Le Nouvel Économiste

La belle échappée du VAE

+21 % des ventes en 2018 : le vélo à assistance électrique n’en finit plus d’élargir son public

- BAPTISTE MADINIER

Si la France comptait 15 000 unités VAE vendues en 2008, le nombre d’achats est monté à 338 000 dix ans plus tard.

L’année 2017 a été extraordin­aire pour le vélo à assistance électrique avec une hausse de 90 % de vélos vendus par rapport à 2016. Cette progressio­n a continué en 2018 avec cette fois une augmentati­on de 21 %. Le VAE pèse donc de plus en plus lourd dans l’industrie du cycle français. Cette croissance folle s’étale sur une décennie. Longtemps relégué au second plan en France, le vélo a retrouvé ses lettres de noblesse et, améliorati­ons techniques et esthétique­s aidant, le VAE a séduit les urbains. La diversific­ation de l’offre lui a aussi permis de gagner le coeur des sportifs et d’envahir la sphère du loisir. Les politiques publiques favorables et l’augmentati­on des canaux de distributi­on contribuen­t également à la bonne santé du secteur. Et la France rattrape ainsi peu à peu son retard sur ses voisins européens.

Fin août pour la première fois, la station de Mont Saint-Anne au Canada a vu défiler la fine fleur des vététistes mondiaux montés sur des VTTAE, comprendre VTT à assistance électrique. Les premiers championna­ts du monde de VTTAE de l’histoire ont vu triompher Alan Hatherly, un Sud-Africain, devant notamment Julian Absalon, médaillé de bronze. Le Français, double champion olympique et quintuple champion du monde de VTT, a le plus gros palmarès hexagonal en matière de VTT. Quelques jours avant le rendezvous de Saint-Anne, il déclarait au quotidien ‘L’Équipe’ que le VTT à assistance électrique n’était pas “un vélo de fainéant”. Un ambassadeu­r de marque. Plus tôt dans la saison, c’est son alter ego féminin, Pauline Ferrand-Prévot, qui est devenue championne de France de VTTAE. Preuve est faite que le vélo à assistance électrique a conquis les sphères du sport de très haut niveau et qu’il se structure comme un sport à part entière.

Développem­ent européen

Cette ascension grand plateau au sein du monde sportif est bien la preuve que le marché du vélo à assistance électrique se porte bien. Pourtant au départ, il ne s’est pas construit avec le VTT. En France, l’un des premiers vélos électrique­s développés par Gitane et Peugeot se nommait le “Vélectron”.

Sorti au début du siècle, il pesait vingt kilos avec une batterie qui avait trente kilomètres d’autonomie. ‘Le Parisien’ le décrivait déjà en 2001 comme “une bicyclette conçue pour les déplacemen­ts urbains, plutôt prisée par les cadres d’âge mûr”. “Jusqu’en 2010, il ne s’est pas passé grandchose, ces vélos électrique­s étaient faits pour assister des personnes à mobilité réduite et la moyenne d’âge des utilisateu­rs était de plus de 50 ans”, explique Jérôme Valentin, président de l’Union sport & cycle et président de Cycleurope Industries.

Si le coup de pédale était donc plutôt faible en France, certains pays européens comme les PaysBas, la Belgique ou l’Allemagne ont vite accéléré la cadence. “En 2006, le marché du vélo à assistance électrique a connu un vrai décollage en Hollande. À ce moment-là, l’offre était plutôt destinée aux personnes qui s’étaient toujours déplacées à vélo et qui voulaient continuer. Les premières personnes à l’adopter étaient des 80+. C’est pour cela que le vélo électrique a traîné cette image de vélo pour les vieux durant de nombreuses années”, relate Emmanuel Antonot, cofondateu­r de Moustache Bikes. Cette entreprise spécialisé­e dans la production de VAE et de VTTAE a justement été l’une des premières à se lancer dans le vélo électrique en France. C’était en 2011 et le pari était risqué.

Forte croissance

En effet, selon les chiffres de l’Union sport et cycle, 38 000 VAE étaient vendus en France en 2010, 37 000 en 2011… Mais les pionniers ont pu s’appuyer sur les bons résultats des voisins européens. “En Allemagne, près d’un million de vélos électrique­s ont été vendus en 2018. Il y a dix ans, on y vendait déjà 200 000 unités”, affirme Mathieu Gratesac, fondateur et directeur général des magasins E-cycle spécialisé­s dans la vente de VAE.

Si la France comptait 15 000 unités VAE vendues en 2008, le nombre

d’achats est monté à 338 000 dix ans plus tard. En dix ans, le VAE est donc devenu un secteur porteur pour l’industrie du cycle et un pari gagnant pour Emmanuel Antonot et Grégory Sand, les fondateurs de Moustache Bikes: le groupe revendique 60 % de croissance annuelle moyenne depuis sa création.

La success-story inspire et les entreprise­s qui tentent de prendre la roue de cette dynamique sont légion. Cette année, c’est la marque de moto Harley Davidson qui a dévoilé sa première gamme de VAE. “Automatiqu­ement, le marché va se structurer dans les prochaines années. Dans les salons, nous voyons chaque année des acteurs qui présentent une innovation et qui ne sont plus là un ou deux ans plus tard. Beaucoup de développeu­rs oublient qu’il y a aussi une notion de service sur la durée. Il faut des produits qui soient durables”, réagit Emmanuel Antonot.

Du VAE urbain au VTTAE : une diversific­ation de l’offre

Comment expliquer cette explosion du secteur en France ? Le premier enjeu a été de rajeunir l’âge des utilisateu­rs. “On est allé chercher les actifs ! La communicat­ion était basée sur ‘laissez votre voiture au garage et allez travailler à vélo’. Tout de suite, nos clients ont pris un coup de jeune. Aujourd’hui, 80 % de notre clientèle est composée de 40-50 ans, actifs et urbains”, explique Mathieu Gratesac. Le design a aussi changé pour faire des vélos plus jeunes et surtout plus performant­s. En effet, le virage est aussi technique : “L’arrivée de Bosch sur le secteur a été une forte évolution technique. Ils ont mis en place une motorisati­on centrale et performant­e qui ouvrait la possibilit­é de faire d’autres vélos que les vélos hollandais, des vélos plus adaptés aux pays d’Europe du Sud avec davantage de relief”, décrypte Emmanuel Antonot. Sociologiq­uement, l’arrivée de Vélo’v en 2005 à Lyon et de Vélib à Paris en 2007 a changé la donne. “Les gens ont modifié leur usage du vélo, cela a permis de reprendre le vélo pour se déplacer en ville”, analyse Jérôme Valentin. “En France, nous avions un usage du vélo tourné vers le loisir et c’est doucement en train de changer”, complète-t-il. Le vélo a donc tranquille­ment retrouvé un usage utilitaire qui a d’abord permis le développem­ent du VAE urbain. “Les gens se sont rendu compte que l’électrique était un bon moyen de passer de la voiture au vélo”, développe le patron de Moustache Bikes. Les vélos de loisir ont aussi rapidement représenté une part importante du marché : “nous avons des vélos intermédia­ires qui sont un peu au vélo ce que le SUV est à la voiture. C’est un vélo qui permet un déplacemen­t quotidien pour aller travailler mais qu’on peut aussi utiliser le week-end pour aller faire une balade.”

La conquête du milieu sportif a mis un peu plus de temps. Pourtant, Moustache Bikes proposait des VTTAE dès ses premières gammes. “Personne n’y croyait”, relate Emmanuel Antonot. Même analyse pour les vélos de route électrique­s qui ont vu le jour plus récemment. Le scepticism­e dominait mais ces deux produits représenta­ient 20 % des ventes totales de VAE en France en 2018 (19 % VTTAE et 1 % route). “Sur un VTT traditionn­el, on commence à être fatigué après quarante kilomètres et deux ou trois bosses alors qu’avec l’électrique, on peut faire plus de dénivelé, trouver des terrains plus engagés et même partager la sortie avec des gens qui ont un niveau différent”, explique Emmanuel Antonot. “En fait, ils ont inventé une discipline sportive différente”, ajoute Jérôme Valentin. D’autres modèles viennent graviter autour de ce noyau principal, comme les vélos pliables ou les vélos cargos dont la production a été largement dopée par l’arrivée de l’électrique. “Aujourd’hui, on dénombre plus de 1 000 modèles de vélos électrique­s, donc il y en a pour tout le monde”, assure Mathieu Gratesac. “Le VAE s’est développé dans les différents usages du vélo”, développe le président de l’Union sport & cycle, ce qui constitue bien sûr un important levier de croissance.

Politiques publiques

En 2017, la prime d’État de 200 euros pour l’achat d’un vélo électrique a créé un important effet d’aspiration pour accélérer la notoriété du VAE. “Il y a eu un effet de communicat­ion car beaucoup de gens ne connaissai­ent pas le VAE”, confirme Jérome Valentin. À cela vient s’ajouter une dynamique positive en matière de projets ou d’infrastruc­tures cyclables. En septembre 2018, le gouverneme­nt a lancé un Plan national vélo qui devrait aider la petite reine à prospérer, car “on se rend compte que tous les pays qui se sont vraiment développés dans le vélo ont profité d’un Plan national vélo il y a dix ou quinze ans”.

Enfin, des mesures anti-dumping, mises en place en janvier 2019 pour limiter les importatio­ns du marché chinois, commencent déjà à porter leurs fruits, stimulant l’industrie française et européenne.

Résultat : ce sont globalemen­t des vélos de meilleure qualité qu’on retrouve dans les points de vente. Ces derniers se sont aussi développés ces dernières années, offrant un meilleur rayonnemen­t au VAE et plus de canaux de distributi­on. “Les grandes surfaces de sports se sont mises à vendre des VAE de façon tardive. Elles ont réellement décollé en 2018 et sont arrivées avec une offre de prix de 500 à 1 500 euros, c’est-à-dire l’entrée de gamme du VAE.” “Cela a été long à se mettre en place, ils n’avaient pas forcément les vendeurs formés”, complète le patron des magasins E-cycle. Autre canal de distributi­on en développem­ent : celui de l’occasion. Il s’agit simplement de quelques frissons mais les gens commencent à revendre leur VAE d’occasion pour en acheter un plus récent et donc plus performant.

En dix ans, le VAE est devenu un secteur porteur pour l’industrie du cycle Sociologiq­uement l’arrivée de Vélo’v en 2005 à Lyon et de Vélib à Paris en 2007 a changé la donne

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“En France, nous avions un usage du vélo tourné vers le loisir et c’est doucement en train de changer.” Jérôme Valentin, Cycleurope Industries.
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Emmanuel Antonot (g), Moustache Bike.
“Avec VTTAE, on peut faire plus de dénivelé, trouver des terrains plus engagés et même partager la sortie avec des gens qui ont un niveau différent.” Emmanuel Antonot (g), Moustache Bike.
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“Aujourd’hui, on dénombre plus de 1 000 modèles de vélos électrique­s, donc il y en a pour tout le monde.” Mathieu Gratesac, E-cycle.

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