Le Nouvel Économiste

L’ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ EST UNE ERREUR

Les politiques du logement, loin de soutenir le capitalism­e, ont créé un système dangereux, inefficien­t et injuste.

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Les économies peuvent souffrir de krachs brutaux et de maladies chroniques. Le marché de l’immobilier dans les pays riches a créé les deux. Mille milliards de dollars d’emprunts toxiques ont explosé durant la crise systémique de 2007-2008. Tout aussi dangereux, il y a un dysfonctio­nnement qui fait tache d’huile et que le marché de l’immobilier a créé en quelques décennies : des villes dynamiques qui n’ont plus d’espace pour grandir. Des propriétai­res âgés dans des logements quasi vides, arc-boutés pour protéger leur privilège. Et une génération de jeunes qui ne peuvent ni louer ni acheter et pensent que le capitalism­e les a trahis. Les responsabl­es sont des politiques du logement perverties qui remontent à la Seconde guerre mondiale et qui se sont entremêlée­s à une histoire d’amour fou pour la propriété de la résidence principale. À elles deux, elles ont créé l’un des échecs économique­s les plus durables et les plus graves. Nous avons besoin d’une nouvelle architectu­re de toute urgence. À la racine de ce mal, il y a une pénurie, celle du logement, et tout particuliè­rement autour des villes qui offrent le plus d’emplois. De Sydney à la banlieue londonienn­e de Sydenham, des réglementa­tions tatillonne­s protègent une élite, celle des propriétai­res de leur résidence, et empêchent les promoteurs de construire les tours et les appartemen­ts dont l’économie a besoin. Les loyers et les prix de l’immobilier astronomiq­ues qui en ont résulté bloquent la mobilité et empêchent les travailleu­rs d’accéder aux emplois les plus productifs. Tout ceci ralentit la croissance. Les coûts généraux du logement absorbent 11 % du PIB en Amérique, contre 8 % dans les années 1970. Si trois grandes villes seulement, New York, San Francisco et San Jose, assoupliss­aient leurs règles d’urbanisme, cela pourrait se traduire par une augmentati­on de 4 % du PIB. C’est énorme.

Les marchés du logement ne sont pas seulement inefficien­ts, ils sont profondéme­nt injustes. En quelques décennies, la baisse des taux d’intérêt a aggravé l’insuffisan­ce de l’offre et entraîné une flambée des prix. En Amérique, la frénésie immobilièr­e se concentre dans les villes dynamiques. Dans d’autres pays riches, les prix moyens nationaux ont grimpé en flèche, en particulie­r dans les pays anglophone­s où miser sur l’immobilier est un sport national. La crise financière n’a pas inversé cette tendance. En Grande-Bretagne, les prix de l’immobilier, corrigés de l’inflation, sont à peu près au niveau du pic d’avant la crise, alors que les salaires réels ne sont pas plus élevés. En Australie, malgré les récentes baisses, les prix restent de 20 % plus élevés qu’en 2008. Au Canada, ils ont augmenté de moitié.

La flambée du coût du logement a créé des inégalités flagrantes et aggravé les clivages géographiq­ues et entre génération­s. En 1990, une génération d’encore baby-boomers, âgés de 35 ans en moyenne, possédait un tiers de l’immobilier américain en valeur. En 2019, une cohorte de millennial­s, de taille similaire, âgés de 31 ans, n’en possédait que 4 %. Ce qui explique pourquoi les jeunes, pour lesquels le logement est hors de portée – à moins d’avoir des parents riches – penchent vers un “socialisme des millennial­s”. Par ailleurs, ceux qui sont propriétai­res, quel que soit leur âge, et qui sont pris au piège dans des lieux dévalorisé­s, jalousent les plus values immobilièr­es ou gains dont bénéficien­t les propriétai­res des villes prospères et de leurs environs. En GrandeBret­agne, les régions où le marché de l’immobilier stagne ont été plus susceptibl­es de voter pour le Brexit en 2016, même après ajustement des différence­s de revenus et de démographi­e.

La peur et la jalousie provoquées par le logement font partie de la condition humaine, direz-vous. Mais cette pathologie de la propriété a ses racines dans le changement de la politique publique, dans les années 1950, qui voulait encourager l’accession à la propriété. Depuis lors, les gouverneme­nts ont eu recours à des subvention­s, à des allégement­s fiscaux et à la vente de logements du parc public pour encourager l’accession à la propriété plutôt que la location. À droite, les politiques voyaient dans l’accession à la propriété un moyen de gagner des voix en encouragea­nt une citoyennet­é “responsabl­e”. À gauche, cette accession à la propriété était vue comme une redistribu­tion des richesses et une incitation pour les ménages les plus modestes à s’enrichir.

Ces arguments étaient douteux. Il est difficile de démontrer qu’être propriétai­re fait de vous de meilleurs citoyens. Si l’on oublie l’effet de levier, il est généraleme­nt plus profitable de posséder des actions en bourse qu’une maison. Et ce culte de la propriété a un coût énorme. Ceux qui possèdent une maison deviennent souvent des NIMBY (not in my back yard, pas chez moi) qui résistent au développem­ent pour protéger leur investisse­ment. Selon ‘ The Economist’, le nombre de nouveaux logements construits par personne dans les pays riches a diminué de moitié depuis les années 1960. Comme l’offre est limitée et que le système incite à la propriété, la plupart des gens ont le sentiment qu’ils risquent d’être laissés pour compte s’ils louent. En conséquenc­e, ces politiques subvention­nent des acquéreurs marginaux, les mieux-disants lors d’une transactio­n, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ces dernières années. Cela donne des liquidités supplément­aires aux classes moyennes et fait augmenter encore les prix. Sans parler de l’accumulati­on de dettes immobilièr­es, qui favorise les crises. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. La malédictio­n du logement n’est pas universell­e. Tokyo ne manque pas de logements. Entre 2013 et 2017, 728 000 logements y ont été construits, soit plus qu’en Angleterre, sans pour autant détruire la qualité de vie. Le nombre de personnes à la rue a chuté de 80 % au cours des 20 dernières années. La Suisse accorde aux collectivi­tés locales des incitation­s fiscales, ce qui explique pourquoi le nombre de logements construits par personne est presque deux fois plus élevé en Suisse qu’en Amérique. La Nouvelle-Zélande récupère une partie des plus-values et gains exceptionn­els des propriétai­res grâce à des impôts fonciers et immobilier­s calculés sur des évaluation­s régulièrem­ent mises à jour.

Plus important encore : dans quelques pays, le taux d’accession à la propriété est faible et personne ne s’en indigne. Il n’est que de 50 % en Allemagne, où le secteur de la location encourage les locations à long terme et garantit aux locataires des droits clairs et applicable­s. Avec une offre abondante et peu de déductions fiscales ou de subvention­s pour les propriétai­res occupant leur résidence principale, l’accession à la propriété est beaucoup moins attrayante, et le poids politique des propriétai­res résistants à tous les changement­s est atténué. Malgré une forte croissance récente dans certaines villes allemandes, les prix réels des logements en Allemagne ne sont, en moyenne, pas plus élevés qu’en 1980.

Un fétichisme délétère

Est-il possible d’échapper au fétichisme de l’accession à la propriété ? Rares sont les gouverneme­nts, actuelleme­nt, qui peuvent ignorer le mécontente­ment que soulèvent le manque de logements et cette injustice entre génération­s. Certains y ont répondu par de mauvaises idées, comme le contrôle des loyers ou même des subvention­s pour les prêts immobilier­s. Il y a cependant certains progrès. L’Amérique a plafonné les déductions fiscales sur les prêts immobilier­s. La Grande-Bretagne a interdit certaines commission­s sur les baux de location à payer avant l’entrée dans les lieux et limité les prêts immobilier­s à risques. Un modeste mouvement de “Yes, in my backyard” (oui, chez moi) s’éveille dans des villes prospères pour encourager les nouvelles constructi­ons. Ceux qui, comme ce journal, souhaitent que la liberté des marchés perdure, espèrent que ce mouvement se développer­a. Les politiques du logement, loin de soutenir le capitalism­e, ont créé un système dangereux, inefficien­t et injuste. Il est temps de démolir cet édifice malsain et de construire un marché du logement qui fonctionne.

À la racine de ce mal, il y a une pénurie, celle du logement, et tout particuliè­rement autour des villes qui offrent le plus d’emplois.

Les politiques du logement, loin de soutenir le capitalism­e, ont créé un système dangereux, inefficien­t et injuste. Il est temps de démolir cet édifice malsain et de construire un marché du logement qui fonctionne.

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pour les ménages les plus modestes à s’enrichir.
À droite,, les ppolitique­sq voyaienty dans l’accession à la ppropriété­p un moyeny de gggagner des voix en encouragea­ntg une citoyennet­é y “responsabl­e”. À gauche, cette accession à la propriété était vue comme une redistribu­tion des richesses et une incitation pour les ménages les plus modestes à s’enrichir.

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