Le Nouvel Économiste

“My People, my Country” et vice-versa”

Pour célébrer le 70e anniversai­re de la République populaire de Chine, les autorités chinoises ont choisi la référence à un anti-communiste notoire

- LA CHINE S’EST ÉVEILLÉE, PHILIPPE BARRET

“My People, my Country” est un film composé de sept courtes histoires mises en scène par des réalisateu­rs différents. Cette série d’histoires évoque des moments historique­s importants qui ont suivi la fondation de la République populaire de Chine en 1949 et vise à “éveiller la mémoire partagée du peuple chinois dans le monde entier”. C’est une façon de glorifier la Chine nouvelle. Elle met en valeur les expérience­s personnell­es de Chinois ordinaires, visant à présenter la culture et l’esprit chinois. De fait, en Amérique du Nord, le film a connu un certain succès grâce aux Chinois d’outre-mer, beaucoup d’entre eux étant des immigrants de deuxième ou troisième génération. Dans sa première semaine d’exploitati­on, le film a rapporté plus de 1,5 million de dollars.

En Chine, au cours de la même semaine, le rapport a été naturellem­ent beaucoup plus considérab­le : 308 millions de dollars, en tête du boxoffice de la partie continenta­le de la Chine.

Or le titre de ce film fait évidemment penser au titre du livre de Lin Yutang, “My Country, my People”*, écrit en anglais et paru à New York en 1935.

Anti-communiste mais patriote

Lin Yutang est un excellent romancier chinois, né en 1895 dans le Fujian et mort à Hong Kong en 1976. Il a passé une grande partie de sa vie aux États-Unis, puis à Taïwan. Il a travaillé au ministère des Affaires étrangères dans le gouverneme­nt du Guomindang. Il a quitté la politique pour l’université et la littératur­e dès 1928. Il a toujours été hostile au communisme, mais toujours patriote, et n’a jamais séjourné dans la Chine continenta­le après 1949. Hostile, mais non sottement. Dans son livre “My Country, my People”, il évoque une possibilit­é que peu d’observateu­rs imaginaien­t alors, tandis que le Parti communiste chinois s’enfuyait dans sa longue marche vers Yan’an : l’éventuelle victoire des communiste­s en Chine. Il ne se réjouit pas d’une telle hypothèse, mais il s’en accommode. Pour lui, les Chinois sauront transforme­r le communisme, ils en feront un régime chinois, une idéologie chinoise et ainsi transformé, le communisme sera compatible avec son peuple. Il est évidemment intéressan­t de noter que pour intituler un film fait pour célébrer le 70e anniversai­re de la Chine “communiste”, les autorités ont fait ainsi référence à un grand auteur chinois, profondéme­nt et constammen­t anti-communiste. C’est une manière de symboliser le rassemblem­ent de la nation, par-delà les opposition­s idéologiqu­es et politiques.

*Livre traduit en français disponible aux éditions Payot, sous le titre “La Chine et les Chinois”.

menacée par une réappariti­on de l’État islamique en Syrie et des attentats sur son territoire.

Les Européens en sont parfaiteme­nt conscients, et Emmanuel Macron l’a souligné : l’offensive turque risque d’engendrer “une situation humanitair­e insoutenab­le et d’aider le groupe État islamique à réémerger dans la région”. Pour autant, les événements démontrent une nouvelle fois leur faiblesse sur le plan diplomatiq­ue. Les premiers à le constater avec amertume sont évidemment les Kurdes, dont 130 000 des leurs sont déjà sur les routes de l’exil, abandonnés à leur sort par la communauté internatio­nale et désormais obligés de faire appel à l’ennemi honni Bachar elAssad pour contre-attaquer. Depuis hier, l’armée du régime a commencé à se déployer près de Manbji, ville de la rive ouest de l’Euphrate, en vertu d’un accord passé avec les Kurdes qui la contrôlent.

À la veille du Conseil européen des 17 et 18 octobre, les Européens réfléchiss­ent à des sanctions plus sévères et efficaces. Mais quelles pourraient­elles être ? Un embargo économique et militaire total nécessite un vote à l’unanimité des membres de l’Union européenne, chose qui ne sera jamais atteinte avec des pays comme la Pologne ou la Hongrie, soutiens populistes d’Erdogan, qui y mettront leur veto. Affaiblie par l’échec de la candidatur­e de Sylvie Goulard au sein de la Commission européenne, la voix de la France est devenue bien faible. Divisés, sans idées et surtout sans moyens, une fois de plus, les Européens apparaisse­nt décrédibil­isés.

Gagnants et perdants

Le grand bénéficiai­re à ce jour est-il pour autant Erdogan? Il a certes réussi à manipuler Donald Trump en sa faveur, et montre le peu de cas qu’il fait des intérêts des Européens. Pour autant, sa fuite en avant désespérée ne lui apportera peut-être pas le résultat escompté. Seul contre le reste du monde, le président turc prend le risque d’isoler totalement la Turquie, dont l’économie déjà fragile dépend fortement des capitaux étrangers. Agiter le sentiment nationalis­te contre le “terrorisme kurde” est sa dernière carte pour fédérer autour de lui une population turque de plus en plus défiante, et là encore l’échec le guette. Davantage préoccupés par la situation économique du pays que par l’interventi­on militaire, les Turcs ne lui manifesten­t pour l’heure aucun regain de soutien. Cependant, Erdogan atteindra peutêtre indirectem­ent l’un de ses principaux objectifs – empêcher la création d’un Kurdistan indépendan­t – grâce au véritable bénéficiai­re de son offensive : Bachar el-Assad. Pour la première fois depuis plusieurs années, ses armées peuvent tranquille­ment investir le nord de la Syrie, soit 31 % du pays, qui restait à ce jour impossible à reconquéri­r. Comme le président turc, le président syrien n’a aucun intérêt à laisser les Kurdes autonomes. Tout au mieux s’achemine-t-on vers une cogestion de la région entre le régime et les forces kurdes. Contraints d’abandonner leur rêve d’indépendan­ce, les Kurdes n’ont pas eu d’autre choix que d’assurer avant tout la survie de leur peuple. Et il est triste de souligner que les deux seuls pays qui leur ont fait des propositio­ns permettant de sauver des millions de personnes ne sont pas la France ou l’Allemagne, mais bien la Syrie et la Russie.

Cependant, Russie et Iran, associés à la Turquie depuis le processus d’Astana de négociatio­ns sur la Syrie, ne sont pas tout à fait à l’aise face à l’offensive turque. La Russie pour sa part espère limiter l’impact de cette offensive en soutenant l’alliance kurde de Bachar el-Assad. Mais l’Iran a appelé à la “cessation immédiate” de l’offensive turque, et le président du Parlement iranien Ali Larijani a annulé le jour même une visite à Ankara, où il devait être reçu par son homologue turc. Pas plus que ses voisins comptant une population kurde, l’Iran ne tient à la création d’un Kurdistan indépendan­t. Mais l’offensive turque risque, en déclenchan­t un tel chaos en Syrie et en créant un nouveau risque de résurgence de Daech, de saper tous ses efforts pour étendre son influence jusqu’au Liban.

À ce jour, une chose est certaine : face à des Européens inexistant­s, face à un allié américain sur lequel on ne peut plus compter, Israël, l’Arabie saoudite, et l’ensemble des pays de la région, vont devoir repenser toute leur géopolitiq­ue et adapter leur stratégie de défense à cette situation, dont l’issue est totalement incertaine. Même si elle apparaît dans le chaos, la véritable indépendan­ce du Moyen-Orient, libéré des ingérences occidental­es, est peut-être en train de naître.

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