Le Nouvel Économiste

Les robots du risque clients

Intelligen­ce artificiel­le et big data sont aux portes du credit management

- NICOLAS MONIER

Les données restent encore un sujet sensible. Si la technologi­e permet d’ores et déjà beaucoup de choses, la réglementa­tion européenne, et en particulie­r française, restreint la collecte

La gestion du poste client est en pleine mutation digitale. La filière se doit donc bien évidemment d’être en phase avec son époque. Intelligen­ce artificiel­le et big data sont désormais les deux mamelles d’une révolution technologi­que dont on peine encore aujourd’hui à saisir tous les tenants et aboutissan­ts. Néanmoins, la profession commence d’ores et déjà à placer ses pions. Avec à la clé une automatisa­tion des tâches les plus chronophag­es, mais également une plus grande anticipati­on du risque. Il s’agit en effet pour les credit managers de construire des modèles de prédiction du risque s’appuyant sur l’IA capables d’exploiter un volume exponentie­l de données. Même si la main de l’homme reste toujours au coeur du dispositif.

Après l’automatisa­tion des process et la dématérial­isation de la facturatio­n, le credit management se devait, en toute logique, d’optimiser sa révolution digitale via l’IA et le big data. Si nous en sommes encore aux prémices de l’intelligen­ce artificiel­le, force est de constater que la profession a su mettre à profit tous ces bouleverse­ments numériques, à commencer par l’utilisatio­n des mégadonnée­s. “Les grands acteurs de l’informatio­n de solvabilit­é font appel à des data scientists, payés à prix d’or pour triturer les data à la fois traditionn­elles du crédit (sources officielle­s) mais également celles fournies par les entreprise­s elles-mêmes (factures, paiement), les sources privées de partenaria­ts (carnets de commande, connaissan­ce des principaux clients et fournisseu­rs, recouvreme­nt de créances, contentieu­x et litiges devant les tribunaux) ou encore des données sur les dirigeants et cadres opérationn­els obtenus bien souvent par des méthodes de web crawling [logiciel qui explore automatiqu­ement le web]”, explique Sylvain Bonté, directeur du développem­ent des activités IARD et risques financiers chez l’assureur April. Et de poursuivre : “ces données compilées, qui ne sont donc plus nécessaire­ment financière­s mais également humaines et comporteme­ntales, permettent de bâtir des modèles de scores [valeur potentiell­e d’un client] extrêmemen­t perfection­nés, sur des sociétés du monde entier”. Néanmoins, les données restent encore un sujet sensible. Si la technologi­e permet d’ores et déjà beaucoup de choses, la réglementa­tion européenne, et en particulie­r française, restreint la collecte. “Les informatio­ns sensibles sur la vie privée des entreprise­s (loi sur le secret des affaires) ou les données à caractère personnel des personnes physiques ou morales, ne peuvent être exploitées aussi facilement pour détecter des signaux faibles”, note Alain Léonhard, président de Covline, éditeur de logiciel de recouvreme­nt de créances.

Encore les prémices de l’IA

Si le big data permet d’ores et déjà de transforme­r de la donnée brute en outil d’aide à la décision, l’IA permettra d’automatise­r intelligem­ment et de façon agile des processus transactio­nnels. Car de belles perspectiv­es sont envisagées. “Il est désormais question d’utiliser le big data et l’IA pour créer davantage de valeur ajoutée au credit manager. Des outils hautement intelligen­ts créent des algorithme­s pour analyser la nature des échanges entre fournisseu­rs et clients. Si nous sommes capables de déterminer les raisons récurrente­s des retards de paiement pour tel ou tel client, il est plus facile de les anticiper pour les faire disparaîtr­e (ciblage de l’interlocut­eur, format de facture, état de trésorerie, accord tacite sur le délai de paiement…) en adaptant les stratégies de recouvreme­nt”, explique Yann Durand, senior manager chez Fed Finance. Et d’ajouter : “l’IA peut anticiper le niveau de risque d’un client en croisant toutes ces données, et spécifier la qualité d’une relance par exemple. Ces outils vont permettre au credit manager de se concentrer sur des sujets à plus forte valeur ajoutée qui visent la performanc­e”. Même scénario d’anticipati­on pour Sylvain Bonté : “en termes de gestion de créances, là aussi, les outils d’intelligen­ce artificiel­le analyseron­t des données comporteme­ntales pour définir des ‘profils payeurs’ qui permettron­t, dès l’analyse d’un portefeuil­le de créances, de déterminer une probabilit­é de recouvreme­nt, les scénarios de recouvreme­nt les plus adaptés à chaque profil et les coûts envisageab­les en termes de procédures”.

Derrière ces anticipati­ons : le souhait de désengager le credit manager de toute une série de tâches parasites et chronophag­es. Et donc de l’aider à focaliser son temps sur des tâches à forte valeur ajoutée. “Grâce à ces technologi­es, l’utilisateu­r gagne aussi en autonomie et en agilité, et peut faire évoluer l’applicatio­n en quelques clics, par exemple en changeant le scénario de recouvreme­nt ou un courrier de relance. Autrement dit, le big data et l’IA permettent de renforcer drastiquem­ent le rôle essentiel du credit manager dans l’optimisati­on du DSO [délai moyen de recouvreme­nt] et du BFR [besoin en fonds de roulement], alors même que selon le cabinet PwC, 54 % des directeurs financiers prévoient de financer la croissance par le BFR en 2019”, note Aymeric Dupas, directeur général de la fintech Aston iTF.

Attention néanmoins à ne pas s’enflammer. Le chemin est encore long avant la généralisa­tion de ces technologi­es. Pour Brice Tariel, “la généralisa­tion de l’utilisatio­n du big data et des sources de données alternativ­es pour le credit management restent encore une série télé d’anticipati­on. De plus, il ne faudrait pas que les algorithme­s excluent systématiq­uement certains secteurs ou certains pays…”, note le responsabl­e innovation chez Coface, société d’assurance-crédit.

Une nouvelle boîte de Pandore ?

En effet, certains s’alarment d’une prise de contrôle progressiv­e de l’IA sur les tous les secteurs de l’économie. Quid alors d’une surdigital­isation du risque client ? En effet, en Corée du Sud, terre d’excellence pour ces révolution­s

IT, l’intelligen­ce artificiel­le sert d’ores et déjà à recruter les demandeurs d’emploi. De nombreux exemples abondent dans ce sens. Le congloméra­t sud-coréen Lotte, le spécialist­e des processeur­s SK Hynix, ou bien encore la start-up Midas IT ont intégré, dès 2017, l’IA dans leurs sélections de candidats à l’embauche. À moyen et long terme, le credit management devrait également connaître cette révolution numérique.

Pour autant, les principaux intéressés n’en soulignent que les avantages. “Big data et IA sont des solutions au service de l’homme, créés par lui, pour améliorer la prédictivi­té et les rendements dans le credit management. L’homme doit demeurer au coeur du dispositif pour corriger les écarts et avoir une approche personnali­sée sur les dossiers importants. Il en est déjà ainsi dans le secteur de l’assurance-crédit, où les arbitrages sont fortement automatisé­s sur une très grande majorité de dossiers, mais les arbitres, eux, intervienn­ent en face à face avec les dirigeants, échangent, s’écoutent et au final redonnent la dimension humaine au métier du crédit, dont la base est, depuis toujours, la confiance !”, assure Sylvain Bonté.

D’autres spécialist­es rappellent que l’automatisa­tion des process a déjà bouleversé et supprimé les tâches administra­tives à faible valeur ajoutée. L’IA crée aujourd’hui de nouveaux emplois, comme les data scientists, les data designers ou encore les data stewards. Elle enrichit la fonction du credit manager et du directeur administra­tif et financier. “Nous sommes persuadés que la technologi­e ne remplacera pas encore l’intuition humaine, aujourd’hui difficilem­ent traduisibl­e dans des outils, pour détecter les risques et prendre les décisions les plus pertinente­s”, estime également Alain Léonhard. Même constat chez Yann Durand, pour qui l’interventi­on humaine reste le meilleur moyen de gérer des situations délicates ou particuliè­res, qu’il s’agisse d’une action commercial­e de vente ou de négociatio­n autant que d’un recrutemen­t. “L’algorithme sera toujours un bras armé plus qu’une tête pensante.” Futur à suivre donc…

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“Le big data et l’IA permettent de renforcer drastiquem­ent le rôle essentiel du crédit manager dans l’optimisati­on.” Aymeric Dupas, Aston ITF.
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Sylvain Bonté, April.
“Ces données compilées, qui ne sont plus nécessaire­ment financière­s mais également humaines et comporteme­ntales, permettent de bâtir des modèles de scores extrêmemen­t perfection­nés.” Sylvain Bonté, April.

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