Le Nouvel Économiste

Les caucus au pilori

Cette forme folkloriqu­e de démocratie directe est difficile à comptabili­ser

- TRUMP POWER, ANNE TOULOUSE

Les États-Unis viennent de nous livrer l’une de ces farces électorale­s dont ils ont le secret : les caucus de l’Iowa, qui étaient attendus comme le premier indicateur de tendance d’un parti qui ne sait pas s’il va attaquer Donald Trump par la face radicale ou par la face modérée, ont sombré dans un bug informatiq­ue. L’idée était de greffer la technologi­e moderne sur l’un des systèmes électoraux les plus archaïques, une assemblée dans

Comme l’a dit un commentate­ur, “n’y avait-il pas assez d’informatic­iens démocrates dans Silicon Valley pour faire le travail convenable­ment ?”

laquelle chacun se positionne publiqueme­nt et physiqueme­nt en faveur des candidats. À la nuit tombée, les participan­ts bravent les intempérie­s (il neige toujours à cette époque dans l’Iowa) et se dirigent vers des endroits qui vont des gymnases aux cuisines de ferme, où ils forment des groupes en fonction de leur choix initial. Tous les groupes qui ne rassemblen­t pas 15 % des participan­ts sont dissous et leurs membres doivent soit quitter la piste soit intégrer un autre groupe. Les délégués à la Convention sont désignés en fonction du deuxième tour.

Des journalist­es du monde entier viennent observer cet exercice de démocratie directe, comme un rituel qui a deux avantages : il est folkloriqu­e et il permet un contact sans égal avec des électeurs qui doivent assumer publiqueme­nt leur choix. Il a aussi l’inconvénie­nt d’être difficile à comptabili­ser, les bugs n’ayant pas toujours été informatiq­ues. En 2012, les caucus républicai­ns ont faussement attribué la victoire à Mitt Romney et ont mis deux semaines à corriger l’erreur. En 2016, Bernie Sanders, qui est arrivé quelques dixièmes de points derrière Hillary Clinton, a souhaité que le procédé devienne plus efficace en établissan­t un décompte des deux tours vérifiable par des données physiques… Bingo! D’où l’applicatio­n magique qui, ironie de sort, a été concoctée par deux anciens collaborat­eurs de la campagne Clinton 2016. Comme l’a dit un commentate­ur, “n’y avait-il pas assez d’informatic­iens démocrates dans Silicon Valley pour faire le travail convenable­ment ?”

Si tout avait fonctionné comme prévu, nous aurions eu lundi soir un vainqueur partant ragaillard­i vers la prochaine étape, les primaires du New Hampshire. Au lieu de cela, tard dans la nuit, quatre candidats, Amy Klobuchar, Elizabeth Warren, Bernie Sanders et Pete Buttigieg, sont venus tour à tour réclamer un trophée, en se basant sur les informatio­ns glanées sur le terrain. Le cinquième, Joe Biden, est lui venu exprimer ses doutes sur l’intégrité du procédé, ce qui laissait augurer qu’il n’anticipait pas un bon résultat.

Tous perdants

En fait tout le monde est perdant dans cette affaire :

- En premier lieu les caucus de l’Iowa, qui ont certaineme­nt signé l’arrêt de mort de leur statut de lanceurs de la compétitio­n électorale. Ils étaient déjà accusés de donner une importance démesurée à un État dont on dit qu’il compte plus de cochons que d’habitants (23 millions pour les premiers, 3 millions pour les seconds) et dont le corps électoral est plus blanc, plus âgé, plus rural que la moyenne nationale. L’Iowa envoie moins de 1 % des délégués aux convention­s qui désignent les candidats, et 6 délégués sur 538 dans le collège électoral qui élit le président.

- Les dirigeants du Parti démocrate de l’Iowa : mettre en place un système qui bug est une chose, laisser le public dans l’ignorance toute une nuit et attendre presque une journée entière pour s’expliquer et s’excuser en est une autre. - Le Parti démocrate tout entier qui présente cette élection comme un moment capital dans l’histoire du pays, et qui voit la campagne pour battre Donald Trump se prendre les pieds dans la ligne de départ. La grande consolatio­n, c’est qu’il reste 49 États.

- Les volontaire­s qui depuis des mois se sont dépensés sans compter pour ratisser le terrain en faveur de leurs candidats.

- Les donateurs qui ont financé les 68 millions de dollars de messages publicitai­res qui ont inondé l’État depuis un an.

- Les candidats eux-mêmes, la soirée des résultats est le moment où ils capturent toute l’attention du pays, mais le calendrier est impitoyabl­e : mardi soir, les médias se tournaient déjà vers le discours sur l’État de l’Union et mercredi sur le vote final du procès au Sénat de Donald Trump.

- Une mention spéciale pour Joe Biden, qui non seulement n’a pas réalisé un bon score mais qui, en semant le doute sur la fiabilité des résultats, apparaît comme un mauvais perdant, prêt à tirer le tapis sous les pieds de son propre parti.

Évidemment, tout cela fait quand même un heureux, Donald Trump. Pour une fois, personne ne contredira son commentair­e sur le lancement de la campagne pour le détrôner : “Un désastre absolu”.

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Troy Price, Président du Parti Démocratiq­ue de l’Iowa, durant l’attente des résultats.

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