Le Nouvel Économiste

La démocratie participat­ive au secours des politiques

Des assemblées de citoyens ordinaires peuvent résoudre des problèmes auxquels les politiques ont du mal à répondre

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En 403 av. J.C., Athènes décidait de réformer ses institutio­ns. Une guerre désastreus­e avec Sparte avait montré que la démocratie directe, par laquelle des citoyens adultes de sexe masculin votaient sur des lois, ne suffisait pas à empêcher des démagogues éloquents d’obtenir ce qu’ils voulaient, et même de subvertir la démocratie tout court. Un nouvel organe, choisi par tirage au sort, a donc été mis en place pour contrôler les décisions des électeurs. Ses membres étaient appelés les nomothètes, ou “faiseurs de loi”, et on leur a donné le temps de réfléchir à des décisions difficiles, sans être dérangés par des orateurs à la langue bien pendue...

En 403 av. J.C., Athènes décidait de réformer ses institutio­ns. Une guerre désastreus­e avec Sparte avait montré que la démocratie directe, par laquelle des citoyens adultes de sexe masculin votaient sur des lois, ne suffisait pas à empêcher des démagogues éloquents d’obtenir ce qu’ils voulaient, et même de subvertir la démocratie tout court. Un nouvel organe, choisi par tirage au sort, a donc été mis en place pour contrôler les décisions des électeurs. Ses membres étaient appelés les nomothètes, ou “faiseurs de loi”, et on leur a donné le temps de réfléchir à des décisions difficiles, sans être dérangés par des orateurs à la langue bien pendue ni par les plans de politicien­s ambitieux.

Les assemblées de citoyens sont souvent présentées comme un moyen d’inverser le déclin de la confiance dans la démocratie, qui a été précipité dans la plupart des pays développés au cours des dix dernières années.

Cette idée ancienne est de nouveau en vogue, et il était grand temps. Dans le monde entier, des “assemblées de citoyens” et autres groupes de délibérati­on sont créés pour examiner des questions auxquelles les hommes politiques ont du mal à répondre. Pendant des semaines ou des mois, une centaine de citoyens – choisis au hasard, mais dans le but de créer un organe représenta­tif de l’ensemble de la population en termes de sexe, d’âge, de revenus et d’éducation – se réunissent pour discuter de manière réfléchie d’un sujet qui les divise. Souvent, ils sont rémunérés pour leur temps, afin de s’assurer qu’il n’y ait pas que des passionnés de politique qui s’inscrivent. À la fin, ils présentent leurs recommanda­tions aux politiques. Avant la Covid-19, ces citoyens se rencontrai­ent dans des centres de conférence des grandes villes où, en se mêlant pendant les pauses déjeuner, ils découvraie­nt que les monstres qui n’étaient pas d’accord avec eux se révélaient finalement être des humains comme les autres. Aujourd’hui, en raison de la pandémie, ils se réunissent principale­ment sur Zoom.

Les assemblées de citoyens sont souvent présentées comme un moyen d’inverser le déclin de la confiance dans la démocratie, qui a été précipité dans la plupart des pays développés au cours des dix dernières années. L’année dernière, la majorité des personnes interrogée­s en Amérique, en Grande-Bretagne, en France et en Australie, ainsi que dans de nombreux autres pays riches, estimaient que quel que soit le parti qui remporte une élection, rien ne change vraiment. Les politiques, dont on se plaint souvent, ne comprennen­t pas la vie et les préoccupat­ions des gens ordinaires et ne s’y intéressen­t pas.

Les assemblées de citoyens peuvent contribuer à remédier à cette situation. Elles ne se substituen­t pas à l’activité législativ­e quotidienn­e, mais permettent de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les hommes politiques qui ont tenté de traiter des questions importante­s et ont échoué. Il s’avère que les gens ordinaires sont tout à fait raisonnabl­es. Une grande expérience de délibérati­on de quatre jours en Amérique a adouci les vues des républicai­ns sur l’immigratio­n ; les démocrates sont devenus moins désireux d’augmenter le salaire minimum. Plus frappant encore, deux assemblées citoyennes de 18 mois en Irlande ont montré que le pays, malgré ses profondes racines catholique­s, était beaucoup plus libéral sur le plan social que les politiques ne le pensaient. Les assemblées ont massivemen­t recommandé la légalisati­on du mariage homosexuel et de l’avortement. Peut-être parce que les assemblées de citoyens sont le reflet de la population, leurs conclusion­s semblent également lui plaire. Le mariage homosexuel et l’avortement ont tous deux été légalisés en Irlande lorsque des majorités écrasantes lors des référendum­s ont démontré que le pays était parvenu à un nouveau consensus après des années de combat. Et ces assemblées ne sont pas réservées aux membres engagés de la classe moyenne. Une étude européenne a révélé que les personnes les moins instruites, ainsi que celles qui se méfient le plus des politiques, sont les plus enthousias­tes à l’idée des assemblées citoyennes.

En bref, ces assemblées de citoyens sont efficaces pour trouver des solutions à des questions épineuses ou polarisant­es dans lesquelles les politiques ont été captés par les extrêmes de leur parti. Mais elles fonctionne­nt mieux si elles suivent certaines règles. Pour commencer, les politiques au niveau national doivent les respecter. Jusqu’à présent, la plupart d’entre elles se sont tenues au niveau local. Une récente assemblée sur le climat en Grande-Bretagne a été mise en place par une série de commission­s parlementa­ires ; le gouverneme­nt n’y a pas participé. Les assemblées doivent également avoir une question claire à débattre. Le mariage homosexuel doit-il être légalisé ? Comment notre ville peut-elle vivre selon ses moyens ? L’actuelle assemblée des citoyens en Écosse est un exemple de ce qu’il faut éviter. Elle doit réfléchir à une série de questions pathétique­s, notamment “Quel genre de pays cherchons-nous à construire ?”, ce qui appelle une réponse tout aussi pathétique.

Enfin, les politiques qui mettent en place les assemblées de citoyens doivent être réellement ouverts à leurs conclusion­s. Ils ne peuvent se contenter de chercher à faire approuver leurs propres idées. Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise, a entamé l’intégrité de l’assemblée en la lançant en même temps qu’elle renouvelai­t l’objectif d’indépendan­ce de son parti, rendant tout le processus suspect aux yeux de ceux qui ne partagent pas ses conviction­s. Les assemblées devraient plutôt être mises en place dans un esprit de débat ouvert, d’expériment­ation et de volonté d’écouter d’autres points de vue.

Et les politiques devraient s’engager à soumettre les recommanda­tions d’une assemblée de citoyens à un vote au Parlement ou, le cas échéant, à un référendum, quel qu’en soit le résultat. S’ils prétendent représente­r le peuple, ils doivent le prendre au sérieux.

Les politiques qui mettent en place les assemblées de citoyens doivent être réellement ouverts à leurs conclusion­s. Ils ne peuvent se contenter de chercher à faire approuver leurs propres idées.

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Ces assemblées sont efficaces pour trouver des solutions à des questions épineuses ou polarisant­es dans lesquelles les politiques ont été captés par les extrêmes de leur parti.

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