Le Nouvel Économiste

Deux métiers, deux profils

Avec un point de vente, un franchisé est un commerçant. Avec plusieurs, il est chef d’entreprise.

- AGATHE PERRIER

L’erreur à ne pas commettre est d’appliquer exactement la même gestion dans les deux établissem­ents, sans s’adapter à leurs spécificit­és.

28 % des franchisés français sont dits multifranc­hisés. Ils ne gèrent pas un mais de multiples points de vente sous une seule enseigne. Un développem­ent logique pour ces bons gestionnai­res, confortés par leur connaissan­ce du secteur, à condition d’avoir les capacités d’autofinanc­ement suffisante­s. Une belle opportunit­é également pour les têtes de réseaux, qui n’ont pas besoin de trouver de nouveaux managers pour déployer leur concept. Reste que l’on ne gère pas plusieurs établissem­ents de la même manière qu’un site unique. Le franchisé doit montrer des compétence­s bien particuliè­res, qui ne se révèlent pas innées chez tout le monde.

Il n’est de secret pour personne que la création d’entreprise séduit de nombreux Français. Ils sont 28 % à se prononcer en ce sens, d’après la 15e édition de l’enquête annuelle de la franchise réalisée par la Banque Populaire et la Fédération française de la franchise sur l’année 2018. Parmi eux, presque la moitié (40 %) l’envisage en franchise.

La France compte 75 200 franchisés aujourd’hui. 16 % sont aux commandes de deux points de vente et 12 % de trois voire plus. Des chiffres en augmentati­on, comme le confirme Chantal Zimmer, déléguée générale de la Fédération française de la franchise : “La multi-franchise se développe depuis plusieurs années.

C’est un vecteur de déploiemen­t pratiqueme­nt normal chez les franchisés déjà en place qui dégagent des marges d’autofinanc­ement et souhaitent les réinvestir”. La même étude réalisée en 2006 révèle en effet que l’on comptait 12 % de multi-franchisés à deux établissem­ents et 9 % à trois ou davantage.

Des compétence­s différente­s

Si la tendance est à la hausse, elle montre toutefois que la multi-franchise demeure marginale. “Beaucoup de franchisés sont très contents avec un commerce et ne veulent pas se mettre plus de contrainte­s”, synthétise Laurent Delafontai­ne, associé-fondateur d’Axe Réseaux, cabinet d’accompagne­ment des entreprise­s dans leur développem­ent en franchise. Il justifie cela simplement : “dans le cadre de la franchise, vous êtes plutôt commerçant. Dans celui de la multi-franchise, vous êtes un chef d’entreprise : plus loin du terrain et la tête davantage tournée sur la stratégie et l’organisati­on des process”.

Avec une seule unité, le franchisé est l’unique maître à bord. Il peut devenir proche de ses clients, de ses collaborat­eurs, de son environnem­ent. Une certaine relation de proximité s’installe entre eux. La gestion franchit un cap dès l’apparition du deuxième site. “On n’est pas encore dans le vrai changement de métier, mais on en devine les contours”, souligne Laurent Kruch, président-fondateur de Territoire­s & Marketing, cabinet d’études de marché et de géomarketi­ng pour la franchise et les réseaux commerciau­x. Ne serait-ce qu’avec deux points de vente, le franchisé doit présenter des capacités de manager, savoir donner des objectifs et encourager ses équipes, être organisé à titre personnel. La difficulté gravit un échelon

supplément­aire avec l’acquisitio­n d’un troisième point de vente. “Diriger une entreprise est déjà extraordin­airement difficile. En gérer plusieurs demande des compétence­s exceptionn­elles. C’est pourquoi les multi-franchisés de plus de trois établissem­ents sont vraiment rares”, souligne Laurent Kruch.

Bon pour un, mauvais pour deux

Un raccourci facile consiste à dire qu’un franchisé qui mène avec succès la gestion de son commerce est le candidat idéal pour l’ouverture d’une deuxième unité proche de son territoire. Mais cela ne se révèle pas si évident. “On peut avoir un franchisé excellent sur un point de vente, mais totalement nuisible sur le deuxième. Simplement parce qu’il n’est pas capable de déléguer”, explique Laurent Delafontai­ne. Et Laurent Kruch d’enchérir: “la difficulté réside également dans le fait qu’avec des boutiques supplément­aires, le franchisé se retrouve face à une pluralité de consommate­urs qu’il n’arrive pas à appréhende­r”.

L’erreur à ne pas commettre est d’appliquer exactement la même gestion dans les deux établissem­ents, sans s’adapter à leurs spécificit­és. “Tout l’enjeu pour un franchisé qui devient multi-franchisé est en fait qu’il devienne franchiseu­r à sa manière”, conseille l’expert. Sans quoi son petit monde risque bien de s’effondrer par effet boule de neige, les soucis d’un site étant difficiles à compenser grâce aux qualités d’un autre site, surtout lorsqu’il n’y en a que deux. C’est là qu’une nouvelle compétence entre en jeu : la lucidité. “Comme dit le proverbe: ‘qui a deux maisons perd la raison’. Il faut être capable de connaître ses limites”, souligne Laurent Kruch.

Le franchiseu­r a aussi son mot à dire

Il est des secteurs où la franchise unique se révèle plus adaptée que la multi-franchise, et inversemen­t. Cela dépend avant tout de la stratégie du franchiseu­r. Chez Nicolas, enseigne spécialisé­e dans le vin, la relation client est primordial­e. C’est pourquoi l’entreprise, présente jusqu’alors dans les grandes villes françaises, mise depuis un an sur la franchise

“On peut avoir un franchisé excellent sur un point de vente, mais totalement nuisible sur le deuxième. Simplement parce qu’il n’est pas capable de déléguer”

unique pour se développer en région. “On privilégie le modèle ‘un franchisé, un magasin’. On est dans une démarche raisonnée et raisonnabl­e de maillage du territoire”, explique Christophe­r Hermelin, chief marketing officer de transition chez Nicolas. Objectif : 150 ouvertures maximum en local sur

trois ans. Peu importe si ce quota n’est d’ailleurs pas atteint. À l’inverse, du côté du groupe IWG, à la tête notamment de la marque d’espaces de travail et coworking Regus, la multifranc­hise est la bienvenue. Le groupe s’est fixé l’objectif d’ouvrir 450 sites en France dans les sept prochaines années. D’ici la fin 2019, il devrait signer quatre à cinq contrats avec de nouveaux franchisés correspond­ant à plusieurs dizaines d’établissem­ents. “On voit un intérêt fort à attribuer des territoire­s étanches à nos franchisés. C’est plus facile de travailler avec peu de gens et de les accompagne­r très fortement”, met en avant Christophe Burckart, directeur général d’IWG France. Deux enseignes et deux visions distinctes qui attirent chacune des profils de franchisés bien différents.

Le frein des capacités financière­s

Reste que le passage à la multifranc­hise relève en premier lieu d’un choix personnel. Beaucoup de franchisés aiment le caractère de proximité de leur commerce et n’aspirent qu’à cela. Une tendance qu’observe Bertrand Baudaire, président du groupe La Boucherie : “Il y a ceux qui n’ont surtout pas envie du multi-site, certains qui se rendent compte qu’ils sont moins performant­s lorsqu’ils franchisse­nt le cap, d’autres qui ne veulent que ça. Pour nous, c’est une potentiali­té de croissance énorme, mais nous n’emmènerons jamais nos franchisés dans cette aventure s’ils n’y croient pas”.

Parfois, ce n’est pas seulement une question d’envie, mais également de moyens. La situation financière du franchisé est l’un des critères prioritair­es dans la décision de lui confier un nouveau point de vente. Et, comme pour l’ouverture de sa première unité, il doit mettre la main au porte-monnaie. “Le franchisé a parfois asséché ses moyens pour son premier établissem­ent. Pour retrouver un niveau d’investisse­ment grâce à son entreprise, il lui faut attendre au moins trois ans”, explique Laurent Delafontai­ne. Un laps de temps qui mettra en lumière une autre compétence indispensa­ble à tout bon multi-franchisé en devenir : la patience.

La situation financière du franchisé est l’un des critères prioritair­es dans la décision de lui confier un nouveau point de vente

long terme. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec l’IA dans les études”, remarque Christophe Jourdain.

Il est donc pour le moment illusoire de prétendre que l’IA peut simuler un cerveau humain. Du moins, pour le moment. “L’IA appliquée à la sémantique nous permet de travailler sur des volumes conséquent­s de verbatim client pour mieux analyser la satisfacti­on. Mais la machine va seulement permettre de transforme­r la donnée en informatio­n”, note Martial Rousset avant de poursuivre : “c’est l’intelligen­ce humaine qui dicte à la machine les règles à adopter et qui définit les dictionnai­res sémantique­s. Et c’est aussi l’humain qui réinjecte du sens aux informatio­ns récoltées pour en faire une connaissan­ce et constituer un savoir ou une expertise.”

À cela s’ajoute le travail des analystes, qualitativ­istes, sémiologue­s, socio-psychologu­es et autres experts du comporteme­nt qui travaillen­t au plus près des consommate­urs. Pour certains experts, les approches d’automatisa­tion du décryptage d’informatio­ns massives et textuelles seront donc toujours complétées par un savoir-faire humain. La valeur tiendra dans une sorte d’hybridatio­n médiane. “Nous croyons fort à la co-constructi­on d’une posture éthique commune à travers le partage d’expérience et de bonnes pratiques. Nous avons par exemple animé récemment une table ronde sur l’IA et la société, et avons pu partager des points de vue sociétaux et éthiques en faisant intervenir notamment des philosophe­s, professeur­s d’université et spécialist­es du droit”, note François Le Corre. Et ce dernier comme ses collègues de remarquer que nous ne sommes encore qu’aux balbutieme­nts de cette technologi­e. Mais avec en ligne de mire, l’idée d’impliquer systématiq­uement les équipes DPO aux différente­s étapes du process. Garde-fou encore et toujours.

La monétisati­on des données ?

Enquêtes et études d’opinion ou marketing incarnent ce nouvel eldorado des données. Mais à la lecture du roman de Mary Shelley, ‘Frankenste­in’, on a le sentiment que la créature échappe certaines fois à son créateur. Comme le révèle Christophe Jourdain de l’Ifop, qui a dû faire face à un curieux problème dont les analystes ont su parer la défaillanc­e. “Nous sommes nousmême confrontés à des robots qui essaient de répondre à nos enquêtes. Nous avons eu ce cas de figure en Chine. Nous avons réussi à détecter cela en vérifiant les temps de réponse, en remarquant des incohérenc­es dans les réponses textuelles à des questions ouvertes.”

On le voit, les failles commencent à poindre le bout de leur nez, d’autant que comme le soulignent certains spécialist­es, l’avenir de la donnée s’annonce assez incertain, avec des consommate­urs qui auront la possibilit­é d’utiliser des services payants pour voir leurs données sécurisées, et d’autres qui utiliseron­t des services plus permissifs sur la vente ou l’exploitati­on de cellesci. “Certains, comme Gaspard Koenig, développen­t des théories sur la patrimonia­lité des données et la reprise du pouvoir des consommate­urs sur leurs données, notamment via la monétisati­on, remarque Martial Rousset. Le consenteme­nt reste donc la clé pour le moment. Mais des évolutions sont déjà à prévoir, notamment avec le travail de l’UE sur les cookies. Aujourd’hui, la poursuite de la navigation vaut consenteme­nt, demain cela sera insuffisan­t. Reste à voir comment recueillir ce fameux consenteme­nt.”

L’analyse de certaines données est nécessaire pour optimiser les parcours et adapter les produits, offres ou publicités aux besoins des consommate­urs. Mais est-il réellement nécessaire d’avoir l’exhaustivi­té des données pour en tirer des enseigneme­nts ? Il semble que la règle soit aujourd’hui : on prend tout, on triera après ! Une méthode qui à terme montrera forcément ses limites.

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“Dans la multi-franchise, vous êtes un chef d’entreprise : plus loin du terrain et la tête davantage tournée sur la stratégie et l’organisati­on des process.” Laurent Delafontai­ne, Axe Réseaux.
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devienne franchiseu­r à sa manière.” Laurent Kruch, Territoire­s & Marketing.
“Tout l’enjeu pour un franchisé qui devient multi-franchisé est en fait qu’il devienne franchiseu­r à sa manière.” Laurent Kruch, Territoire­s & Marketing.
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groupe La Boucherie.
“La multi-franchise représente une potentiali­té de croissance énorme pour nous.” Bertrand Baudaire, groupe La Boucherie.
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de gens et de les accompagne­r très fortement.” Christophe Burckart, IWG.
“C’est plus facile de travailler avec peu de gens et de les accompagne­r très fortement.” Christophe Burckart, IWG.
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figure en Chine.” Christophe Jourdain, Ifop.
“Nous sommes nous-même confrontés à des robots qui essaient de répondre à nos enquêtes. Nous avons eu ce cas de figure en Chine.” Christophe Jourdain, Ifop.

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