraiment le courtage au sens large du terme, à l’exception des agents généraux, déjà encadrés d’une autre manière”, traduisait alors Philippe Feuille. Parmi les points qui restaient à discuter demeurait par exemple le critère de représentativité, nécessaire pour agréer ces futures associations. Car si l’ACPR avait d’abord avancé le chiffre de 10 % du nombre total des professionnels concernés (s’élevant à 35 000 acteurs, courtiers et mandataires confondus), ce seuil posait problème à certains regroupements de plus petite taille, qui pouvaient ainsi craindre de ne pas avoir les moyens humains et financiers pour préparer l’émergence de ces futures associations. Pour lever ce frein, plusieurs n’excluaient ainsi pas de proposer de réunir, au sein d’une même association, plusieurs familles du courtage. Dans cette première mouture, une clause de revoyure prévoyait également qu’une association puisse perdre son agrément si elle n’atteignait pas, à l’issue d’une période de 12 à 24 mois, ce seuil de représentativité fixé à 10 %.
Alors que la première version du texte évoquait aussi la mise en place d’une procédure de radiation contradictoire assurée par une commission spéciale constituée à cet effet, certains acteurs avaient d’ores et déjà pointé du doigt la survenue de potentiels conflits d’intérêts entre les membres d’une même association. “Que pourrait-il se passer si une société devait être jugée par ses concurrents ou ses partenaires ?”, s’était alors interrogé alors Lionel Bouquet. Angélique Sellier Levillain, directrice juridique, assurance et multidistribution d’Allianz France, rappelait à son tour “l’importance de bénéficier d’une décision collégiale et de bien étudier le système de gouvernance”.
Des questions en suspens
Alors que la publication du décret d’application de cette réforme était à l’origine annoncée pour la rentrée 2019, la décision du Conseil constitutionnel a donc mis un coup d’arrêt à la course contre la montre engagée par les professionnels du secteur pour se conformer à l’ensemble de ces mesures.
“Le cadre réglementaire a lui aussi fortement évolué récemment, avec la mise en place de nouveaux textes comme la DDA le RGPD ou encore le décret du 23 février dernier qui instaure une obligation de quinze heures de formation.”
Lionel Bouquet, Novélia.
Mais cette décision ne sonne pas pour autant la fin de la réforme, d’après Bertrand de Surmont. “Le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif sur la forme, et non sur le fond. Cela a pour conséquence directe de décaler le calendrier de mise en oeuvre, au plus tôt au 1er janvier 2021”, estime-t-il. Car pour avancer, Bercy doit désormais trouver un nouveau véhicule législatif, alors que le calendrier parlementaire s’annonce déjà chargé d’ici la fin de l’année 2019. “Nous poursuivons toutefois les discussions avec le Trésor, qui reste déterminé à voir le sujet traité. Notre vigilance reste totale sur le détail des missions de service public qui seraient confiées aux associations professionnelles”, ajoute Bertrand de Surmont, pour lequel l’intérêt d’un tel projet ne fait aucun doute. “L’autorégulation constitue un moyen efficace d’engager les courtiers vers la modernisation et la professionnalisation de leurs activités. Toutes les dispositions qui favorisent la professionnalisation et l’accompagnement des courtiers de proximité et des mandataires d’intermédiaire en assurances, et qui sont gérables sans intrusion dans les cabinets, vont dans le bon sens.”
De son côté, Philippe Feuille, de la compagnie des CGP-CIF, rappelle que ce projet a déjà demandé une forte mobilisation, tant de la part des associations professionnelles que des autorités de tutelle, le tout dans d’un laps de temps très court. “Nous sommes donc aujourd’hui dans une période d’attente quant au nouveau véhicule législatif que Bercy doit trouver, aux délais et aux modifications possibles par rapport à des éléments qui étaient quasiment finalisés.” Sans contester, lui non plus, la pertinence de la réforme suspendue : “Ce projet nous semble plus que jamais d’actualité, que soit pour la défense de l’épargnant ou le développement d’expertise des cabinets de courtage”.
“L’autorégulation constitue un moyen efficace d’engager les courtiers vers la modernisation et la professionnalisation
de leurs activités.” Bertrand de Surmont, CSCA.