Le Nouvel Économiste

L’entrepôt flexible et partagé

Des contrats courts sur des bâtiments mutualisés, le nouvel avenir de la logistique ?

- RÉMI BALDY

“Les robots permettent aux utilisateu­rs de disposer d’un large éventail de solutions, notamment pour équiper les anciens entrepôts”

Les nouveaux modes de consommati­on nécessiten­t des flux de marchandis­es de plus en plus importants et rapides. Une conjonctur­e qui nécessite d’adapter le parc obsolète d’entrepôts logistique­s.

Pour répondre à la demande, les acteurs de l’immobilier logistique rénovent leurs parcs pour les faire monter en gamme. Une transforma­tion d’abord technique, avec des sites plus grands et du matériel plus moderne. Mais en plus de la forme, il faut aussi répondre aux besoins de flexibilit­é avec des baux plus courts ou des entrepôts partagés.

Avoir tout, tout de suite – ou du moins, le plus rapidement possible : une habitude de consommati­on nourrie par l’e-commerce. Quelques clics suffisent pour trouver presque tout ce que l’on veut. Mais l’achat en ligne rencontre rapidement la frustratio­n de l’attente nécessaire pour recevoir sa précieuse commande. Le client étant roi, les acteurs de la chaîne logistique s’adaptent pour réduire le temps de trajet des marchandis­es. Le phénomène se répercute même jusqu’à la grande distributi­on, contrainte de se plier aux nouvelles attentes. “Pour être présentes sur différents canaux, c’està-dire en magasin et en ligne, ces enseignes ont adopté une nouvelle organisati­on qui reprend les spécificit­és du e-commerce avec plus de profondeur de gamme et une rotation plus rapide”, expose Vincent Desruelles, directeur d’études

Restructur­ation contre l’obsolescen­ce

chez Xerfi et auteur en 2018 de l’étude ‘Le marché de l’immobilier logistique à l’horizon 2020’. La multiplica­tion des échanges de marchandis­es impacte directemen­t les entrepôts et le foncier où elles sont stockées et traitées.

“En forte hausse depuis 2015, la demande placée a atteint un niveau particuliè­rement élevé en 2017 (+2,5 % à 3,5 millions de mètres carrés), et record en Ile-de-France. Celle-ci devrait progresser de 3 % en 2018”, écrit Xerfi. Toutefois, le document publié en juillet 2018 prévoyait un ralentisse­ment “au rythme de 1 % par an en 2019 et 2020, en raison de la difficulté des investisse­urs à satisfaire toute la demande et à proposer des biens adaptés aux exigences des utilisateu­rs”. Face à une demande en hausse, se présente un immobilier logistique français qui vieillit. “De plus en plus de structures sont frappées d’obsolescen­ce, elles ne sont pas exploitabl­es aux conditions actuelles”, note

Vincent Desruelles.

Pour les prestatair­es logistique­s, la première des attentes est de bénéficier de volumes plus grands. “Le marché s’est redressé grâce à la transforma­tion des acteurs vers le multicanal et l’essor du e-commerce, cela se traduit notamment par une demande de surface plus forte”, explique Cécile Tricault, directrice de Prologis. Le numéro 1 en France et Europe en termes de surface est en pleine restructur­ation de son offre, et compte étendre son parc à 4,5 millions de mètres carrés, contre 2,8 millions actuelleme­nt. Chez Lidl, la rénovation du parc logistique lancée en 2014 s’est aussi traduite par une augmentati­on des espaces individuel­s. “D’un besoin d’un bâtiment de 30 000 m2, nous passons aujourd’hui à 50 000 m2”, illustre Emmanuel Solofrizzo, directeur des opérations vente et logistique chez le distribute­ur.

Le plus difficile étant de trouver le foncier disponible, des entrepôts à étage commencent à naître. “Mais ils sont assez peu développés en France”, nuance Vincent Desruelles. Ces installati­ons représente­nt des opérations assez chères et se heurtent souvent au plan local d’urbanisme.

De quoi plutôt inciter à continuer l’extension au sol. Bien que cela ne ravisse généraleme­nt pas les élus, pas très friands d’entrepôts logistique­s jugés gourmands en

mètres carrés et peu pourvoyeur d’emplois. Mais pour les entreprise­s, franchir ces obstacles est vital pour ne pas freiner leur développem­ent. Lidl affirme s’être lancée dans ce plan de rénovation pour accompagne­r sa croissance. “Nous voulons aussi améliorer les conditions de travail dans des entrepôts plus adaptés”, ajoute Emmanuel Solofrizzo. La modernisat­ion de ces plateforme­s est un élément clef. Cela passe notamment par la remise à neuf de locaux vieillissa­nts ou par l’installati­on de lumières plus douces et agréables.

L’automatisa­tion s’installe

Voilà pour l’emballage. Mais à l’intérieur aussi, les nouveautés sont de mise. Cela se traduit par la réinternal­isation de certains services, comme les produits surgelés, ou l’utilisatio­n d’engins plus modernes pour déplacer la marchandis­e. En revanche, Lidl ne succombe pas à la robotisati­on. “Nous préférons mettre à dispositio­n des outils modernes au service de nos employés, nous voulons garder l’humain”, justifie Emmanuel Solofrizzo. La robotisati­on faisait pourtant partie des préconisat­ions de Xerfi dans son étude. Dans le domaine, Amazon est cité en exemple. “Les robots qui se développen­t à vitesse grand V permettent aux utilisateu­rs de disposer d’un large éventail de solutions, notamment pour équiper les anciens entrepôts. Amazon en a d’ailleurs fait la clé de son efficacité opérationn­elle et en exploite aujourd’hui 45 000 dans ses entrepôts au niveau mondial”, souligne le document. Chez Prologis, Cécile Tricault explique tenir compte de cette tendance : “Cela nous amène à penser les espaces de notre outil immobilier pour qu’il soit capable d’accueillir une telle organisati­on et ses flux à l’intérieur et à l’extérieur de l’entrepôt”. À l’inverse des promoteurs, la société Log’s équipe elle-même les locaux qu’elle propose. “Nous sommes un opérateur de la supply chain, c’est toute la différente”, répète le président et fondateur Franck Grimonprez. Dans son plan baptisé Ambition 2022, qui prévoit de faire sortir de terre 453 000 m2 d’entrepôt, l’entreprise intègre l’automatisa­tion. Un atout indispensa­ble selon le dirigeant. “Déplacer de la marchandis­e sur 1 ou 10 hectares, ce n’est pas la même chose”, avance-t-il. Un moyen de compenser la perte de productivi­té de déplacemen­ts plus longs. Log’s déploie également des technologi­es comme des exosquelet­tes, des drones d’inventaire ou des lecteurs de plaque pour l’accès des véhicules. “Le but est de faciliter le travail des opérateurs”, appuie Franck Grimonprez.

La souplesse des contrats courts

En proposant de louer “un meublé”, Log’s restreint la flexibilit­é de ses clients qui doivent se conformer aux équipement­s et dispositio­ns des espaces. Pour Franck Grimonprez, l’agilité de son système est dans l’aspect financier : “avec nous, un industriel n’est pas bloqué par des charges fixes, il peut payer au mois ou au flux s’il le souhaite. Je pense que les loyers fixes ne peuvent plus fonctionne­r, les baux doivent être indexés sur le trafic”.

Moins visible, mais tout aussi importante, la flexibilit­é des baux fait partie de la nouvelle vie de l’immobilier logistique. “Dans un entrepôt de 100 000 m2, nous savons mettre trois clients à 20 000 m2 et un à 40 000 m2 quand un investisse­ur ne loue qu’une surface entière…”, tacle Franck Grimonprez. Un positionne­ment qui oblige Log’s à prospecter continuell­ement, 10 personnes se consacrent pleinement à cette mission.

Pour autant, les promoteurs ne restent pas insensible­s à la demande de flexibilit­é de leurs clients pour des contrats courts, à l’image de Prologis. “Cela présente plusieurs avantages. Celui d’être plus réactif car nous pouvons avoir une demande le vendredi et le client qui s’installe le lundi. Mais aussi celui de proposer du surmesure et de mieux gérer les saisonnali­tés. Pour du jardinage par exemple, les besoins de stocks sont l’été”, explique Cécile Tricault. Chez Xerfi, on se montre plus mesuré sur cette nouvelle pratique. “Nous avions noté le recours à des baux courts, mais ce n’est pas très généralisé bien que cela offre plus de souplesse. Pour un investisse­ur, présenter des parcs avec des locations longues est important car la financiari­sation est importante”, juge Vincent Desruelles. Mais Franck Grimonprez en reste persuadé : l’immobilier logistique de demain s’appuiera sur “l’entrepôt partagé”. La mue du secteur ne fait que commencer.

Moins visible, mais tout aussi importante, la flexibilit­é des baux fait partie de la nouvelle vie de l’immobilier logistique

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“De plus en plus de structures sont frappées d’obsolescen­ce, elles ne sont pas exploitabl­es aux conditions actuelles.” Vincent Desruelles, Xerfi.
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gérer les saisonnali­tés. Pour du jardinage par exemple, les besoins
de stocks sont l’été.” Cécile Tricault, Prologis.
“Les contrats courts permettent de proposer du sur-mesure et de mieux gérer les saisonnali­tés. Pour du jardinage par exemple, les besoins de stocks sont l’été.” Cécile Tricault, Prologis.
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indexés sur le trafic.” Franck Grimonprez, Log’s.
“Je pense que les loyers fixes ne peuvent plus fonctionne­r, les baux doivent être indexés sur le trafic.” Franck Grimonprez, Log’s.

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