Le Nouvel Économiste

La concurrenc­e entre les sports devient acharnée

Le basket-ball peut désormais prétendre être le deuxième sport le plus populaire au monde

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Les premières étapes de la Coupe du monde de rugby cette année sont l’un des débuts les plus chahutés de ses 32 ans d’histoire. Le 28 septembre, dans la chaleur écrasante du stade Shizuoka, le pays organisate­ur, le Japon, a battu l’Irlande pour la première fois de l’histoire. Ce résultat a provoqué des célébratio­ns tonitruant­es dans tout le pays. Les présentate­urs des chaînes de télévision japonaises se sont inclinés devant les images des vainqueurs avant de démarrer le journal télévisé. Le commissair­e de l’Agence nationale des sports a déclaré que son pays venait de réécrire l’histoire du sport...

Les dirigeants sportifs espèrent que des événements aussi exceptionn­els vont attirer un public plus large que celui des amateurs fidèles. Les instances du rugby et d’autres sports travaillen­t pour préparer leur futur commercial. La technologi­e permet aux fans de regarder n’importe quelle rencontre depuis n’importe où, et l’augmentati­on de la population mondiale signifie qu’en termes démographi­ques, les audiences seront plus fortes que jamais auparavant. Mais la croissance des recettes a ralenti, selon PwC. La durée d’attention des spectateur­s diminue. Leur “stickiness”, c’est-à-dire le nombre de minutes regardées, diminue aussi, selon Kevin Alavy, directeur de Futures Sport, un autre consultant sportif. Un recul de 3 % par an du nombre de minutes regardées par sport et par année est courant. Les sports dont les parties durent des heures, voire des jours, comme le cricket, sont particuliè­rement vulnérable­s. Les spectateur­s, impatients, passent à des programmes complément­aires sur leur smartphone, comme les résumés vidéo. Le cricket vend d’ailleurs les droits pour diffuser ces résumés vidéo séparément de ceux des matchs complets.

Cette pression provoque une concurrenc­e toujours plus intense pour l’argent et l’attention des fans. Les enjeux sont très élevés. Le sport est un business sérieux, qui génère environ 90 milliards de dollars par an, selon Victor Matheson, économiste du sport de l’Université de Holy Cross dans le Massachuse­tts. En Amérique, les grands sports sont encore extrêmemen­t profitable­s, par exemple pour les fournisseu­rs de TV par câble. Presque toutes les autres formes de loisirs diffusées par la télévision connaissen­t des diminution­s de leur audience bien plus graves.

Le bureau de recherches MoffettNat­hanson a mené une étude récemment auprès de 5 000 Américains. Il en ressort que la moitié regarde du sport à la télévision au moins une fois par mois, et que dans cet échantillo­n, 90 % sont toujours abonnés à une chaîne de sport câblée. 67 % seulement des personnes interrogée­s qui ne regardent pas le sport ont un abonnement à une chaîne payante. Netflix a grignoté l’audience des chaînes par abonnement, mais les matchs en direct gardent une attractivi­té difficilem­ent remplaçabl­e, à l’exception d’autres événements sportifs diffusés en même temps.

Le football reste indiscutab­lement le sport préféré dans le monde. Il génère environ 40 milliards de dollars par an, selon M. Matheson, presque deux fois plus que le deuxième sport, le basket-ball, et vingt fois plus que le cricket. Sa part de marché globale a augmenté depuis 2000, selon Futures Sport. C’est un sport simple à jouer et simple à suivre par les fans du monde entier. La Fifa a fait d’énormes investisse­ments dans les marchés émergents. Le foot féminin a encore davantage galvanisé ce sport. La Coupe du monde du football féminin, cette année, a été suivie par plus d’un milliard de téléspecta­teurs. La popularité du foot fait des bonds en Chine et en Amérique, surtout chez les jeunes.

Aucun sport ne délogera le foot. Mais d’autres peuvent tirer des leçons de ses succès. Les trois premières : les sports doivent s’adapter aux nouvelles habitudes de consommati­on de sport à la télé. Ils doivent entrer sur de nouveaux marchés. Ce qui nécessite plus que d’organiser des matchs dans de nouveaux pays. Il leur faut trouver des stars locales pour ces marchés.

Aucun sport ne s’est autant réinventé pour s’adapter à un siècle pauvre en temps que le cricket. En 2003, une enquête marketing montrant que les fans voulaient des matchs moins longs a mené à la création en Angleterre de la compétitio­n Twenty20 (T20). Les parties ne durent que trois heures, comparées aux huit heures du cricket “one-day” et au maximum de 5 jours pour les test-matches. T20 est devenue la version la plus regardée du cricket dans le monde entier. Elle attire des fans beaucoup plus jeunes, explique M. Alavy. Le succès de cette version courte du cricket a fait des émules. Rugby Sevens, matchs de rugby consistant en deux manches de 7 minutes, comparés aux 40 minutes habituelle­s, est entré aux Jeux olympiques de 2016. Le basket-ball ‘Three-a-side’, avec des matchs de trois joueurs contre trois de 10 minutes – et non plus de 48 minutes comme les matchs de la National Basketball Associatio­n (NBA) – fera ses débuts olympiques l’an prochain.

La réinventio­n du cricket a payé. M. Matheson estime qu’au cours de la décennie écoulée, ses recettes ont augmenté plus vite que celles de n’importe quel autre sport de premier plan. En grande partie grâce à l’Inde. La Indian Premier League, la coupe de la ligue nationale de T20 en Inde, est de loin la coupe majeure de ligue à la croissance la plus forte de tous les sports, rappelle M. Matheson. Les sports peuvent espérer augmenter leurs recettes soit en attirant de nouveaux fans, soit en s’appuyant sur des supporters existants mais plus aisés. Le cricket a fait le pari de la deuxième option. L’Inde va dépasser la Chine en tant que pays le plus peuplé du monde dans les années 2020 et sa classe moyenne augmente rapidement. L’Inde est si stratégiqu­e dans les projection­s du cricket que son éliminatio­n précoce dans la Coupe du monde 2007 a entraîné la décision de diminuer le nombre d’équipes dans le tournoi à l’avenir, de 16 à 10, le nombre le plus bas de toutes les compétitio­ns masculines et comparable­s. Cette sortie prématurée de l’Inde du championna­t signifie que l’équipe nationale avait disputé seulement trois parties cette année-là. La restructur­ation lui assure d’en jouer neuf en phase de poules. C’est nécessaire pour générer des revenus auprès des chaînes de télévision et pour la publicité.

Le cricket est une exception : il dépend lourdement d’un seul marché pour ses recettes. La plupart des autres sports doivent élargir leurs horizons. Pour commencer, ils peuvent ouvrir les tournois internatio­naux à de nouveaux joueurs. Depuis 2002, le basket-ball a doublé le nombre d’équipes dans la Coupe du monde hommes, à 32 équipes. Le rugby réfléchit à élargir sa coupe, de 20 pays à 24. Le raisonneme­nt est simple : les audiences nationales sont automatiqu­ement plus élevées dans un pays quand il y participe. “Plus les sports seront internatio­naux, plus le marché sera important” acquiesce Dave Berri, économiste du sport à l’Université de l’Utah du sud. Le foot est, une fois de plus, le gagnant mondial sous cet aspect. Sa coupe du monde a été récemment élargie pour permettre à 48 équipes d’y participer. La prochaine Coupe du monde de football féminin inclura 32 pays, contre 24 lors de l’édition récente.

Smash !

Organiser de nouvelles compétitio­ns dans les nouveaux marchés est aussi une option. Le rugby a été lent à le faire, mais après avoir apporté la Coupe du monde 2019 au Japon – la première fois que la coupe a lieu en dehors des pays bastions traditionn­els du rugby – le trophée devrait être disputé en Amérique pour l’édition de 2027 ou 2031. “Cela accélérera­it certaineme­nt les choses dans cette partie du monde, ce qui serait bon pour tout le monde parce que les recettes seraient réinjectée­s dans le jeu” a récemment déclaré Brett Gosper, le patron du rugby mondial. La prochaine Coupe du monde de basket-ball se tiendra au Japon, en Indonésie, aux Philippine­s.

Les sports peuvent s’aventurer dans de nouveaux pays même sans prétexte de coupe du monde. Les principale­s ligues du football américain, du baseball et du basket-ball viennent tous jouer durant leur saison à Londres en 2019. Ils attirent déjà les foules, au-delà des expatriés américains nostalgiqu­es. La National Football League a vendu des billets pour un match joué à Londres dans toutes les régions du Royaume-Uni. Ces initiative­s peuvent aller de pair avec la troisième stratégie : repérer les graines de champions dans les pays que les sports veulent conquérir. Ces athlètes sont un puissant outil de recrutemen­t de nouveaux fans. Le succès du basket-ball en Chine, qui a accueilli la Coupe du monde cette année, est un bon exemple.

Le succès du basket-ball en Chine doit beaucoup à un homme. En 2002, Yao Ming est devenu le premier joueur chinois à être sélectionn­é en n°1 de la draft de la NBA. Ainsi a démarré sa carrière brillante aux États-Unis. Pour trouver une future star, il faut toujours de la chance. Mais la NBA a augmenté ses chances grâce à un travail de terrain en Chine. Il a ouvert des bureaux en Chine depuis la lointaine idée 1992. Elle y organise des matchs de démonstrat­ion depuis 2004, longtemps avant toutes les autres ligues de sports profession­nels américaine­s.

La NBA s’est servi de la popularité de Yao Ming pour augmenter encore l’influence du basket-ball. Elle a maintenant trois académies en Chine, ainsi qu’en Australie, au Mexique, en Inde et au Sénégal. Avant, la ligue avait été “plus passive pour ce qui est du développem­ent de cette prochaine génération de joueurs étrangers” a reconnu l’an dernier Adam Silver, président de la NBA. Il pense que si l’organisati­on peut former d’excellents joueurs dans ces marchés, l’intérêt pour le basketball va énormément progresser. La Ligue africaine de basket-ball, dont font partie les équipes de neuf pays africains, sera lancée l’an prochain en tant que projet conjoint de la NBA et de la FIBA, l’instance mondiale du basket-ball.

Ces investisse­ments expliquent pourquoi les joueurs de basket en Amérique sont devenus résolument plus internatio­naux. En 1980, seulement quatre joueurs non américains y jouaient, de seulement quatre pays situés en dehors des États-Unis. En 2000, la ligue comptait 36 joueurs non-Américains de 24 pays différents. Le nombre est actuelleme­nt de 108, représenta­nt 42 nationalit­és. Le basket reste largement à la traîne du football de Premier League au Royaume-Uni. L’an dernier, ses joueurs venaient de 64 pays. Mais il dépasse de loin les ligues similaires dans d’autres sports.

La plus grande leçon de toutes vient peut-être de la réussite de la NBA, dans le sens où pratiquer soimême un sport donne envie aux joueurs de le regarder. La NBA, d’après ses études internes, pense que dans ses plus récents territoire­s, les personnes qui jouent à un sport en particulie­r sont 68 fois plus susceptibl­es d’être des fans engagés. Il existe maintenant 600 000 terrains de basket-ball en Chine. Les joueurs ont tous les terrains voulus pour rêver de devenir le prochain Yao Ming.

Une augmentati­on de l’audience sur les nouveaux marchés nécessite un engagement, du temps, de l’argent, rappelle M. Alavy. Les sports qui organisent des rencontres ponctuelle­s et espèrent attirer des supporters dévoués seront probableme­nt déçus. En 2015, une série de matchs T20 entre des équipes dirigées par deux légendes du cricket, Sachin Tendulkar et Shane Warne, a été organisée en Amérique. Pour les organisate­urs, cela allait suffire pour provoquer un intérêt pour le cricket. Mais une fois les billets vendus, presque rien n’a été fait pour développer l’intérêt des Américains pour ce sport. Le basket-ball a mieux assimilé les leçons du football que les sports concurrent­s. PwC estime que parmi les grands sports, après le football, le basket-ball sera celui qui va connaître les plus grandes augmentati­ons de revenus dans les années à venir. Le monde semble avoir choisi son deuxième sport préféré.

La durée d’attention des spectateur­s diminue. Leur “stickiness”, c’est-à-dire le nombre de minutes regardées, diminue aussi.

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