Les 7 révolutions des french business schools
La plupart des business schools françaises doivent réinventer leur modèle économique
Les “clients” des grandes écoles
changent chaque année. Pas étonnant que ces derniers ne perçoivent pas les formidables transformations de leur établissement, à moyen terme. Le plus souvent, elles se matérialisent par un saut qualitatif musclant une renommée dont ils bénéficient pourtant.
Un ancien élève d’une grande école de commerce, diplômé avant les années 2000, profite aujourd’hui du prestige de son école, devenue entre-temps business school mondiale confirmée par les classements et autres ranking à vocation planétaire. En vraie grandeur, la transformation des organisations a été vécue sur les campus non pas comme une question de cours, mais comme une nécessité d’adaptation à une mutation radicale de leur environnement. Une révolution en 7 actes, ou plutôt 7 révolutions simultanées, menées de front pour devenir ces championnes consacrées au plan mondial par les plus flatteurs ranking. Mais ce parcours débouche actuellement sur les territoires de tous les dangers, à savoir la concurrence exacerbée de nouveaux acteurs montés en puissance. Or pour s’imposer sur ces nouveaux marchés si disputés, il faut investir ,alors que les ressources traditionnelles des chambres de commerce viennent à manquer. S’ouvre donc l’ère de la fragilité.
Cela pourrait devenir un formidable “business case” tant est délicat l’exercice à réussir, avec une équation financière entre les ressources contraintes et les investissements obligés qui défie les règles de l’arithmétique simpliste. Du fait d’un coupable, ce fameux effet de ciseau: la manne monétaire se fait plus chiche pour la plupart des grandes écoles de gestion quand les besoins financiers pour développer les investissements se font plus gourmands. Conséquence? La plupart des business schools françaises doivent actuellement réinventer leur modèle économique, tant ce dernier accuse des fragilités structurelles. Il est dès lors inadapté aux exigences de l’époque. Disparition de la généreuse tutelle des chambres de commerce, cure d’amaigrissement imposée pour la taxe d’apprentissage, limitation des frais de scolarité – en butée après des hausses conséquentes – et, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, la générosité des alumni qui devait prendre une partie du relais, demeure quasi symbolique. Tandis que les percées sur le marché de la formation professionnelle restent bien timides.
Bref, leurs marges de manoeuvre ne cessent de rétrécir. “La question de la viabilité du modèle économique des écoles de commerce se pose désormais avec acuité” pointait déjà il y a quelques années, dans un de ses rapports, l’Institut Montaigne. Alors que dans le même temps, leur adaptation à leur environnement se fait de plus en plus urgente.
Les voilà donc bien mal outillées pour faire face aux enjeux montant en puissance de la concurrence mondiale entre les établissements d’enseignement supérieur du monde entier. Le nombre d’étudiants dans le monde a progressé de 53 % de 2000 à 2014, à 150 millions. Ils devraient être 200 millions dans les pays de l’OCDE et du G20 en 2020. Sur fond de recomposition des offres. “Il y a une compétition internationale de plus en plus forte. On voit des acteurs émerger avec une puissance d’investissement immense. Chinois, Russes, Australiens, Turcs, etc., arrivent avec des moyens considérables qui leur permettent d’investir. Et donc d’améliorer leur position dans les classements, et surtout d’attirer de plus en plus de clients internationaux” observe Tawhid Chtioui, directeur général de EMLyon.
Il leur faut donc faire mouvement dans plusieurs directions: s’ouvrir socialement afin d’accueillir d’excellents talents d’origine modeste, accroître singulièrement leur rayonnement international, et investir afin d’imposer leur marque sur ce marché planétaire de plus en plus disputé. Investir massivement simultanément dans cette révolution numérique qui transforme spectaculairement leur pédagogie. Développer leur excellence académique dans un paysage où les universités, plus particulièrement les IAE, montent en gamme. Et où les grandes institutions formant les élites – ENA, Polytechnique – sont brutalement remises en question, notamment pour leur malthusianisme ou leurs filtres quelque peu socialement endogamiques.
7 révolutions “chamboule tout”
Pourtant, elles ont tellement changé au cours de ces 20 dernières années. Au pas de course ! Elles ont muté au gré de leur “academic drift”, se calant sur des normes et des standards qui ont totalement transformé les programmes, le corps professoral, le modèle économique. Au gré de ces 7 révolutions.
1/ La révolution de la diversification
des programmes, les faisant passer d’un mono-produit exclusif – le programme grande école en 3 ans après prépa – à un généreux portefeuille de diplômes de tous niveaux
(du relais de croissance à bac+3, dit bachelors, aux mastères de spécialisation). Des dizaines de parcours plus ou moins longs parfois panachés grâce aux partenariats passés avec d’autres écoles complémentaires font désormais partie de l’offre de ces établissements.
2/ La révolution des accès. Hier, l’admission se faisait selon une filière bien identifiée, quasi unique. Le filtre était le concours à la fin des classes préparatoires. Il permettait de dresser la hiérarchie des entrées dans les écoles en fonction du rang obtenu. Ce monopole a lui aussi volé en éclat. Les admissions parallèles sont venues bousculer cette belle ordonnance. Des étudiants venus de l’université s’ajoutent à ceux venus de l’étranger pour diversifier les profils.
3/ La révolution des accréditations
(Amba, Equis, AACSB…) oblige les écoles à se caler sur des référentiels communs, des grands standards internationaux, pour se faire accepter dans un univers élitiste des plus normatifs. Elle les oblige notamment à prendre un brutal virage vers l’excellence académique notamment grâce au remplacement de leurs aimables profs vacataires par des enseignants-chercheurs, pour la plupart docteurs, et à un projet stratégique à moyen terme. C’est donc sur ces critères qu’elles sont régulièrement évaluées et benchmarkées.
4/ La révolution de la pédagogie. La percée impressionnante de l’apprentissage – parfois un élève sur trois ou quatre – permet non seulement une ouverture sociale grâce à des études financées par l’entreprise, mais aussi une amélioration de l’assimilation des connaissances et du savoir-être grâce aux bienfaits si connus de l’alternance (dont se prive encore HEC). Le numérique a également contribué à singulièrement changer la donne, avec les cursus “blended” mixant les cours en présentiel avec ceux pris à distance, sur ordinateur.
5/ La révolution de l’international a pris une triple dimension pour ces établissements hier à zone de chalandise très hexagonale. Grand large et mondialisation en quelques années. Les campus accueillant les élèves sur tous les continents se sont multipliés grâce à des partenariats avec des établissements plus ou moins prestigieux ou des implantations en propre. Dans le même temps, les professeurs venus de l’étranger, comme les étudiants d’ailleurs, prenaient des proportions significatives dans les établissements – de 20 à 30 %, parfois bien davantage. Tandis que durant leurs programmes de 3 ans, tous les élèves passent désormais 8 mois (en moyenne) à l’étranger. Et 25 % y démarrent leur carrière. L’attractivité de toutes ces écoles ne se mesure-t-elle pas désormais à leur capacité à attirer les meilleurs étudiants et professeurs à l’échelle mondiale? Actuellement, sur les 100 meilleurs business schools mondiales identifiées par le ‘Financial Times’, 30 % sont françaises. Se forgeant, côté marketing, des armes pour les conquêtes du grand large (Asie, Amérique latine puis plus récemment Afrique), la plupart des grandes ESC provinciales (Lille, Bordeaux, Marseille, Rouen, Reims, Nantes) ont opéré des mouvements de regroupement avant de changer radicalement d’identité grâce à des marques effaçant totalement leurs implantations locales – Skema, Kedge, Neoma, Audencia. À ce mouvement centrifuge ont d’ailleurs correspondu de belles manoeuvres centripètes. Simultanément, la plupart de ces business schools ont en effet planté leur drapeau dans la capitale, rivalisant d’ambitions immobilières avec l’implantation de campus très chics. Avec deux objectifs: proposer une flatteuse vitrine à tous les candidats étrangers, et un outil de travail pratique pour les managers en recherche de formation de bon niveau.
6/ La révolution de la concurrence. Hier, la compétition se jouait selon un rituel traditionnel entre les 3 grandes écoles parisiennes et la cohorte de leurs homologues en région afin d’attirer chaque année les 6 000 élèves passés par le filtre exigeant des prépas. Un jeu à somme nulle qui relevait bien plutôt de la distribution que de la sélection. Le tout dans le champ clos de l’Hexagone, dynamité depuis par la mondialisation et l’expansion territoriales de ces écoles. Tout a donc changé avec cette ouverture, notamment la confrontation avec des concurrents montant en gamme sous tous les horizons. Asie, Amérique latine, Europe… Voulant s’imposer au niveau mondial, recruter désormais hors frontières, les établissements se confrontent à tous les autres acteurs majeurs que l’on retrouve dans les classements du FT. Le terrain de jeu pour la stratégie de développement est
Continuer le développement de l’école pour qu’elle devienne la première marque globale de l’enseignement supérieur présente sur tous les continents, reconnue pour l’excellence de ses formations et l’impact de ses recherches sur l’économie et la société. devenu quasiment mondial pour ces jeunes “multinationales”. Ces multiples marchés réclament des offensives marketing n’ayant plus rien à voir avec la seule séduction de quelques professeurs de prépas.
7/ La révolution du numérique.
Profondément, structurellement, la fée digitale transforme pédagogie et programmes. Les façons d’enseigner sont donc durablement percutées pour ces établissements, et de deux façons contrastées. Le contenu des programmes a dû s’adapter aux besoins les plus pointus des entreprises, bonjour big data, RGPD et autres nouveautés transverses à la plupart des disciplines – marketing, finance, RH, etc. La conception et la diffusion des cours ont subi elles aussi une métamorphose, avec les prérequis à acquérir en ligne avant de venir écouter le professeur. Ces recherches à entreprendre sur la toile pour nourrir le mémoire, travailler de façon beaucoup plus coopérative surtout sur un projet commun. En miroir de ce qui transforme aussi le management des entreprises, l’individualisme exacerbé d’hier – cette émulation pour écurie de cracks – en a pris un sacré coup. La performance de l’équipe grâce à l’intelligence collective a supplanté les lauriers individuels. C’est le numérique encore qui permet en revanche de “customiser” les parcours. Chaque étudiant compose son “bagage” à la carte, tournant le dos aux si directifs menus imposés d’antan. Ces derniers affûtaient leurs talents pour des employeurs qui – eux aussi – ont bien changé. Par cycle. Celui des lessiviers et des champions du marketing, puis la finance et ses banquiers, les Big four et autres géants des chiffres, le conseil, les ONG…
3 questions à Alice Guilhon,
directrice générale de Skema Business School
Lab en Intelligence Augmentée présent sur tous les campus et dont le Centre de R&D est basé à Montréal. Skema va déployer les outils d’IA pour préparer tous les étudiants, les diplômés et les entreprises partenaires. En parallèle, l’école aura mis en oeuvre une pédagogie totalement hybride pour tous ses étudiants. L’IA permet un parcours complètement individualisé, mais à l’intérieur de communautés. Enfin, l’école produira des rapports et des indicateurs de responsabilité sociale, sur l’apport des humanités dans le business, la transition économique et écologique à destination des gouvernements et des entreprises, afin de poursuivre la sensibilisation et la formation aux grands enjeux sociétaux des 50 prochaines années. Skema a créé un Global Lab en Intelligence Augmentée pour accompagner les transformations digitales et humaines des entreprises, mais aussi de l’école. évoquer la révolution – encore largement inachevée – de leur actionnariat. Facilitée (ou pas) par un nouveau statut – Établissement d’enseignement supérieur consulaire EESC – permettant l’entrée à leur capital de fonds d’investissement ou d’autres acteurs de la vie économique, mais sans prise de participation majoritaire ni distribution de dividendes. Les résultats sont plus que mitigés. “Ce statut n’a pas donné les résultats escomptés, puisqu’il était censé apporter aux écoles et aux chambres de commerce la possibilité d’intégrer des investisseurs tout en protégeant un certain nombre d’acquis, mais ça ne marche pas. Aucune école n’a réussi grâce au statut d’EESC à lever significativement des fonds qui lui permettent d’investir. Ça n’intéresse personne” constate Tawhid Chtioui. Ce qui hypothèque les perspectives de développement. Maintenant qu’elles s’essaient toutes à jouer dans la cour des grands, les besoins en investissements se font de plus en plus gourmands. Trente millions, a calculé le patron d’EMLyon. Après s’être largement calées sur les mêmes standards structurants, au risque de perdre leur singularité, ces business schools généralistes creusent désormais leurs différences dans une épure économique autrement plus contrainte. Selon une hiérarchie que personne ne voudra avouer et qui risque de se décanter en trois catégories : les grandes internationales, les nationales et les régionales. Sans oublier l’option généraliste/spécialisée. Il y a du repositionnement dans l’air. Chacune
Sans aucun doute faudrait-il encore
3 questions à Tawhid Chtioui,
directeur général d’EMLyon
Comment les business schools françaises se sont-elles transformées ces dernières années ?
Il y a une dizaine, voire une quinzaine d’années, on était dans des transformations mineures et dans un secteur en standardisation, car la préoccupation majeure de l’enseignement supérieur (surtout des business schools, les plus standardisées de toutes les écoles), c’est de créer des standards. Des normes pour essayer de définir les critères de qualités.
Donc, tout le monde s’orientait vers cette logique déterminée par les organismes d’accréditation, par des ranking. Et donc, on allait tous dans le même sens.
Aujourd’hui, les transformations sont très importantes, liées au financement, à la digitalisation, à la pédagogie, à des métiers qui changent énormément. Dans une compétition internationale de plus en plus forte, des acteurs émergent avec une puissance d’investissement considérable. Simultanément apparaissent des enjeux liés à l’émergence d’une hybridation et de nouvelles intelligences qu’on ne considérait pas jusqu’à maintenant dans nos standards. Cela bouleverse complètement le système. On passe d’une logique de standardisation à une logique qui permet d’être en mouvement permanent et qui nécessite des investissements assez forts de la part des écoles ; et déploie ses offres dans des zones de chalandise bien définies. Toutes cependant seront confrontées à l’impératif pédagogique de l’hybridation et de la personnalisation des cursus. Donc rechercher ailleurs des savoirs ne faisant pas partie de leurs offres. Conséquence logique, des accords avec les universités vont également contribuer à transformer le paysage. Il est vrai que fusions et regroupements ont entraîné une diminution sensible du nombre de business schools. Mais à l’avenir? “Nous sommes dans une période de turbulence depuis un certain temps. Or les business schools ont fait la preuve de la robustesse du modèle, puisqu’elles se sont renforcées à la fois par leur visibilité internationale et leur capacité à recruter des étudiants internationaux. Comme le prouve l’école que je dirige, nous avons un modèle économique complètement robuste sans aucune subvention des chambres de commerce” observe Delphine Manceau, directrice générale de Neoma.
Tandis que des acteurs privés détenus par des fonds d’investissement s’imposent comme alternative de plus en plus crédible. Des investisseurs chinois ont acheté l’ESC Brest tandis que d’autres écoles parisiennes changeaient de fonds. Face à ces défis, chaque business school est confrontée à ses fondamentaux classiques : une vision stratégique, une gouvernance robuste et un management à la hauteur. qui nécessite aussi de sortir des logiques de qualité de production académique et de qualité de délivrance des contenus. Nous sommes devenus une industrie qui n’est plus celle du diplôme, mais celle du service. C’est ce que viennent chercher les apprenants. Avec une demande de personnalisation de plus en plus forte. Les logiques de disciplines sont en train de disparaître. Tout ceci remet en question nos modèles. Du coup, on est obligé de changer de cap et d’investir sur tous ces sujets-là.
Comment voyez-vous la concurrence ?
On perd des places parce qu’on voit arriver des acteurs qu’on ne voyait pas dans les radars et qui se classent parmi les meilleures écoles européennes, parce qu’ils ont des moyens. Au niveau mondial, les acteurs chinois, russes, australiens, turcs, etc., arrivent avec des moyens considérables afin d’améliorer leur position dans les classements, et d’attirer de plus en plus de clients internationaux.
Or nous n’avons plus les moyens de financer nos écoles. Car il nous faut 30 millions pour faire face à tous ces enjeux. Notamment offrir un environnement de travail agréable, en phase avec la pédagogie de l’action, avec tous les outils digitaux pour prolonger l’expérience d’apprentissage au-delà des salles de classe ; apporter une personnalisation forte parce que c’est le plus grand enjeu de la pédagogie de demain, avoir 1000 étudiants dans le même amphi mais avoir 1 000 contenus différents. Car ils ne se ressemblent pas. Ils ont des objectifs de carrière tellement différents. On ne peut pas continuer à leur donner des contenus figés et identiques.
Il faut donc qu’on se réinvente et qu’on trouve d’autres ressources pour pouvoir avancer et faire face à cette évolution.
“Un Global Lab en Intelligence Augmentée pour accompagner les transformations digitales et humaines des entreprises, mais aussi de l’école” “Nous sommes devenus une industrie qui n’est plus celle du diplôme, mais celle du service”