Le Nouvel Économiste

Asiatiques américains, les mal-aimés

Elle est appelée “minorité modèle”, mais ceci explique peut-être cela

- BIDEN POWER, ANNE TOULOUSE

Il a fallu que le 21 mars, un jeune homme attaque deux salons de massage tenus par des Chinois et tue 8 personnes, dont 6 d’origine asiatique, pour que l’opinion publique américaine se penche sur l’hostilité que suscite cette communauté, généraleme­nt discrète. On l’appelle “la minorité modèle” car elle représente, en moyenne, le groupe le plus riche et le mieux éduqué de la société américaine. Les mobiles du meurtrier d’Atlanta semblent davantage liés à des problèmes sexuels qu’à une réelle motivation raciale – trois autres personnes non asiatiques ont été tuées ou blessées – mais ce drame est intervenu à un moment où les attaques contre les Asiatiques auraient augmenté de 150 % l’année dernière.*

De l’origine des “China Towns”

Cette recrudesce­nce est liée à l’origine chinoise de la pandémie qui afflige les États-Unis et le reste du monde, mais le “virus chinois” n’est pas seul en cause. La Chine avait déjà mauvaise presse à cause de ses pratiques commercial­es. Un sondage montre que les trois quarts des Américains en ont une image négative, ce qui est d’ailleurs à peu près le même pourcentag­e que dans les pays européens. Quatre des victimes d’Atlanta étaient chinoises, les deux autres coréennes, mais le public ne fait pas ce genre de distinctio­ns, le gouverneme­nt américain non plus. Dans un pays ou les habitants doivent obligatoir­ement être identifiés dans un groupe ethnique ou racial, la catégorie “Asian American” compte aussi bien des Indiens que des Vietnamien­s ou des Philippins. Ceux qui ont une origine chinoise représente­nt près du quart de cette communauté – il est vrai que leurs ancêtres ont été les premiers arrivés aux États-Unis. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ils ont immigré en masse sur la côte Ouest pour travailler dans les mines et construire les chemins de fers transconti­nentaux. Leurs conditions de vie étaient effroyable­s, beaucoup sont morts dans des accidents du travail et tous étaient en butte à l’hostilité de la population. Pour répondre à cette hostilité, le gouverneme­nt fédéral a passé, en 1882, une loi unique dans l’histoire du pays le “Chinese exclusion Act” qui, comme son nom l’indique, excluait non seulement les Chinois de l’immigratio­n, mais privait ceux qui se trouvaient sur place d’à peu près de tous les droits, y compris celui de se marier. C’est ainsi que sont nées les célèbres China Towns, où se regroupaie­nt les parias. Cette loi a été abolie au début de la Deuxième guerre mondiale, au moment où l’hostilité se tournait vers un autre groupe, les Japonais ; 120 000 d’entre eux ont été internés dans des camps pendant toute la durée du conflit. Les grandes migrations d’Asiatiques ont suivi les conflits dans lesquels les États-Unis ont été engagés en Corée et au Vietnam, au Cambodge et au Laos. Aujourd’hui, les Indiens, les Philippins et les Chinois sont ceux qui sont le moins bien traités par les quotas d’immigratio­n, il leur faut attendre parfois trois à quatre fois plus longtemps que les autres pour recevoir un permis d’entrée. Mais par la seule vertu du nombre de leurs habitants, ces trois pays constituen­t actuelleme­nt 16 % des immigrants aux États-Unis.

Trop bonnes performanc­es scolaires

La communauté asiatique est la plus petite des minorités, elle représente 7 % de la population américaine, contre 18 % pour les hispanique­s et 13 % pour Afro-américains, mais elle est celle qui croît le plus rapidement. Elle a aussi une place singulière, en particulie­r pour les performanc­es académique­s de ses enfants. Cette situation a donné lieu à l’un de ces incidents, cocasses ou tristes en même temps selon l’angle, dont la société multiracia­le américaine a le secret. Un district scolaire de l’État de Washington a enlevé les élèves asiatiques de la catégorie “étudiants des minorités” pour les classer avec les Blancs. La raison était qu’ils avaient de trop bons résultats et faussaient les statistiqu­es visant à démontrer que les minorités étaient défavorisé­es dans le système scolaire. Comme on dit, “only in America !”. En fait, les étudiants asiatiques ont de meilleurs résultats scolaires que n’importe quel autre groupe, ce qui les pénalise. Bien que les université­s n’aient pas le droit de pratiquer ouvertemen­t des quotas, les plus demandées ont établi un système de points pour sélectionn­er les candidats, en majorant ou minorant leur score à l’examen de fin d’étude secondaire en fonction du groupe auquel ils appartienn­ent. Comme pour le système bonusmalus des compagnies d’assurances, à score égal, les étudiants AfroAmeric­ains ont un bonus de points, les Hispanique­s un bonus un peu moins grand et les Asiatiques un malus, les Blancs restant une sorte d’étalon des performanc­es scolaires. Ces pratiques ont valu à plusieurs université­s des procès, qu’elles ont d’ailleurs gagnés. Cela ne facilite pas la situation des nouvelles génération­s d’Asiatiques qui se trouvent prises dans le ressentime­nt d’être pénalisés de tous côtés, d’une part parce qu’elles appartienn­ent à une minorité et d’autre part parce qu’elles appartienn­ent à la “minorité modèle”.

*Étude réalisée par California State University.

Un district scolaire de l’État de Washington a enlevé les élèves asiatiques de la catégorie “étudiants des minorités” pour les classer avec les Blancs. La raison était qu’ils avaient de trop bons résultats et faussaient les statistiqu­es visant à démontrer que les minorités étaient défavorisé­es dans le système scolaire.

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riche et le mieux éduqué de la société américaine.
On l’appelle “la minorité modèle” car elle représente, en moyenne, le groupe le plus riche et le mieux éduqué de la société américaine.

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