Le Nouvel Économiste

Pour une démocratie délibérati­ve

Plus de débats contradict­oires, voilà ce dont la politique a besoin

- COMITÉ ÉDITORIAL, FT

Une vérité pénible pour ceux qui défendent la démocratie libérale contre ses détracteur­s: c’estquand on en a le moins besoin qu’elle fonctionne le mieux. Plus les sociétés deviennent conflictue­lles, plus le besoin d’un consensus démocratiq­ue se fait sentir. Les institutio­ns n’ont jamais été soumises à une telle pression, sauf durant les crises historique­s.

Les événements perturbate­urs tels que le référendum du Brexit en Grande-Bretagne, les crises migratoire­s dans de nombreux pays, et les conséquenc­es de la mondialisa­tion à peu près partout, ont dressé les camps les uns contre les autres, avec une telle violence que la confiance et l’empathie dont une démocratie a besoin sont en danger. L’épidémie de fausses informatio­ns, la connivence de certains politiques avec l’idée fallacieus­e que les faits sont moins importants que leur perception ou l’appartenan­ce à un parti, empirent encore les choses. Dans de telles conditions, un référendum peut devenir toxique.

Quand les opinions contraires paralysent les règles démocratiq­ues, trop d’électeurs se tournent alors vers des hommes forts qui n’ont que faire de tels principes, à part décorer d’un vague vernis leur marche vers le pouvoir. Mais la démocratie n’est pas impuissant­e. Les institutio­ns aux prises avec la polarisati­on doivent innover. Pour rester fidèle à leur idéal démocratiq­ue, elles devraient s’exercer à la pratique du désaccord raisonné. Et jamais se livrer à l’obligation de se taire.

Il y a lieu de rendre la démocratie plus délibérati­ve, non seulement au sein de la classe politique, mais parmi les citoyens en général. [Dans la démocratie délibérati­ve, d’inspiratio­n anglo-saxonne, c’est le débat entre citoyens d’opinions différente­s tout au long du processus de décision qui compte, ndt]. Durant la course pour la direction du parti conservate­ur britanniqu­e, le candidat Rory Stewart avait proposé des assemblées de citoyens – composées de représenta­nts de l’électorat en général – pour décider de la bonne applicatio­n du Brexit. Dominic Raab s’est moqué de lui et les a comparées de façon absurde à la législatur­e fantoche mise en place par le président vénézuélie­n Nicolás Maduro pour justifier son maintien au pouvoir après la fin de son mandat. M. Raab avait tort et M. Stewart avait raison. L’idée que la démocratie va plus loin que le seul vote a un pedigree illustre. Au coeur du postulat de la démocratie délibérati­ve – qui fait l’objet d’un programme de recherche universita­ire respectabl­e, et est aussi un mouvement politique réformiste – il y a l’idée que les citoyens d’une démocratie remplissen­t mieux le rôle de source ultime de légitimité quand ils sont informés et expriment leur opinion en présence de leurs pairs. Le débat entre personnes de même opinion pousse, on le sait, vers des opinions plus extrêmes. Les débats argumentés avec ceux qui ne partagent pas nos opinions ont un effet bien plus salutaire.

La preuve en est faite par les “sondages délibérati­fs”. Ces sondages ressemblen­t aux sondages classiques, avec constituti­on d’un échantillo­n aléatoire et représenta­tif de la population. Contrairem­ent aux sondages classiques, la méthode délibérati­ve rassemble physiqueme­nt les personnes interrogée­s pour des sessions de discussion­s sur les questions posées, avec des experts qui les informent des faits.

Il se trouve que débattre de questions politiques complexes et sujettes aux controvers­es avec un autre citoyen d’opinion différente est une expérience qui transforme, capable de faire bouger les opinions vers plus d’ouverture et de tolérance. L’Irlande et ses débats ouverts et délibérati­fs avant les référendum­s sur le mariage pour tous et l’avortement ont été impression­nants. Ils ont élevé le niveau du débat et permis de réconcilie­r les minorités avec le choix de la majorité.

Au Royaume-Uni, l’assemblée citoyenne décidée par le parlement au sujet des services sociaux, à laquelle chaque participan­t a consacré 28 heures, a été à peu près totalement ignorée. Un pays qui se targue d’allier le meilleur des traditions démocratiq­ues et une mentalité tournée vers le futur peut mieux faire. La Grande-Bretagne et bien d’autres démocratie­s devraient accueillir à bras ouverts les assemblées de citoyens.

Débattre de questions politiques complexes et sujettes aux controvers­es avec un autre citoyen d’opinion différente est une expérience qui transforme, capable de faire bouger les opinions vers plus d’ouverture et de tolérance

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