‘My taylor is digital’
Les nouvelles technologies ont massivement investi la formation en langues étrangères, mais l’interaction humaine reste (pour l’instant) indispensable à l’apprentissage
Dans un monde où les salariés sont désormais amenés à se perfectionner tout au long de leur vie professionnelle, les formations en langues demeurent le champ n°1 dans lequel les salariés souhaitent s’améliorer. Pionnier du digital learning, le marché de la formation linguistique utilise déjà les nouveaux outils numériques (applications mobiles, chatbots, IA), qui transforment les modes d’apprentissage, sans pour autant que cette révolution n’ait encore éliminé complètement le contact humain et les voyages d’immersion au sein d’un pays étranger.
Outils de vidéoconférence, mais aussi chatbots, applications mobiles, tests adaptatifs utilisant de l’IA, ou reconnaissance vocale… Les salles de classe ont ouvert leur porte à de nouveaux outils digitaux, y compris au sein des programmes de formation continue. Et le domaine des langues n’est pas en reste puisqu’il a su très tôt intégrer les nouvelles technologies, à commencer par Internet. “En désinhibant les élèves par rapport à la pratique de la langue, les nouvelles technologies présentent plusieurs avantages car elles permettent d’avoir accès à des contenus 24h/24 et 7j/7, tandis que le statut des professeurs a également évolué, avec un essor du statut de travailleur autonome”, constate
Laurence Carl directeur régional Europe chez le concepteur du test TOEIC, ETS Global.
Mais plus que l’arrivée de ces nouveaux outils, c’est la manière de dispenser les formations qui est elle aussi en pleine mutation. Avec des contenus et des formats qui s’adaptent désormais aux différents moyens de communication, il est devenu possible de se former à la fois à travers des vidéos, des QCM interactifs et jeux de rôles, voire parfois même des jeux ou serious games, accessibles depuis un ordinateur, une tablette ou encore un smartphone. “Les attentes ont changé, avec une recherche d’efficacité et de coconstruction avec les apprenants et une notion d’accessibilité pour tous les publics”, explique Sana Ronda, présidente de la commission langues de la FFP (Fédération de la formation professionnelle) et de la société de formation Linguaphone. Et ces évolutions sont loin d’être terminées : Mathieu Zamanian, directeur général d’EF Corporate Solutions, songe aux nouvelles pistes ouvertes par la réalité virtuelle. “Il existe déjà des logiciels où l’on a l’impression de marcher dans les rues de New York. L’idée pourrait être de développer une solution associée à un chatbot qui permette de se balader et de simuler l’achat d’un café, directement sur son smartphone.” EF Corporate Solutions serait d’ailleurs en train de finaliser l’acquisition d’un acteur spécialisé dans ces outils de conversation artificiels pour travailler à ce type de solutions. Autre piste envisagée ? “Les robots pourraient reconnaître plus rapidement le niveau d’un élève lors d’une série de QCM, ou permettre de développer des programmes de training spécifiques à certains secteurs comme l’aéronautique, où les pilotes ont besoin d’être opérationnels le plus rapidement possible”, entrevoit-il. Pour Kathleen Dessi, responsables des relations publiques chez Babbel, “il existe encore beaucoup de choses à faire”. Car si la reconnaissance vocale est déjà utilisée par un certain nombre d’acteurs, “nous ne sommes pas encore au stade d’un vrai dialogue, mais l’évolution ira vers plus d’interactions avec la machine au
“L’idée pourrait être de développer une solution associée à un chatbot qui permette de se balader [dans les rues de New York] et de simuler l’achat d’un café, directement sur son smartphone.” Mathieu Zamanian, EF Corporate Solutions.
Avec des contenus et des formats qui s’adaptent aux moyens de communication, il est devenu possible de se former à la fois à travers des vidéos, des QCM interactifs et jeux de rôles, voire même des jeux
fur et à mesure de l’intégration de l’IA”, admet-elle.
Une pédagogie multisupports
Mais le digital est encore loin d’avoir entièrement damé le pion aux autres formats d’apprentissage. “Nous continuons de recevoir des demandes pour des formations associant un accompagnement humain”, affirme Sana Ronda. Et pour cause : si le 100 % numérique peut permettre aux entreprises de mieux rentabiliser les coûts en matière de formation, les élèves eux-mêmes souhaitent souvent avoir en même temps accès à un accompagnement personnalisé. “Certains publics, comme les jeunes, aiment passer leurs tests de TOIEC [Test of English for International Communication, ndlr] sur des plateformes multimodales, tout en combinant plusieurs sources et modalités d’apprentissage”, observe Laurence Carlinet, chez ETS Global. Ainsi, en plus des sites Internet et applications mobiles, on retrouve encore sur la table des apprenants des manuels scolaires, ainsi que des cours en présentiel ou par téléphone. “Notre partenaire Hachette, qui édite le contenu pour la préparation des tests au TOIEC, constate que beaucoup de jeunes ont tendance à se rassurer en achetant un ouvrage papier comme support”, atteste Laurence Carlinet. “Si les gens continuent d’acheter des formations linguistiques face aux acteurs du gratuit, c’est parce que la valeur d’une formation se trouve dans l’accompagnement et la structuration de l’apprentissage”, estime Sana Ronda, à la FFP.
Le géant de la formation EF a lui aussi misé sur ce postulat pour concevoir sa propre école en ligne, qu’il se refuse d’assimiler à une simple école de “e-learning”. “Nous pensons que la meilleure méthode pour apprendre une langue est l’immersion, et le fait d’avoir des interactions, de préférence émotionnelles et humaines. C’est pourquoi nous avons mis en place une école en ligne avec 27 000 professeurs à travers le monde, afin qu’ils demeurent au centre de l’apprentissage”, affirme Mathieu Zamanian. Allier la technologie et la présence humaine est donc le nouvel objectif des acteurs du marché de la formation. Alors que plusieurs jeunes pousses ont déjà lancé leur propre application mobile, les acteurs plus traditionnels ont emboîté le pas en travaillant à lancer eux aussi leurs propres contenus sur smartphone, pour capter une clientèle de plus en plus connectée. “Nous allons bientôt sortir une application mobile pour le TOIEC en partenariat avec un partenaire”, confie par exemple Laurence Carlinet.
Pas de formule miracle
Si la part du digital pourrait continuer de grandir, ces outils ne relèvent pas pour autant d’une formule miracle. “On ne peut pas prendre 300 points de plus au TOIEC en l’espace de deux mois… Il est toujours nécessaire d’avoir un certain temps d’exposition à une langue pour se perfectionner”, nuance Laurence Carlinet. Un point que confirme Sana Ronda, à la FFP : “on a toujours besoin du même temps pour apprendre, mais la différence est que le temps passé avec le formateur diminue, puisque les parcours de 40 à 50 heures peuvent comprendre une part significative de travail individuel”.
Dès lors, on pourrait également se demander si ces nouvelles technologies ne sont pas amenées à grignoter une part d’un autre marché voisin : celui des voyages linguistiques. Même si ce n’est pas l’avis des acteurs du marché. “Une langue est vivante car elle se pratique en interaction avec d’autres personnes. Les outils permettent surtout de se sentir mieux préparé au moment de partir à l’étranger”, estime Laurence Carlinet. Pour Sana Ronda, c’est surtout le resserrement des budgets liés à la formation en entreprise qui pourrait avoir un effet direct sur ce secteur, “étant donné que les voyages coûtent souvent plus cher qu’une formation. Mais ceux-ci restent très efficaces car ils constituent souvent l’une des seules occasions d’appréhender la culture d’un pays”. Mathieu Zamanian l’atteste également : “rien ne vaut une discussion dans un caféf en pplein New York”.
À tel point que Babbel songerait même à lancer, d’ici l’an prochain, sa propre plateforme de mise en relation dédiée aux séjours linguistiques, grâce à l’acquisition récente d’une start-up spécialisée dans ce segment. “Il s’agirait de proposer un service complémentaire au nôtre, en offrant un site qui simplifierait les démarches des gens pour trouver une école, un logement, etc. Cela permettrait d’ouvrir ce marché aux millions d’utilisateurs que compte notre application”, révèle Kathleen Dessi, chez Babbel. Avec un objectif : proposer des séjours dans les 14 langues desservies par l’application, en couvrant près d’une trentaine de pays.
“Face au robot, nous ne sommes pas encore au stade d’un vrai dialogue, mais l’évolution ira vers plus d’interactions avec la machine au fur et à mesure de
l’intégration de l’IA.” Kathleen Dessi, Babbel.
Alors que plusieurs jeunes pousses ont déjà lancé leur propre application mobile, les acteurs du marché de la formation emboîtent le pas en songeant désormais à développer des contenus sur mobile
On pourrait également se demander si ces nouvelles technologies ne sont pas amenées à grignoter une part d’un autre marché voisin : celui des voyages linguistiques “on a toujours besoin du même temps pour apprendre, mais la différence est que le temps passé avec le formateur
diminue.”
Sana Ronda, FFP et Linguaphone.