Le Nouvel Économiste

IL N’Y A PAS DE RECETTE MIRACLE

Il n’y a pas de recette miracle pour bien manager, point.

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Les librairies dans les aéroports croulent sous le poids des guides qui promettent d’enseigner aux managers les secrets de la réussite. Lisez ce livre, suivez cette philosophi­e, changez vos habitudes et vous aussi deviendrez

Monter une entreprise, c’est un peu comme courir un marathon, et peu de sportifs remportent une course sur longue distance en démarrant comme Usain Bolt

un cador du management. Un instant de réflexion sur l’histoire des affaires et du commerce suffit pour comprendre qu’il n’y a pas de route toute tracée vers la gloire. Diriger une entreprise, c’est jongler en permanence avec les compromis. La bonne décision varie selon les moments et selon les secteurs.

Parlons par exemple du rythme de croissance. La mode est à l’“upscaling” : créer un business model qui domine sa niche de marché en quelques années. La version turbo de cette stratégie est le “blitzscali­ng”, adorée des capital-risqueurs qui rêvent de recréer “l’effet de réseau” qui a propulsé Google et Facebook au sommet. C’est parce que la plupart des investisse­ments en capital-risque échouent, et qu’il faut bien glorifier quelques succès pour faire oublier tous les échecs.

Du point de vue de l’entreprene­ur, l’“upscaling” pourrait bien être une erreur. Pour commencer, tous les secteurs ne réagissent pas à l’“effet de réseau”. Deuxièmeme­nt, les entreprise­s risquent de perdre le contrôle sur la qualité de leur produit et de semer le chaos dans leur management. Monter une entreprise, c’est un peu comme courir un marathon, et peu de sportifs remportent une course sur longue distance en démarrant comme Usain Bolt. Le premier supermarch­é Walmart a ouvert ses portes en 1962. Il a fallu six ans avant que la chaîne s’aventure au-delà des frontières de son État natal de l’Arkansas.

La mode de l’upscaling pousse les entreprise­s à mettre leur produit ou service sur le marché le plus rapidement possible. En théorie, les clients découvriro­nt un prototype mal dégrossi, mais qui s’améliorera avec le temps. C’est peut-être valable pour des applicatio­ns pour smartphone­s, faciles à modifier, mais faux pour la plupart des produits. Une réputation de mauvaise qualité est presque impossible à effacer.

Dans son livre sur les fraudes financière­s, ‘Lying for Money’, Dan Davies, ancien régulateur de la finance, résume le dilemme des entreprise­s : elles doivent équilibrer les coûts, la qualité et la satisfacti­on des clients. Concentrez-vous sur la qualité, et vos coûts augmentero­nt. Ne pensez qu’aux coûts, et la qualité souffrira. Essayez de préserver les deux et cette obsession vous conduira à négliger les besoins du consommate­ur.

Un autre équilibre difficile à trouver est le choix entre centralisa­tion et délégation. Toutes les affaires à l’époque victorienn­e ressemblai­ent à l’armée : des généraux (les dirigeants) donnant des ordres à des officiers (contremaît­res et superviseu­rs) qui les répercutai­ent sur les soldats (les employés). Une structure hiérarchiq­ue voulue pour un monde dans lequel les employés exécutaien­t une série claire d’instructio­ns. Au XXe siècle, les entreprise­s sont devenues plus sophistiqu­ées. Elles se sont divisées en zones géographiq­ues et familles de produits. Le management intermédia­ire a pris en charge des fonctions comme le marketing et la finance. Mais cette organisati­on a fini par être considérée comme coûteuse et trop bureaucrat­ique. Ces vingt dernières années, des strates de management ont été arrachées. Une structure plate, avec délégation des décisions, semblait plus adaptée à une économie de services. Le management “agile”, qui permet de permuter fréquemmen­t les travailleu­rs dans des équipes pluridisci­plinaires, fait rage actuelleme­nt.

Cette mode va certaineme­nt aller trop loin. Quand le pouvoir est dispersé, le résultat peut en être un grand désordre. Certaines sociétés finiront par conclure qu’elles se porteraien­t mieux sous un commandeme­nt central.

Le dernier choix est entre la spécialisa­tion et la diversific­ation. L’an dernier, General Motors a été expulsé de l’indice industriel du Dow Jones : un autre clou dans le cercueil du congloméra­t industriel. Les investisse­urs institutio­nnels peuvent diversifie­r leur portefeuil­le en investissa­nt dans différents secteurs. Ils n’ont pas besoin qu’un congloméra­t le fasse pour eux. Mais les géants de la tech, ultra-riches en cash, rachètent pourtant des start-up prometteus­es qui n’ont souvent aucun lien visible avec leur coeur d’activité (comme l’achat par Google de Nest, qui fabrique des thermostat­s).

À un moment donné, les perspectiv­es de croissance s’effondrent, même celles des meilleurs produits. Pour qu’une entreprise survive, elle doit trouver de nouveaux produits ou de nouveaux services à vendre. Décider du bon moment pour l’expansion et la diversific­ation, choisir la bonne structure organisati­onnelle, est une affaire de jugement. Cette capacité de jugement, et la flexibilit­é qui rend capable de changer de feuille de route, c’est ce qui fait un bon manager. Impossible de réduire cette formule à la lecture d’un manuel dans un avion.

Ce jugement, et la flexibilit­é qui rend capable de changer de feuille de route, c’est ce qui fait un bon manager. Impossible de réduire cette formule à la lecture d’un manuel dans un avion.

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