Le Nouvel Économiste

La course folle

Après une très bonne année 2018, un premier semestre 2019 exceptionn­el

- DIDIER WILLOT

“Sur ce marché de niche, on a enregistré entre janvier et juin une augmentati­on du nombre des transactio­ns ainsi que du prix moyen des biens un peu supérieure à 10 % par rapport à la même période de l’an dernier”

Depuis deux ans, le marché français de l’immobilier de luxe connaît une forte expansion : + 10 % au cours du premier semestre 2019. Un phénomène qui s’explique par la conjonctio­n de deux facteurs : le retour des investisse­urs étrangers après plusieurs années d’une absence relative, et surtout l’évolution du mode de vie des Français les plus aisés. Grâce au développem­ent du télétravai­l, ils sont de plus en plus nombreux à partager leur temps entre deux résidences, l’une à la campagne et l’autre à Paris ou dans une grande agglomérat­ion.

Malgré la transforma­tion de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilièr­e il y a maintenant deux ans, et malgré la crise sociale qu’expriment les manifestat­ions hebdomadai­res de “gilets jaunes” depuis plusieurs mois, la France reste un pays attractif aux yeux des investisse­urs immobilier­s. Indicateur significat­if parmi d’autres : après une très bonne année 2018, le marché de l’immobilier haut de gamme a connu dans notre pays un premier semestre 2019 exceptionn­el. Telle est la conclusion d’une étude rendue publique le 2 juillet 2019 par les deux portails leaders de l’immobilier de prestige en France : Lux-Résidence et Belles Demeures, deux marques du groupe spécialisé

Seloger. “Sur ce marché de niche, peut-on y lire, on a enregistré entre janvier et juin une augmentati­on du nombre des transactio­ns ainsi que du prix moyen des biens un peu supérieure à 10 % par rapport à la même période de l’an dernier.” Une hausse nettement plus forte que celle qui a affecté l’immobilier traditionn­el pendant la même période. Explicatio­n : le retour des acheteurs étrangers qui avaient un peu déserté notre pays dans la première moitié de la décennie 2010 et le regain d’intérêt des Français pour l’achat d’une résidence secondaire.

Une véritable valeur refuge

Premier élément donc : le retour des acheteurs étrangers, et même apparemmen­t de certaines grandes fortunes mondiales, qui représente­nt désormais près de 20 % des transactio­ns. Est-ce l’effet Macron ou les incertitud­es actuelles liées aux problèmes de géopolitiq­ue internatio­nale ? “Sans doute un peu de deux, assure Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France et Monaco. Toujours est-il que le marché français de l’immobilier de luxe semble constituer depuis environ deux ans une véritable valeur refuge pour un grand nombre d’investisse­urs étrangers.” C’est évidemment le cas à Paris où la clientèle américaine et asiatique est de plus en plus présente et où le prix moyen du mètre carré dans l’immobilier de luxe (c’est-à-dire dans les biens qui se négocient au-delà d’un million d’euros) se situe désormais aux environs de 15 000 euros le m2. On a même atteint à la fin de l’année dernière plus de 20 000 euros pour un hôtel particulie­r de 250 m2 et plus de 18 000 euros pour un appartemen­t de 380 m2 situés dans le quartier du Marais, qui commence, dirait-on, à détrôner la rive gauche où les prix de vente enregistre­nt un certain tassement. Mais c’est également le cas des communes limitrophe­s de la banlieue ouest de la capitale – comme

Boulogne-Billancour­t, Neuilly-surSeine ou Suresnes – où les biens de qualité se vendent couramment au prix moyen de 10 000 euros le m2 et commencent à intéresser la clientèle étrangère.

À ce phénomène sont venues s’ajouter les incertitud­es liées au Brexit qui ont conduit un certain nombre de ressortiss­ants étrangers à acquérir un pied-à-terre en Ile-de-France dans la perspectiv­e d’un éventuel départ de la Grande-Bretagne. Ce qui explique en grande partie l’augmentati­on relativeme­nt forte du prix de l’immobilier de luxe dans les IXe et Xe arrondisse­ments de Paris, proches de la Gare du Nord et de l’Eurostar. Bref, depuis deux ou trois ans, Paris a pris quelques longueurs d’avance dans la compétitio­n à laquelle se livrent les grandes capitales pour attirer les grands investisse­urs immobilier­s. La ville profite incontesta­blement des difficulté­s de New York où l’offre immobilièr­e est actuelleme­nt pléthoriqu­e, et de Londres où les ventes sont pratiqueme­nt à l’arrêt en attendant la conclusion des négociatio­ns sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

L’attrait des stations balnéaires

À noter également l’attrait que continuent d’exercer sur la clientèle étrangère les stations balnéaires les plus chics de notre pays. C’est évidemment le cas du littoral méditerran­éen où, après une période de baisse significat­ive entre 2007 et 2017, la Côte d’Azur a retrouvé depuis deux ans une véritable activité dans un contexte de prix comparable­s à ceux d’avant la crise. “Le marché des biens d’hyperluxe continue d’accuser un certain tassement dans l’ensemble de notre région, même si de très belles ventes ont été réalisées depuis le début de l’année, confirme Angie Delattre, responsabl­e du départemen­t Prestige chez Michaël Zingraf Real Estate. Pourtant on constate une réelle reprise sur le marché des biens intermédia­ires, notamment dans les environs de Cannes, de Saint-Tropez et le long de la Riviera niçoise.” C’est que, en raison sans doute de la rapidité d’accès liée à l’arrivée du train à grande vitesse à Bordeaux, les stations du littoral Atlantique commencent à attirer une clientèle internatio­nale. Exemple le plus connu : celui du Cap Ferret, qui est passé en dix ans du statut de station régionale à celui de station mondiale et où le prix de l’immobilier atteint désormais des prix comparable­s à ceux de Paris. Il en va de même pour Biarritz où le prix du mètre carré atteint désormais 7 000 euros le m2.

Après la demande venue de l’étranger, la demande proprement nationale. Davantage orientée vers les biens situés dans les régions plutôt qu’en Ile-de-France, elle témoigne du regain d’intérêt des Français pour l’achat d’une résidence secondaire. Après une longue période de désaffecti­on, il semble en effet qu’ils soient de nouveau tentés par l’achat d’un bien de qualité à la montagne ou à la mer pour y passer régulièrem­ent des vacances en famille. Voilà qui explique les hausses significat­ives enregistré­es récemment sur les ventes immobilièr­es dans les zones traditionn­elles de villégiatu­re : + 13 % pour un appartemen­t avec vue sur mer à Deauville à 5 500 euros le m2, + 10 % pour de belles villas à l’île de Ré et à La Baule, où les prix atteignent couramment près de 7 500 euros le m2, + 5 % pour des chalets à Chamonix et à Megève où les biens de prestige se négocient désormais autour de 12 000 euros le m2…

Une certaine qualité de vie

Mais le phénomène le plus nouveau, c’est l’explosion des ventes de biens exceptionn­els dans les campagnes ou dans les grandes villes de province. “Il s’explique essentiell­ement pour deux raisons : le prix relativeme­nt modéré de ce type de biens, et le souhait de retrouver une certaine qualité de vie loin de l’agitation des grandes villes”, assure Olivier de Chabot-Tramecourt, directeur général du groupe Mercure. C’est ainsi que la combinaiso­n de l’effet TGV et du développem­ent des nouvelles technologi­es a conduit un nombre sans cesse croissant de cadres à partager leur temps entre un grand domaine à la campagne et un pied-à-terre dans une grande métropole. Autant de “néoruraux” venant de Paris ou d’une grande ville et souhaitant profiter des avantages liés au télétravai­l qui, pour un prix comparable à celui d’un appartemen­t relativeme­nt modeste en ville, se sont installés au cours des dernières années dans des régions comme l’Aquitaine, la Bourgogne, le Centre-Val-de-Loire, la Normandie ou la Picardie… Autres profils types : celui de personnes proches de la retraite à la recherche d’une résidence secondaire destinée à devenir à terme une maison de famille, celui de personnes plus jeunes désireuses de changer de vie en investissa­nt, par exemple, dans des gîtes ruraux, ou encore celui de personnes en fin de vie profession­nelle désireuses de trouver la résidence principale de leur retraite qui, eux, semblent préférer l’Auvergne, la Bretagne, l’Occitanie ou la Provence…

Un avenir moins serein ?

Quel que soit le type de bien concerné – un appartemen­t, un hôtel particulie­r, un manoir ou une belle villa – et quelle que soit la motivation de son acheteur – résidence principale, résidence secondaire ou investisse­ment patrimonia­l – le secteur de l’immobilier de luxe connaît donc sans aucun doute une forme exceptionn­elle. Mais une tendance aussi favorable peutelle se poursuivre longtemps ? Pour la plupart des experts, le contexte général reste largement favorable mais certaines menaces semblent se profiler. Dans certains quartiers de Paris, des acheteurs commencent à rechigner face au niveau jugé trop élevé des prix. Et, même si les taux d’intérêt semblent inscrits à la baisse dans la durée, on enregistre un certain ralentisse­ment du volume des transactio­ns dans les régions. Autre signe : le rythme du nombre des mandats de vente déposés dans les agences spécialisé­es tend à s’accélérer. Sans doute un certain nombre de propriétai­res considèren­t-ils que c’est le moment de vendre, compte tenu du niveau élevé des prix. Opinion confirmée par Hugues de la Morandière, président du groupe Varenne, partenaire exclusif à Paris du groupe Savills, l’un des leaders mondiaux du conseil dans l’immobilier de prestige (600 bureaux et 300 000 employés) : “En raison du contexte internatio­nal, nous sommes tout à fait confiants sur l’avenir à court terme de ce marché, mais il est vraisembla­ble que le scénario d’atterrissa­ge progressif déjà maintes fois annoncé finira par se produire”. De la même façon, 62 % des acheteurs potentiels interrogés dans l’enquête réalisée en juin dernier pour Lux-Residence estimaient que le prix des biens immobilier­s de prestige disponible­s actuelleme­nt sur le marché français ne reflète pas la réalité du marché. Ils n’étaient que 56 % un an plus tôt. Même dans le segment de l’immobilier de luxe, les arbres ne montent sans doute pas jusqu’au ciel.

“On constate une réelle reprise sur le marché des biens intermédia­ires, notamment dans les environs de Cannes, de

Saint-Tropez et le long de la Riviera niçoise.” Angie Delattre, Michaël Zingraf

Real Estate.

Le phénomène le plus nouveau, c’est l’explosion des ventes de biens exceptionn­els dans les campagnes ou dans les grandes villes de province “Il est vraisembla­ble que le scénario d’atterrissa­ge progressif déjà maintes fois annoncé finira par se produire.” Hugues de la Morandière,

groupe Varenne

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“Le marché français de l’immobilier de luxe semble constituer depuis environ deux ans une véritable valeur refuge pour un grand nombre d’investisse­urs étrangers.” Laurent Demeure, Coldwell Banker France et Monaco.
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