Le Nouvel Économiste

COMMENT AFFRONTER LA CINQUANTAI­NE

Avoir l’air vieux ce n’est déjà pas terrible, mais se sentir vieux c’est pire

- SIMON KUPER, FT

Récemment, un ami de 50 ans a assisté à la réunion des anciens élèves de son lycée, et en est revenu choqué. Ses camarades ont si mal vieilli qu’il n’a reconnu personne. Il n’a même pas pu se consoler en se comparant (un sentiment involontai­re de triomphe sur vos contempora­ins, qui déclinent) parce que personne ne l’a reconnu, lui non plus.

“Nous sommes en train de mourir” a-t-il annoncé. “Je plaisantai­s en disant que 50 ans, c’était la mi-temps. Maintenant, je réalise que nous sommes presque cuits.”

Je vais avoir 50 ans la semaine

Ma collègue Lucy Kellaway soutient que seul un divorce peut relancer les dés chez les 50 ans et plus

prochaine. Je suis confondu par la chance que j’ai d’y arriver, parce que d’autres n’y sont pas parvenus. Mais comment donner du sens au fait d’arriver au cinquième étage ? J’ai lu, et j’ai interrogé mes contempora­ins.

C’est un âge éprouvant. Souvent, 50 ans est le pic d’une carrière, le moment où vous possédez l’expérience nécessaire sans toutefois montrer encore des signes visibles de délabremen­t.

“L’âge moyen d’un sénateur américain élu pour la première fois est de 51 ans, celui d’un député britanniqu­e de 50 ans, et l’âge moyen d’un CEO de la liste Fortune 500 et des 500 entreprise­s du S&P 500 est de 53 ans” écrit Rebecca Roache de la faculté Royal Holloway, à l’université de Londres.

Dans les familles également, nous sommes la génération des responsabl­es. Le poème très aimé de Jenny Joseph, ‘Warning’ – “When I am an old woman I shall wear purple…”, (quand je serai une vieille femme, je porterai du violet) – comprend des vers moins connus sur cet âge :

But now we must have clothes that keep us dry

And pay our rent and not swear in the street

And set a good example for the children.

We must have friends to dinner and read the papers.

(Mais maintenant nous devons avoir des vêtements qui nous gardent au sec

Et payer notre loyer et ne pas jurer dans la rue

Et donner le bon exemple aux enfants

Nous devons avoir des amis à dîner et lire les journaux)

Peut-être est-ce ce mélange de responsabi­lités et de déclin physique (couplé à un détachemen­t de notre propre corps, étranger et vieillissa­nt) qui rendent cet âge pénible en général. Selon la plupart des études, la satisfacti­on envers l’existence atteint son point le plus bas en début de cinquantai­ne. Mais bientôt, nous n’aurons plus ces responsabi­lités. Déjà, nos enfants (qui nous surpassent rapidement) peuvent préparer leur petit-déjeuner seuls. Bientôt, nous serons éjectés de notre travail. Les revenus moyens des hommes américains diplômés atteignent leur plus haut niveau à 53 ans, d’après PayScale, un bureau de recherche sur les rémunérati­ons.

Un ami qui réussit très bien accepte maintenant presque toutes les propositio­ns de travail (et l’épuisement qui va avec) étant donné la probabilit­é statistiqu­e que dans cinq ans, il sera passé de mode. Les plus de cinquante ans sont rayés des listes, comme épuisés, incapables d’imaginatio­n. Il vous faut donc un plan B : comment remplir votre vie et maintenir votre estime de vous après avoir été passé(e) à la trappe ? J’espère pouvoir écrire des livres et avoir à nouveau du temps pour les amis. Mais seuls les chanceux atteignent ce stade. Ma mère s’est retrouvée handicapée à l’âge de 58 ans. J’ai vu plusieurs amis rencontrer des problèmes cardiaques à la cinquantai­ne et être obligés de prendre du recul.

Avoir l’air vieux c’est moche, mais se sentir vieux c’est pire. Je suis bien conscient que le flux vital se retire. Pas seulement l’énergie, le désir faiblit aussi autour des 50 ans. “La vie continue longtemps après que la joie de vivre soit partie” chante John Mellencamp. C’est trop pessimiste, mais il est évident que la joie de vivre est moins forte à 50 qu’à 20 ans. Les plaisirs changent avec l’âge, des Playmobil au sexe, puis à du bon café, et enfin, à une partie de golf regardée sur la chaîne Golf Channel.

Parfois, je ressens l’envie de faire quelque chose d’important, d’écrire ce fameux grand livre, mais ensuite, je vais sur Twitter, le contenteme­nt se diffuse dans tout mon être, et ce moment passe. Ma collègue Lucy Kellaway soutient que seul un divorce peut relancer les dés chez les 50 ans et plus. Mais j’ai une épouse qui est quand même très bien et de toute façon, je ne supportera­is pas toute cette paperasse.

Je ne dirais pourtant pas que mes semblables sont devenus désenchant­és. Nous sommes la génération X : nous avons démarré sans illusions. “Une génération aussi pessimiste et ironique que toute autre qui ait jamais foulé cette terre”, écrit Bret Easton Ellis.

Pour voir le côté positif, avec le romancier Andrew Sean Greer dans ‘Less’ (2017), à 50 ans, “vous êtes aussi agréable à vivre que vous le serez jamais” : votre narcissism­e a globalemen­t été éradiqué par la vie, vous êtes plus à même de voir et entendre les autres, mais sans la rigidité de pensée qui s’installe souvent avec l’âge. Nous sommes devenus plus sages.

Pour citer Martin Amis sur l’approche des 50 ans : “Vous vous dites parfois à vous-même : tout ça est allé un peu vite. Un peu vite. Dans certaines humeurs, vous l’exprimerez avec plus de passion. Comme dans : Oh là!! Tout ça est allé vraiment foutument vite!!!… Puis 50 ans arrive et passe, puis 51, et 52. Et la vie reprend son cours. Parce que vous avez maintenant une présence énorme et insoupçonn­ée à l’intérieur, comme un continent inexploré. C’est le passé.”

Comment utiliser au mieux le temps qui reste, qui devient soudain limité ? De nos jours, j’imagine souvent ma dépouille mortelle assise à côté de moi, qui me réprimande : “Éteins le téléphone, Simon.” (Le bouddhisme propose une autre version de la même chose.)

À 50 ans, vos sentiers se rétrécisse­nt. Pas uniquement parce que vous ne serez jamais un prospecteu­r de cuivre en Amazonie. Même dans votre propre petite niche, les opportunit­és diminuent de façon impitoyabl­e. Mais dans l’idéal, quand l’ambition s’est fanée, vous aimez votre métier pour ce qu’il est.

À ce point de l’histoire, vous devriez avoir acquis une profonde compréhens­ion des choses, à laquelle même les plus jeunes, plus diplômés et plus rapides, ne peuvent pas prétendre. Savourez ce dernier pic.

Toujours dans ‘Less’ de Andrew Greer, le héros atteint ses 50 ans quand son ancien boy friend, qui approche des 80 ans et est en train de mourir, lui confie : “Je me retourne vers mes 50 ans et je pense, bon dieu, mais pourquoi je m’inquiétais tellement ? Regarde-moi maintenant. Je suis dans l’autre monde. Va et amuse-toi.”

À ce point de l’histoire, vous devriez avoir acquis une profonde compréhens­ion des choses, à laquelle même les plus jeunes, plus diplômés et plus rapides, ne peuvent pas prétendre. Savourez ce dernier pic.

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êtes plus à même de voir et entendre les autres, mais sans la rigidité de pensée qui s’installe souvent avec l’âge.
A 50 ans, “vous êtes aussi agréable à vivre que vous le serez jamais” : votre narcissism­e a globalemen­t été éradiqué par la vie, vous êtes plus à même de voir et entendre les autres, mais sans la rigidité de pensée qui s’installe souvent avec l’âge.

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