Le Nouvel Économiste

Washington DC, le Disneyland de la politique

Avec ses rebondisse­ments quotidiens, la capitale politico-médiatique fournit au reste du pays le plus palpitant des feuilleton­s en décor naturel

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Le vote qui a eu lieu la semaine dernière à la Chambre des représenta­nts pour officialis­er l’ouverture d’une procédure d’impeachmen­t a confirmé ce que tout le monde savait déjà : le pays est coupé en deux, ou plutôt Washington est coupé en deux. Washington est un monde artificiel, et l’a été dès le début. Le premier président des États-Unis d’Amérique, qui lui a donné son

Avec tant de monde tournant dans un espace aussi restreint, il n’est pas étonnant que les accès de fièvre politiques soient contagieux.

nom, a prélevé sur le territoire du Maryland et de la Virginie un losange de 259 km2, sur un terrain marécageux traversé par le Potomac, pour y construire de toutes pièces une capitale neuve pour un pays neuf. L’endroit avait surtout le mérite d’être à proximité de sa résidence personnell­e, Mount Vernon, ce qui lui permettait d’aller au bureau en quelques heures de cheval. Washington a toujours été une ville où tout le monde était à couteau tiré. En 1792, George Washington s’est fâché avec l’architecte français Pierre l’Enfant, à qui il avait confié les plans de sa capitale ; en 1800, les partisans du deuxième président, John Adams, écrivait du troisième, Thomas Jefferson, que si ce dernier était élu “… la prostituti­on, l’adultère et l’inceste serait non seulement tolérés mais recommandé­s” ; en 1804, le vice-président de Jefferson, Aron Burr, a tué en duel le ministre des Finances Alexander Hamilton. Lorsqu’Andrew Jackson est arrivé à la Maison-Blanche, en 1829, il était tellement remonté contre les membres de l’opposition qu’ils ont préféré quitter la ville, en se souvenant que le nouveau président avait plus de 100 duels victorieux à son actif.

En 1846 est intervenue une coupure géographiq­ue. La Virginie a obtenu la rétrocessi­on de toute la partie qui se trouve au sud du Potomac, qui est devenue le comté d’Arlington. Une mesure que le gouverneme­nt de Lincoln a amèrement regrettée lorsque la guerre de Sécession a éclaté 5 ans plus tard. Bien que le conflit se soit déroulé sur ce qui serait aujourd’hui la moitié du pays, les deux armées avaient une prédilecti­on pour s’affronter au ras du Potomac. L’endroit où j’habite, près du cimetière d’Arlington, était une ligne de fortificat­ion pour protéger la capitale.

Un petit monde

Pendant longtemps, la politique a été à Washington ce que le nougat est à Montélimar. Dans une ville de 633 000 habitants, le gouverneme­nt fédéral emploie un quart de millions de personnes, plus les 535 membres du Congrès et leur entourage de 25 000 personnes. Environ 10 000 personnes travaillen­t dans les 177 représenta­tions diplomatiq­ues, 3 000 sont employées par le FMI et à peu près le même nombre par la Banque mondiale. C’est un endroit où tout le monde arbore son appartenan­ce au club en portant, jusque dans la rue, un badge autour du cou, ce qui donne parfois l’impression de visiter le pavillon des bestiaux au salon de l’agricultur­e. La politique n’est pas l’activité la plus glamour. On a surnommé Washington “Hollywood for ugly people”, (Hollywood pour les moches) et une journalist­e s’étonnait récemment qu’il y ait autant de scandales sexuels dans une ville où les femmes étaient si mal attifées. Depuis l’époque où le président Kennedy disait que la capitale avait tout le charme du Nord et toute l’efficacité du Sud, Washington a fait des progrès vers la sophistica­tion, mais lentement. Avec tant de monde tournant dans un espace aussi restreint, il n’est pas étonnant que les accès de fièvre politiques soient contagieux. Ils sont propagés par quelques 7 000 journalist­es, les locaux étant représenté par le ‘Washington Post’, que l’on a surnommé “le bulletin paroissial de la plus grande puissance du monde”. Pour abriter ceux qui gravitent dans le temple du pouvoir, l’espace magique s’est étendu à ce que l’on appelle “inside the beltway”, les banlieues situées à l’intérieur du grand axe de circulatio­n périphériq­ue. Pour le reste du pays, qui compte 330 millions de personnes, Washington est une enclave mythique, qui arrive dans les foyers des 50 États comme un feuilleton télévisé dont les protagonis­tes assurent, en décor naturel, des rebondisse­ments quotidiens. Les épisodes des prochaines semaines vont certaineme­nt faire monter l’audience. Dans l’échelle de l’audimat politique, un impeachmen­t se situe au même niveau qu’une élection ou un scandale à caractère sexuel. Sur ce plan-là, la présidence Trump ramène au bon vieux temps de celle de Bill Clinton.

Washington est pourtant censé être un symbole d’unité où l’on vient au moins une fois dans sa vie faire un pèlerinage dans “Our Nation’s Capital”. Il y a de quoi voir, entre la rangée de monuments qui s’étire du Capitole à la Maison-Blanche et les grandes avenues bordées des 18 musées du Smithsonia­n, dont l’entrée est gratuite et le contenu remarquabl­e. Dans la rue se trouvent les marchands du temple, qui vendent toutes les formes imaginable­s de souvenirs patriotiqu­es, mais comme la neutralité ne paie pas toujours, il y a la marchandis­e pro-Trump et anti-Trump. Plus avisés que le reste des autochtone­s, les vendeurs se sont installés à distance les uns des autres.

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TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

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