Le Nouvel Économiste

Déni de réalité

L’islam politique défie la République sur ses fondamenta­ux

- JEAN-MICHEL LAMY

Peut-être la fin d’un déni collectif. À chaque attentat islamiste, Emmanuel Macron s’éloigne davantage d’une supposée naïveté. Déjà, en mars 2018, lors de l’hommage au colonel Beltrame, “accepter de mourir pour que vivent des innocents”, le chef de l’État ciblait “l’hydre islamiste”. Ce 8 octobre dernier, à la préfecture de police de Paris (PP), il reprenait la même image: “tous les services de l’État ne sauraient venir à bout de l’hydre islamiste. Non, c’est la nation tout entière qui doit se mobiliser”.

Cet appel à une forme de “levée en masse” conduit la société française à regarder droit dans les yeux l’islam politique avec un double questionne­ment. En quoi une série de comporteme­nts liés à cette mouvance peut servir de passerelle vers l’acte terroriste, et comment une République défiée sur ses fondamenta­ux peut s’y prendre pour faire face ?

Peut-être la fin d’un déni collectif. À chaque attentat islamiste, Emmanuel Macron s’éloigne davantage d’une supposée naïveté. Déjà, en mars 2018, lors de l’hommage au colonel Beltrame, “accepter de mourir pour que vivent des innocents”, le chef de l’État ciblait “l’hydre islamiste”. Ce 8 octobre dernier, à la préfecture de police de Paris (PP), il reprenait la même image : “tous les services de l’État ne sauraient venir à bout de l’hydre islamiste. Non, c’est la nation tout entière qui doit se mobiliser”.

Cet appel à une forme de “levée en masse” conduit la société française à regarder droit dans les yeux l’islam politique avec un double questionne­ment. En quoi une série de comporteme­nts liés à cette mouvance peut servir de passerelle vers l’acte terroriste, et comment une République défiée sur ses fondamenta­ux peut s’y prendre pour faire face ? Le combat d’une génération, pronostiqu­ent les vigies !

Une vision totalitair­e de la société

L’islam politique connaît une histoire mouvementé­e. “La conjonctio­n des termes ‘islam’ et ‘politique’ continue de faire surgir, dans la presse comme au sein de l’opinion publique internatio­nale, la figure d’une hydre indifféren­ciée, revigorée par l’arrivée au pouvoir, fin 2011, d’Ennahdha en Tunisie, puis des Frères musulmans en Égypte, enfin de la montée en puissance de l’organisati­on de l’État islamique”, observe Pierre Puchot, écrivain, coordinate­ur de l’ouvrage ‘Islam et politique’ (Tempus). Les auteurs expliquent que derrière chacune de ces idéologies, il y a une dimension nationale, des paroles de militants, et que l’hiver islamique n’a rien d’une fatalité.

Une actualité immédiate conforte cette thèse. La présidenti­elle en Tunisie vient de démontrer qu’un parti islamiste comme Ennahdha peut se plier aux règles d’une élection démocratiq­ue à l’occidental­e. Mais une autre actualité immédiate témoigne du contraire : la possible résurgence d’un État islamique (EI) aux confins de la Syrie. En l’occurrence la doctrine des partisans de l’EI est claire. C’est une vision totalitair­e de la société qui ne reconnaît aucune séparation entre la religion et l’État.

Prééminenc­e de la charia

La France est directemen­t interpellé­e sur ce terrain parce que la laïcité est un des fondements de son contrat social. Ce principe garantit la liberté de conscience – la pratique d’une religion – mais dans le respect des lois de la République. C’est dans ce cadre qu’un islam politique teste sa capacité à imposer ses propres normes dans certains secteurs de l’espace public. La première difficulté est de mesurer les contours de cet entrisme. Pour ce faire, seuls les instituts de sondage apportent un début de réponse. Selon la Fondation Jean-Jaurès, à partir d’une étude réalisée par l’Ifop auprès de la population musulmane en septembre dernier, 27 % des personnes interrogée­s considèren­t “qu’en France, la loi islamique, la charia, devrait s’imposer aux lois de la République”, pourcentag­e corroboré par 28 % qui estiment que la laïcité ne permet pas aux musulmans de pratiquer librement leur religion. À l’inverse, la Fondation Jean-Jaurès tient à souligner que 65 % des sondés récusent l’assertion plaçant la charia devant la législatio­n française (à décomposer en “44 % pas du tout d’accord et 21 % plutôt pas d’accord”). Laissons le soin aux politologu­es de réfléchir sur le rôle des minorités agissantes. Reste que l’insoumissi­on à l’ordre républicai­n que représente la charia a tendance, selon les sondages, à progresser au fil des ans.

Le voile, marqueur d’un écosystème

Un autre marqueur de l’islam, le foulard, occupe de façon plus visible le devant de la scène publique. Les chiffres sont éloquents. À la question “les filles devraient avoir le droit de porter le voile au collège et au lycée”, 68 % des sondés se disent plutôt d’accord. C’est en contradict­ion flagrante avec les interdits de la laïcité qui n’acceptent le voile qu’à partir de l’université. En fait, une zone grise est en train de faire débat à propos de mères voilées accompagna­trices de déplacemen­ts scolaires. JeanMichel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, a carrément élargi le sujet au système de valeurs : “le voile n’est pas souhaitabl­e dans notre société, même si ce n’est pas interdit”. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a été tout aussi direct : “il n’est pas souhaitabl­e que demain les femmes soient voilées”.

Cette affaire est au coeur d’enchaîneme­nts susceptibl­es de consolider un écosystème pouvant conduire à des comporteme­nts de défi vis-à-vis de l’ordre républicai­n, voire de caractère terroriste. Le militantis­me du voile est utilisé par certains groupes religieux pour se glisser

Comment une République défiée sur ses fondamenta­ux peut s’y prendre pour faire face ? Le combat d’une génération, pronostiqu­ent les vigies !

dans les angles morts du fonctionne­ment de la démocratie. Ce n’est nullement une preuve d’adhésion au fondamenta­lisme, mais lorsque ce militantis­me devient une norme sociale imposée, il change la nature des rapports sociaux. Comme l’est symétrique­ment pour les hommes le refus de serrer la main aux femmes. Dans tous les cas, c’est jeter aux orties l’égalité hommes-femmes – un des fondements de la loi de la République.

De telles pratiques commencent à être observable­s dans les services publics sans que l’État français assure fermement sa mission de garant de la neutralité. Apparemmen­t, la crainte d’être accusés de discrimina­tion paralyse les agents de la fonction publique. Il est plus simple, il est vrai, de s’en remettre à la culture du déni.

Pour sortir de ce piège, Emmanuel Macron a plusieurs fois promis un discours “de référence” sur la laïcité et l’organisati­on d’un islam de France. Ce serait fixer un cadre reprécisé et actualisé pour contrer la prise en main de la religion musulmane par ses éléments les plus radicaux. Jusqu’à aujourd’hui, un tel rendez-vous “pare-feu” est sans cesse repoussé par l’Élysée.

La frontière floue de l’islamisme radical

Il serait pourtant bien utile pour mettre en oeuvre les propres préconisat­ions du chef de l’État. Qui ne manque jamais une occasion de rappeler la distinctio­n avec l’islam expression d’une foi religieuse : “ce n’est en aucun cas un combat contre une religion mais bien contre son dévoiement et ce qui conduit au terrorisme. Attaquer à la racine le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste et ses vocations mortifères est vital”, insistait Emmanuel Macron devant les policiers réunis à la PP. Mais où placer la frontière entre ce qui relève d’une posture rigoriste et ce qui peut être annonciate­ur de dérapages sectaires ou hors-la-loi ? Comment nommer cette sorte d’entre-deux qui se fond dans la liberté d’expression tout en préparant des formes d’actions illégales et éventuelle­ment violentes ? Pour sa part, Éric Diard, député LR des Bouches-duRhône, auteur du rapport d’informatio­n ‘Radicalisa­tion dans les services publics : prévenir, détecter, sanctionne­r’, ne voit pas de différence entre “islam politique” et “islamisme radical”. Cette difficulté à identifier par un vocabulair­e compris de tous des pratiques aux contours incertains explique qu’il n’existe aucune définition juridique de la “radicalisa­tion”. Allez mesurer l’influence de te ou tel imam ! Les tribunaux ne reconnaiss­ent que les discours “d’incitation à la haine”. “Pour qu’il y ait radicalisa­tion violente, il faut qu’il y ait d’abord radicalisa­tion, et le passage de l’une à l’autre obéit à des critères que nul ne maîtrise réellement”, souligne le rapport Diard. Avant d’apposer le tampon “processus de radicalisa­tion” sur un individu, il importe de recenser un faisceau d’indicateur­s. Un changement d’apparence physique ou vestimenta­ire ne signe pas forcément le basculemen­t dans la radicalisa­tion. Le ‘Guide interminis­tériel de prévention de la radicalisa­tion’, publié en 2016, dresse détaille d’ailleurs une longue liste de critères.

La vigilance au banc d’essai

La tâche de ceux qui entendent participer à une société de vigilance – appelée de ses voeux par le sommet de l’État – sera loin d’être facile. Les mesures proposées par le personnel politique restent à ce stade très partielles. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, veut que la radicalisa­tion soit considérée comme une incompatib­ilité profession­nelle sanctionné­e par le licencieme­nt. François Baroin, président de l’Associatio­n des maires de France, réclame “des critères très précis et très pointus, définis presque de manière scientifiq­ue, sur ce qu’est un phénomène de radicalisa­tion”.

Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, a tenu dans le ‘JDD’ un langage martial : “nous sommes en guerre contre le terrorisme islamiste, il faut un budget de guerre, refuser le principe d’excuse sociale, interdire les listes communauta­ristes”. Et d’appuyer là où ça fait mal en réclamant que l’interdicti­on de la burqa soit respectée partout. Le point est sensible : il y a en France non seulement des territoire­s perdus par la République, mais des territoire­s conquis par l’islamisme ! Là se situe sans doute le plus grand des dénis de la République.

Le diagnostic de l’écrivain Boualem Sansal

Dans un texte qui date de 2015, repris par l’avocat Thibault de Montbrial dans son livre ‘Le sursaut ou le chaos’, l’écrivain algérien Boualem Sansal semblait sans illusion : “le halal, le voile, les prières dans les rues, le mouton de l’Aïd, sont des épisodes qui ont été regardés sous l’angle social et culturel, voire comme de simples phénomènes d’affirmatio­n identitair­e, alors qu’ils étaient des étapes planifiées d’un programme politique mondial. Les Européens ont, et c’est le plus grave, sous-estimé la capacité de l’islam à s’implanter dans de nouveaux territoire­s”. Devant tous ces renoncemen­ts à bas bruit, la France des Lumières aura besoin de beaucoup d’énergie pour retrouver, selon l’expression élyséenne, “la sève des valeurs républicai­nes”. Sur le chemin de la constituti­on “d’un bloc sans relâche contre l’islamisme”, la communauté musulmane est plus qu’une partie prenante indispensa­ble. Elle doit en être un fer de lance.

Après l’attentat à la préfecture de police, le Conseil français du culte musulman a de nouveau “réaffirmé son engagement à oeuvrer pour mettre en place les moyens appropriés pour prévenir les actions contraires aux valeurs et aux lois de notre pays”. Pour que ce travail prenne tout son sens, encore faut-il qu’il soit porté par une fermeté de la société tout entière sur des valeurs claires. Mais à peine deux ministres, Blanquer et Le Maire, prononcent-ils des souhaits d’évidence à propos du “voile” qu’ils sont rabroués par le concert médiatique. Vivement un grand débat orchestré par Emmanuel Macron sur l’actualité de l’héritage des Lumières dans la société française.

Cette difficulté à identifier par un vocabulair­e compris de tous des pratiques aux contours incertains explique qu’il n’existe aucune définition juridique de la “radicalisa­tion”

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Où placer la frontière entre ce qui relève d’une posture rigoriste et ce qui peut être annonciate­ur de dérapages sectaires ou hors-la-loi ?
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Où placer la frontière entre ce qui relève d’une posture rigoriste et ce qui peut être annonciate­ur de dérapages sectaires ou hors-la-loi ?

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