L’INEXORABLE AUGMENTATION DES PRIX
Des prix élevés se traduisent par moins de dynamisme économique et plus d’instabilité financière
Selon la loi de Moore, la puissance de calcul informatique double presque tous les deux ans. Les experts ont sans cesse prédit la fin de cette loi : selon leurs raisonnements, les ordinateurs ne pouvaient pas augmenter leur puissance de façon exponentielle. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé depuis au moins un demi-siècle.
Plus nombreux sont ceux qui commencent à se demander si l’immobilier pourrait avoir sa propre version de la loi de Moore. Ces 70 dernières années, les prix de l’immobilier ont plus que quadruplé en termes réels. Ils sont bien audelà de leur niveau pré-crise de 2008. Cela peut paraître fou, mais un article de David Miles, ancien
Pour brider les prix de l’immobilier sur le long terme, les gouvernements doivent faire trois choses correctement. La première est une meilleure réglementation du financement du logement. Le deuxième train de réformes concerne le transport. Le troisième concerne la planification.
du Comité pour la politique monétaire de la Banque d’Angleterre, et James Sefton, de l’Imperial College de Londres, affirme que “dans beaucoup de pays, il est plausible que les prix des logements puissent continuer à augmenter plus rapidement que les revenus”. Une population et des revenus en augmentation augmentent la demande de logements, face à une quantité finie de foncier constructible dans les lieux où se trouvent les bons emplois, et une augmentation limitée de la vitesse des transports.
Selon leur article, les prix élevés de l’immobilier se traduisent par moins de dynamisme économique et plus d’instabilité financière. Mais même si Messieurs Miles et Sefton disent qu’un prix toujours plus élevé de la propriété est “plausible”, ils ne disent pas que c’est inévitable. Pour brider les prix de l’immobilier sur le long terme, les gouvernements doivent faire trois choses correctement.
La première est une meilleure réglementation du financement du logement. La Suisse est proche de traiter l’accession à la propriété et la location de façon égale dans son système fiscal, ce qui signifie que les gens ne sont pas encouragés à immobiliser des capitaux dans le marché de l’immobilier. Plus de pays devraient suivre cet exemple. La réforme fiscale du président Trump en 2017, qui limitait les déductions fiscales des intérêts sur les prêts immobiliers, allait dans le bon sens.
Des réformes plus radicales pourraient être envisagées. Les organismes allemands de prêts immobiliers adoptent une technique d’évaluation peu courante. Quand ils évaluent la valeur d’une maison, ils se réfèrent rarement au prix du marché. Eux prennent en compte la valeur hypothécaire, l’évaluation du prix probable d’une maison au cours d’un cycle économique. Un rapport de la Banque pour les règlements internationaux suggère qu’en oubliant les fluctuations des prix à court terme, cette technique d’évaluation peut empêcher la formation de bulles. Les caisses de prêts en Amérique ont à une époque utilisé l’évaluation de la valeur hypothécaire, rappelle Ed Pinto du think-tank American Enterprise Institute, mais après la Seconde guerre mondiale, elle est tombée en désuétude.
Le deuxième train de réformes concerne le transport. Jusqu’au milieu du XXe siècle, les prix du logement étaient stables grâce en partie au coût des transports et à la facilité avec laquelle les gens pouvaient se déplacer. Le transport s’améliorait globalement aussi rapidement que la croissance économique. Puisque se rendre d’un point A à un point B devenait plus rapide, la quantité de foncier constructible à la disposition d’une économie devenait automatiquement plus abondante. Mais après la Seconde guerre mondiale, les améliorations des transports ont ralenti, ce qui signifie que de plus en plus de gens se battent pour une quantité finie d’espace. Ce qui a entraîné la hausse des prix du logement. Récemment, les temps de transport dans les plus grandes villes des pays riches n’ont fait qu’augmenter, ce qui a augmenté l’envie de vivre à proximité ou à l’intérieur des villes, et donc leur valeur. Un meilleur réseau de trains ou de routes, dans ce cas, permettrait aux gens de vivre plus loin. Les voitures à conduite autonome pourraient également réduire le stress des déplacements et une fois la vidéoconférence totalement au point, plus d’employés pourront vivre loin de leur travail et ne passer physiquement que pour certaines réunions.
Le troisième train de réformes concerne la planification. Le rapport cité annonce que les gouvernements se rendent enfin compte de la pénurie structurelle de logements. Ils pourraient s’inspirer des bonnes pratiques en vigueur ailleurs. La norme en Suisse est d’affecter le produit des taxes à l’échelon politique régional ou local, ce qui encourage les autorités locales à permettre le développement de foncier constructible.
Un logement plus abordable rendrait la politique moins volatile
La France a suivi l’exemple de la Suisse en augmentant la pression sur les collectivités locales afin qu’elles augmentent les recettes des taxes foncières, “ce qui à son tour peut conduire à des initiatives pour stimuler la construction”, selon l’OCDE. Abolir le zonage des constructions de maisons pour une seule famille, qui empêche la densification, est une autre option. La ville de Minneapolis l’a fait l’an dernier. Encourager la construction de logements sociaux est aussi bienvenu. Singapour, où 80 % des résidents vivent dans des appartements construits par le gouvernement, est sous certains aspects un modèle à copier. L’État entretient régulièrement les immeubles et, mais c’est contesté, tente de mélanger différentes classes sociales pour éviter l’apparition de ghettos.
Rome n’a pas été construite en un jour
Les bénéfices d’une autorisation de construire davantage d’immeubles seraient énormes. Selon une étude, le PIB américain pourrait augmenter de 10 % environ si on construisait beaucoup de logements neufs dans seulement trois villes, New York, San Francisco et San Jose. Des logements plus accessibles rendent aussi la politique moins volatile. Des travaux de recherche toujours plus nombreux montrent qu’une adhésion aux partis populistes est à attendre dans les pays où les gens ne peuvent pas se loger dans les grandes villes, et sont donc piégés dans les lieux “laissés pour compte”.
Pour certains experts de l’urbanisme, aucun régime démocratique ne pourrait accepter un tel traitement. Ils sont trop pessimistes. Au Japon, une série de réformes au début et au milieu des années 2000 a assoupli l’urbanisme. Les demandes ont été traitées plus rapidement, et les résidents ont eu leur mot à dire sur l’utilisation de leur environnement. Le taux de construction de logements à Tokyo a augmenté de 30 % depuis la réforme. De 2013 à 2017, Tokyo a construit autant que l’Angleterre tout entière. Tokyo est une ville plus dense que la plupart des villes riches, mais les lois actuelles de zonage permettent de s’assurer qu’elle n’est pas aussi chaotique que par exemple Houston. Après ajustement de l’inflation, les logements dans la capitale du Japon sont 9 % moins chers qu’ils ne l’étaient en 2000, tandis qu’à Londres, ils ont augmenté de 144 %.
Les gens aussi doivent changer de mentalité. En Occident, beaucoup s’opposent presque instinctivement au développement urbain, soit en raison des désagréments qui y sont associés, soit parce qu’ils détestent l’idée que des promoteurs puissent faire du profit. Pour les convaincre, peutêtre faudrait-il mieux dédommager les résidents affectés par cette densification. Les gouvernements pourraient aussi expliquer pourquoi une pénurie de logements est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, au lieu de se féliciter de chaque augmentation des prix de l’immobilier. Une action ferme est nécessaire. Tant que cela ne sera pas le cas, le logement continuera à saper les fondations du monde moderne.
Les gouvernements pourraient aussi expliquer pourquoi une pénurie de logements est une mauvaise nouvelle pour tout le monde, au lieu de se féliciter de chaque augmentation des prix de l’immobilier.