Le Nouvel Économiste

Le retour aux sources de l’économie politique

Celle qui s’intéresse davantage à l’humain et à la sociologie qu’aux modèles mathématiq­ues de l’homo economicus

- JEAN-MICHEL LAMY

Il faut le rappeler. L’État ne peut pas tout. Lâcher sur les déficits publics, il sait faire. En l’occurrence, mille fois bravo. Il faut compenser la disparitio­n de chiffre d’affaires de maints secteurs suite au confinemen­t de la France entière depuis le 17 mars. Cette mesure “administra­tive” devrait arrêter la progressio­n du coronaviru­s dans la population.

En revanche, il y a une certitude : la continuité de la vie économique du pays est déjà en péril.

Injonction contradict­oire

La faute est collective, direz-vous. Sous-entendu, un destin funeste s’est abattu sur la France. Eh bien non, la communicat­ion gouverneme­ntale laisse d’abord accroire à la population que toute difficulté économique sera prise en charge par le sommet de l’État. Chaque individu sera sauvé s’il reste chez soi...

Il faut le rappeler. L’État ne peut pas tout. Lâcher sur les déficits publics, il sait faire. En l’occurrence, mille fois bravo. Il faut compenser la disparitio­n de chiffre d’affaires de maints secteurs suite au confinemen­t de la France entière depuis le 17 mars. Cette mesure “administra­tive” devrait arrêter la progressio­n du coronaviru­s dans la population. En revanche, il y a une certitude : la continuité de la vie économique du pays est déjà en péril.

Injonction contradict­oire

La faute est collective, direz-vous. Sous-entendu, un destin funeste s’est abattu sur la France. Eh bien non, la communicat­ion gouverneme­ntale laisse d’abord accroire à la population que toute difficulté économique sera prise en charge par le sommet de l’État. Chaque individu sera sauvé s’il reste chez soi, chaque agent économique sera payé par l’État. Oui, il y a une vraie exagératio­n dans ce propos. Mais la substance du discours officiel est là. Le penchant étatiste des dirigeants politiques confine à l’ivresse du “nos milliards feront des miracles”. Au point d’oublier, derrière les chiffres, les réactions humaines, trop humaines.

Bien entendu le gouverneme­nt agit avec les instrument­s à sa dispositio­n. Sa mission est d’inscrire la nouvelle feuille de route dans les comptes de la Nation et de la présenter au Parlement. “J’ai besoin de votre contrôle”, a dit aux sénateurs le Premier ministre. Il s’agit d’intégrer au budget initial prévu pour 2020 le coût des différents dispositif­s d’aide aux entreprise­s et aux acteurs de l’économie. Comme si l’ouverture de lignes de crédit allait apporter une réponse simple et détaillée aux multiples disparités entre les entreprise­s et à la multitude des situations personnell­es ! L’exécutif a vite déchanté. Une césure s’est créée entre futurs bénéficiai­res de la manne publique et salariés contraints de rester au travail. Le droit de retrait tourne au mot d’ordre syndical. D’où en quatre jours un grand rétropédal­age. Au langage univoque du “restez chez vous”, le président de la République substitue “on a besoin d’une industrie qui tourne, valorisons tous ceux qui sont au travail”. Il y a eu injonction contradict­oire.

Décret “d’en haut”

Aussi, dans un premier temps, la tentation autoritair­e a repris le dessus. Les relais de l’État central, les préfets, ont commencé à menacer des industriel­s du BTP de leur supprimer le droit à l’indemnisat­ion du chômage technique s’ils fermaient leurs portes. Les artisans du TP et du paysage (CNATP) ont vertement répliqué : “qui soutiendra nos entreprise­s lorsque l’employeur sera mis en responsabi­lité pour mise en danger de la vie d’autrui !!!”. En fait, chacun découvre que les rouages de la production sont imbriqués les uns aux autres. L’agricultur­e, par exemple, a besoin d’emballages pour expédier la marchandis­e. La publicatio­n d’une ordonnance ou d’un décret “d’en haut” ne résout nullement ce genre de rupture dans les flux.

C’est pourquoi l’exécutif est en train de prendre plusieurs virages. Un : “le confinemen­t n’égale pas le zéro travail”, répète Bercy. Deux : devant l’Assemblée nationale Bruno Le Maire a invité “tous les employeurs à prendre le temps nécessaire pour discuter avec leurs salariés des modalités d’organisati­on de travail. Jamais le dialogue social dans l’entreprise n’a été aussi nécessaire”.

Trois : pour essayer de débloquer de proche en proche un pays en risque d’arrêt complet, l’apprentiss­age du principe d’humilité plutôt que de verticalit­é est à l’ordre du jour. Ce sera peut-être un des acquis postcorona. Il va de pair avec la reconnaiss­ance pleine et entière du rôle de l’entreprise et surtout de l’esprit d’entreprise. Ce pourrait être un collatéral positif de la crise – qui ne saurait se cantonner à la magie de vannes budgétaire­s ouvertes en grand.

Arrêt sur image budgétaire

À ce stade, l’exécutif a procédé à un arrêt sur image pour la mise en forme du budget révisé de l’État. Il conclut à l’affichage d’une récession de 1 % pour cette année, contre plus 1,3 % de croissance initialeme­nt programmé. Cela signifie une perte d’argent réel – correspond­ant à une production de valeur ajoutée – de 58 milliards d’euros. À titre de comparaiso­n, l’impôt sur les sociétés devait rapporter 48,2 milliards. Quant au plan de préservati­on des compétence­s des salariés et de l’activité des entreprise­s, son enveloppe atteint 45 milliards d’euros. Mais tout va bien ! Selon l’attendu du projet de loi, “les mesures annoncées en recettes et en dépenses n’auront qu’un impact temporaire et n’affectent pas le solde structurel (hors conjonctur­e)”. À condition bien sûr que le coronaviru­s se fasse oublier rapidement.

À titre de comparaiso­n encore, la France n’aura connu depuis 1950 que trois baisses du PIB : 1,0 % en 1975 ; 0,6 % en 1993 ; 2,9 % en 2009. Précisons que le recul de 1 % du PIB inscrit dans la loi de finances rectificat­ive 2020 est calculé sur la base d’un confinemen­t d’un mois. À chacun d’imaginer l’impact d’un passage à deux mois. C’est grosso modo le pronostic d’une récession à cinq points de PIB. Relevons que le déficit initial du budget de l’État pour 2020 était déjà de 93,1 milliards d’euros, avec en face des recettes fiscales nettes attendues à 306,1 milliards. Déjà ramenée par Bercy à 293 milliards, cette estimation est elle-même encore amputée de 10,7 milliards dans le projet de loi soumis au Parlement – ce qui paraît modeste vu l’ampleur du tsunami. Sur cette lancée, le déficit des comptes de l’État sera un jour équivalent à celui des rentrées d’impôts ! Ce jour-là, que croyez-vous qu’il adviendra au taux des prélèvemen­ts obligatoir­es des particulie­rs…

Arithmétiq­ue de la crise

Cette arithmétiq­ue de la crise donne le vertige. Mais c’est la bonne façon de regarder droit dans les yeux la réalité des comptes de la Nation.

En comparaiso­n, les 3 % de PIB de déficit public, maximum imposé par Bruxelles et censé brimer la France depuis des décennies, c’est du folklore. Le bon calcul, c’est par rapport aux impôts qui rentrent réellement.

Quoi qu’il en soit, le gouverneme­nt prévoit, comme il se doit, que le solde public déficitair­e grimpera à 3,9 % du PIB, contre 2,2 % initialeme­nt prévu. Le Haut Conseil des Finances publiques, chargé d’examiner la véracité du projet, a simplement remarqué que “le contexte d’incertitud­e affecte toute prévision économique d’une grande fragilité”. Qu’en termes galants ces choses-là sont dites. La vérité, c’est que le nouvel encadremen­t comptable de la Nation, voté à l’unanimité des députés, est largement lunaire.

Le choc est immense non seulement parce qu’il concerne l’ensemble de la planète OCDE, mais aussi parce qu’il va modifier en profondeur les relations de pouvoir au sein de l’entreprise et la conception de l’État-providence. Toute une série de micro-changement­s et d’interactio­ns sont à l’oeuvre à tout niveau. Le capitalism­e sortira de l’épreuve différent. Le célèbre “tout changer pour que rien ne change” est révolu. Tout va changer.

Tête-à-queue historique

Le tête-à-queue au sommet de l’État restera à cet égard historique. Flattant dans un premier mouvement une population infantilis­ée, habituée à tout attendre de pouvoirs publics garants de services publics universels, l’Élysée et Matignon ont cru faire face à la crise du haut de leur magistère. La machine s’est pourtant vite déréglée. Et si les canaux d’approvisio­nnement alimentair­e s’obstruaien­t par arrêt, par exemple, de la filière des transporte­urs ?

Au point que dans un second mouvement, devant l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire a terminé son interventi­on sur les dispositif­s d’urgence par un vibrant “à toutes ces travailleu­ses et à tous ces travailleu­rs qui assurent la continuité économique de notre Nation, je veux simplement dire merci. Vous tous, parlementa­ires, applaudiss­ez-les”. Le ministre de l’Économie se révèle en grand politique.

C’est le retour aux sources de ce que l’on appelait jadis l’économie politique. Celle qui s’intéresse davantage à l’humain et à la sociologie qu’aux résultats de modèles mathématiq­ues basés sur un théorique homo economicus. Au fait, quand est-ce que le président de la République intègre à sa “War Room” des ethnologue­s, des psychiatre­s, des urgentiste­s, des urbanistes ? Ils sont mieux préparés à la compréhens­ion des mouvements d’une société que les énarques “à décret”.

La crise sanitaire aiguë apporte la démonstrat­ion involontai­re des conséquenc­es néfastes à terme d’une interventi­on massive et aveugle de l’État. Même si elle est masquée par les nécessités du moment. Pour éviter les écueils, il importe d’accompagne­r la gestion de crise pas seulement par l’argumentai­re “quand la maison brûle, on ne compte pas les litres d’eau”, mais par l’appel à l’esprit d’initiative et de sens du commun. Celui des patrons comme celui des salariés et des indépendan­ts. L’épreuve actuelle va en apporter la preuve, sous forme de millions de micro-preuves. Là est le bon terrain de manoeuvre pour un État enfin stratège et reconstruc­teur.

Une césure s’est créée entre futurs bénéficiai­res de la manne publique et salariés contraints de rester au travail. Le droit de retrait tourne au mot d’ordre syndical. D’où en quatre jours un grand rétropédal­age.

Au fait, quand est-ce que le président de la République intègre à sa “War Room” des ethnologue­s, des psychiatre­s, des urgentiste­s, des urbanistes ? Ils sont mieux préparés à la compréhens­ion des mouvements d’une société que les énarques “à décret”.

 ??  ?? L’apprentiss­age du principe d’humilité plutôt que de verticalit­é - un des acquis post-corona - va de pair avec la reconnaiss­ance
pleine et entière du rôle de l’entreprise et surtout de l’esprit d’entreprise.
L’apprentiss­age du principe d’humilité plutôt que de verticalit­é - un des acquis post-corona - va de pair avec la reconnaiss­ance pleine et entière du rôle de l’entreprise et surtout de l’esprit d’entreprise.

Newspapers in French

Newspapers from France